Ils étaient Présidents : François Mitterrand
Dernier
portrait de la série : François Mitterrand, l’homme aux deux septennats, qui
affirmait être le dernier des grands présidents de la République.
Après avoir
rassemblé près de 27% des suffrages au premier tour, François Mitterrand
(Jarnac, 26 octobre 1916 – Paris, 8 janvier 1996) l’emportait au second tour
par 51,76% des voix en ce 10 mai 1981. Ainsi, après deux tentatives
malheureuses, avait-il enfin réussi à se faire élire président de la
République.
Il pouvait
désormais laisser sa trace dans l’histoire. Seul président à accomplir deux
septennats (1981-1995), Mitterrand devait ainsi marquer, pour le meilleur et le
pire, la France à la fin du siècle dernier. Pour le « peuple de
gauche », qu’il sut faire vibrer jusqu’au bout, il fut Tonton. Pour
François Mauriac ce politique trop habile méritait plutôt le surnom de
Florentin.
Il revenait
pourtant de loin. Mitterrand ? « Une arsouille » assurait le
Général. « Vous me voyez installer Mitterrand à Matignon ? ça
voudrait dire qu’on retournerait à la IVe république ! » Mais comment
les Français ne se seraient-ils pas reconnus en lui ? N’avait-il pas
épousé toutes les idéologies du siècle de l’extrême-droite à la gauche marxiste
? Pétainiste et résistant, anticommuniste et allié du PCF, atlantiste et
champion de l’exception française, que n’a été François Mitterrand ?
Ce prince de
l’ambiguïté s’est-il mieux incarné que dans la fameuse affiche électorale de
1981 ? Le clocher, les trois couleurs et le slogan donnaient un parfum de
Révolution nationale au candidat de la « rupture avec le capitalisme».
Censeur
impitoyable de la pratique gaullienne du pouvoir, François Mitterrand n’eut de
cesse de la perpétuer une fois entré à l’Élysée. Pouvait-il en être autrement
pour cet ancien pétainiste qui méprisait les « masses » et
considérait que le « bon plaisir » était la seule règle imposée aux
gouvernants ?
Un parcours sinueux
La
jeunesse de François Mitterrand est aujourd’hui bien connue. Issu d’une
excellente famille de la bourgeoisie catholique, il se fit remarquer par un
talent oratoire qu’il devait toujours cultiver. Étudiant en droit, militant
dans le mouvement de jeunesse des Croix de Feu, il manifesta contre
« l’invasion métèque » en 1935. Il se sentait alors proche de la
Cagoule et du parti social français.
Mobilisé
à la déclaration de guerre, il fut envoyé sur la ligne Maginot. Prisonnier en
Allemagne, il se montra impressionné par la « force tranquille »
caractérisant l’œuvre du IIIe Reich. S’étant évadé, il regagna la France et
s’engagea dans la Légion française des combattants et des volontaires de la
Révolution nationale.
Tout
en travaillant pour Vichy, il noua des contacts avec la résistance. Il fut reçu
par le maréchal Pétain et décoré de la francisque. Une célèbre photo en
témoigne. Ses amis cagoulards avaient contribué à cette consécration. Mais il
ne coupa les ponts définitivement avec le régime, et encore progressivement,
qu’au début de l’année 1943.
Son
engagement dans la résistance lui ouvrit une place de premier plan après la
guerre. Il lui permit aussi de connaître Danielle Gouze qu’il devait épouser en
1944.
Une figure de la Quatrième
république
Sous
la Quatrième république, sa carrière fut liée au plus important des petits
partis du centre, l’UDSR1,
collection d’individualités sans grande cohésion. S’il se fit élire député de
la Nièvre en 1946, grâce aux soutiens du clergé et de notables conservateurs,
il devait peu à peu dériver vers la gauche.
Prenant
le contrôle de l’UDSR, il devait être onze fois ministre, participant à un
gouvernement sur deux. Il ne parvint pourtant jamais à se faire nommer
président du conseil.
Libéral
sur les questions coloniales, il se montra en revanche intraitable pour
l’Algérie, qui n’était pas considéré comme une colonie : « L’Algérie c’est la France » déclara celui
qui était ministre de l’Intérieur de Mendès-France. Comme garde des sceaux de
Guy Mollet, il fit adopter une loi donnant tous pouvoirs aux militaires en
matière de justice, laissant ainsi le champ libre à la pratique de la torture.
L’adversaire du Général
Dès
le 1er juin 1958, François Mitterrand se posa en adversaire résolu du général
de Gaulle. Battu aux élections législatives, il trouva un refuge provisoire au
Sénat. Il se fit également élire maire de Château-Chinon (1959-1981).
Au
creux de la vague, il connut la disgrâce suite à la mystérieuse affaire de
l’attentat de l’Observatoire. Avait-il organisé cette tentative d’attentat
contre lui-même ? Ridiculisé en tout cas, il parut discrédité
politiquement.
Ayant
appelé à voter « non » au référendum de 1962, il retrouva néanmoins
son siège de député. Son livre Le Coup d’État
permanent l’imposa comme l’opposant par excellence du Général. Pamphlet
violent, l’ouvrage ne manquait pas d’une certaine perspicacité que l’intéressé
devait complètement oublier une fois au pouvoir.
Il
réussit à s’imposer comme le candidat unique de la gauche à l’élection
présidentielle de 1965. Le slogan « Un
président jeune pour une France moderne » soulignait cruellement le
grand âge du président sortant. Au second tour, il mobilisa les voix de tous
les antigaullistes, du PCF à l’extrême-droite, et obtint plus de 45% des voix.
Ce succès inespéré lui permit de grouper la gauche non communiste au sein de la
FGDS.
En
mai 1968, il crut son heure arrivée. La veille de la disparition du Général, il
se découvrit : « il convient dès
maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la succession. »
Mais le retour du Général et le raz de marée gaulliste aux élections
législatives mirent un terme à ses espérances. Isolé, abandonné par les
socialistes, il ne put se présenter à l’élection présidentielle de 1969.
Le Premier secrétaire du PS
Il
comprit dès lors la nécessité de prendre le contrôle d’un grand parti. Le choix
était limité. La vieille SFIO venait d’agoniser. Il réussit à s’imposer au sein
du nouveau PS. Dans son discours au Congrès d’Epinay, le 11 juin 1971,
Mitterrand désignait l’adversaire :
C’est le monopole ! terme extensif… pour
signifier toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent
qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et
l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !
À
défaut d’être socialiste, Mitterrand était un homme sans conviction, il avait
appris à parler socialiste, devait dire Guy Mollet.
Le
programme commun de la gauche était dès lors signé (27 juin 1972) qui éloignait
les socialistes de la social-démocratie régnant dans le reste de l’Europe de
l’Ouest. Même si le PCF devait abandonner la « dictature du
prolétariat » en 1976 pour être mieux en phase avec « la France
d’aujourd’hui », la gauche française se caractérisait par un singulier
archaïsme.
« Je crois que j’aurais fait
un bon président »
François
Mitterrand ressentit durement sa défaite de 1974 : « Je ne retrouverai jamais plus des circonstances
semblables, j’étais en mesure de gouverner, j’en avais la capacité physique,
elle peut diminuer maintenant. »
Il dit à ses amis : « Je crois que
j’aurais fait un bon président ».
Pourtant,
en 1981, les circonstances étaient en réalité plus favorables. VGE était devenu
« l’homme du passif ». L’Union de la Gauche avait entretemps éclaté.
Les attaques violentes des communistes contre lui facilitèrent paradoxalement
la tâche de François Mitterrand.
Ayant
nettement devancé Georges Marchais, candidat PCF, au premier tour, il réussit à
se faire élire malgré l’appui tiède des communistes. Mitterrand était désormais
en position de force. Les communistes, quémandeurs, se déclarèrent prêts à
assumer au gouvernement toutes leurs responsabilités.
Au
soir du scrutin, le président élu faisait une déclaration dans le style pompeux
qui lui était cher :
Cette victoire est d’abord celle des forces de la
jeunesse, des forces du travail, des forces de création, des forces du
renouveau qui se sont rassemblées dans un grand élan national pour l’emploi, la
paix, la liberté… Elle est aussi celle de ces femmes, de ces hommes,
humbles militants pénétrés d’idéal, qui, dans chaque commune de France, dans
chaque ville, chaque village, toute leur vie, ont espéré ce jour où leur pays
viendrait enfin à leur rencontre.
Mais
sa victoire était davantage la défaite de Valéry Giscard d’Estaing. Désormais
chaque nouvelle élection devait voir sortir les sortants.
Le goût de la pompe en toutes
circonstances
Son
goût de la pompe se révélait dans la cérémonie d’investiture où le sublime
n’était pas loin du ridicule. Il avait marché jusqu’au Panthéon avant de
déposer des roses sur les tombeaux de Victor Schœlcher, Jean Jaurès et Jean
Moulin.
Avec
l’État de grâce, comme il le confiait à Jean Daniel en 1984 : « Je pouvais tout faire » Et les noms qui
lui venaient naturellement à la bouche étaient ceux de Lénine et
Robespierre !
Pourtant,
nouveau roi Soleil, il invitait somptueusement le G7 au château de Versailles.
Le philosophe Jean Guitton notait malicieusement :
Mitterrand était royaliste quand je l’ai connu. Il
est resté, non pas royaliste mais royal. Il suffit de le voir faire trois pas
dans l’espace, il est comme Louis XIV.
Le
contempteur du Général essaya vite les habits du grand homme disparu. Il occupa
à l’Élysée l’ancien bureau du Salon doré. Il aurait bien aimé s’installer aux
Invalides plutôt que dans cette trop petite résidence présidentielle. À la fin
de sa présidence, il finit par reconstituer le bureau du Général dans son état
d’origine.
La monarchie socialiste
Edgar
Faure s’était montré naïf : l’alternance fonctionnait très bien sous la
Vème république. François Mitterrand se garda bien de modifier la Constitution
ou de réduire les pouvoirs du Président.
Le
secrétaire général de l’Élysée, Pierre Bérégovoy, surveillait de près l’action
du Premier ministre. François Mitterrand traitait Mauroy en
« majordome ». Il intervint fortement dans la composition du
gouvernement, refusant la participation de Georges Marchais et limitant les
communistes à des ministères secondaires et techniques.
Néanmoins,
Mitterrand, comme de Gaulle, n’était pas homme à vouloir se mêler de la gestion
quotidienne. Il préférait conserver de la hauteur devant les résultats vite
catastrophiques de la politique gouvernementale.
La
flagornerie était la règle autour du monarque. Jack Lang et Georges Kiejman
étaient de petits joueurs en comparaison de Jacques Attali. Le premier des
conseillers, « Psyché du président », pratiquait l’encens plus que de
raison.
Aux
trente-six conseillers du président s’ajoutaient les dix-huit collaboratrices
de son épouse. Le népotisme devait régner en maitre sous la présidence de
François Mitterrand.
Le locataire de l’Élysée
Comme
beaucoup de contempteurs de l’argent, Mitterrand avait des goûts de luxe. S’il
ne mettait jamais les pieds dans la cuisine, il était un gourmet très exigeant.
Le foie gras était de rigueur à la table élyséenne.
Faute
d’y vivre, il rendit plus confortable et fonctionnel le « Château ».
Parmi les nombreux travaux engagés, il rendit son lustre à la très vétuste
salle des fêtes.
Dans
l’appartement privé, le XVIIIe giscardien céda la place au retour à la
modernité. Les Mitterrand se voulaient un couple « à la Pompidou »
mais avec un goût artistique peut-être moins personnel. N’arrivant pas à
choisir, le couple présidentiel partagea les diverses pièces entre plusieurs
décorateurs. Le résultat fut, disons, hétéroclite.
Danielle
Mitterrand n’apprécia guère d’ailleurs sa chambre décorée par Philippe Starck.
L’épouse du président crut devoir envoyer sa femme de chambre à l’artiste pour
s’en plaindre : curieux comportement de bourgeoise du XIXe siècle pour une
adoratrice des révolutionnaires latino-américains.
S’il
n’était plus question de résider au « Château », le président passait
parfois certaines nuits dans une chambre aménagée pour lui. Mais pour le reste,
l’Élysée n’était pas autre chose qu’un bureau où le président arrivait le matin
et qu’il quittait le soir. Comme Armand Fallières, il aimait faire chaque jour
une promenade dans les rues de Paris sans trop se soucier de sa sécurité.
Pour
le reste, le président se partageait entre ses deux femmes et ses deux foyers.
Des réformes spectaculaires
Se
plaçant sous l’héritage du Front populaire, le gouvernement lança un grand
nombre de réformes : augmentation du SMIC, des retraites, des allocations
familiales, réduction de la semaine de travail à 39 heures et âge de la
retraite à 60 ans, impôt sur les grandes fortunes.
Une
vague de nationalisations plaça sous le contrôle de l’État de grands groupes
industriels et tout le secteur bancaire encore privé. Alors qu’il suffisait de
prendre le contrôle de 51% du capital, Mitterrand exigea 100%, ce qui coûta une
fortune aux contribuables.
L’insouciance
à l’égard de l’argent public contribua également au déficit de la Sécurité
sociale : un problème qui n’allait guère trouver de solution dans les
décennies à venir.
La
loi Quilliot initiait une politique visant à favoriser les locataires. Les
conséquences sur le logement furent catastrophiques. Les lois Auroux accordant
des droits importants aux salariés n’empêchèrent pas la montée du chômage.
D’autres
réformes se révélèrent plus durables ou positives : la décentralisation,
l’abolition de la peine de mort, la libéralisation de la télévision et de la
radio. La France était le dernier pays européen à exécuter les criminels.
Braver l’opinion sur cette question témoignait d’un certain courage politique.
La fin du « monopole d’État » sur les images et les sons n’était pas
rien non plus.
Un rapide échec économique et
politique
Michel
Rocard avait vite été « terrifié » par l’inculture économique du
nouveau gouvernement. Le résultat de la croissance démesurée des dépenses et de
la politique de relance se ne firent pas attendre : inflation galopante,
très fort endettement de l’État, augmentation du déficit commercial, hausse du
chômage, effondrement du franc.
Après
avoir songé à remplacer Mauroy par le raide et trop sévère Jacques Delors, le
président conserva son Premier ministre qui dut avaler les couleuvres du virage
à 180°. Dès le 4 novembre 1982, Pierre Mauroy annonçait le retour à la rigueur
pour rétablir les « grands équilibres ».
Le
président dut réunir tous les mardis, dans le salon Pompadour, un Conseil
restreint consacré à ces questions économiques qui le dépassaient. Jacques
Delors, ministre de l’Économie, avait du mal à se retenir devant les propos de
certains qui souhaitaient encore et toujours emprunter !
Le
dogmatisme socialiste subit un coup rude avec l’échec du projet Savary de
suppression de l’école privée. La réaction de la société civile fit reculer le
pouvoir. « L’enfant n’appartient à
personne et surtout pas à l’État » crut devoir rappeler Mgr
Lustiger, archevêque de Paris, au Monde
en juin 1984.
Mauroy,
usé, fut remplacé par Laurent Fabius. Soucieux d’un coup médiatique, Mitterrand
avait choisi de nommer le plus jeune Premier ministre de l’histoire
républicaine. Mais l’affaire Greenpeace, les troubles de Nouvelle-Calédonie en
attendant le scandale du sang contaminé allaient vite couler le nouveau chef du
gouvernement dans l’esprit public.
La première cohabitation et les
succès du FN
À
la télévision, le président dut se résigner à subir les familiarités d’Yves
Mourousi. Le présentateur vedette lui demanda s’il était « chébran ».
Pincé, François Mitterrand répondit : « C’est
déjà un peu dépassé. Vous auriez dû dire : câblé ».
Avec
sa rouerie habituelle, François Mitterrand tenta de conjurer la défaite
annoncée en introduisant le scrutin proportionnel pour les législatives de
1986. Il venait fort opportunément de se souvenir qu’il s’agissait d’une de ses
110 propositions de 1981. Le président, qui annonçait également être favorable
au vote des étrangers, favorisait ainsi sciemment la montée du Front national.
Mais
la droite réussit pourtant a obtenir une majorité en sièges. Refusant de
démissionner, François Mitterrand nomma Jacques Chirac comme Premier ministre.
A son habitude, il donna l’impression qu’il avait choisi ce qui lui avait été
imposé par les circonstances. Mais désormais le roi était nu : la nature non
écrite des pouvoirs présidentiels se révéla sous une lumière crue.
Cette
première cohabitation se passa très mal. Le Président ne voulut pas poser avec
les membres du gouvernement sur le perron de l’Élysée. Lors des conseils des
ministres, François Mitterrand refusait de leur serrer la main. Il refusait de
signer certaines ordonnances et campait en chef de l’opposition. Il sut
profiter avec maestria de toutes les difficultés rencontrées par le
gouvernement.
Beaux discours et réalités
Participant
à la conférence de Cancun (octobre 1981) sur les rapports Nord-Sud, François
Mitterrand profita de l’occasion pour définir les positions de la France sur
les questions de développement. Son « message d’espoir à tous les
combattants de la liberté » se voulait le pendant du discours de Pnom Penh
du Général.
Lors
d’un dîner à Mexico à la veille de l’événement, il déclara : « La France entend contribuer au développement du
Tiers-Monde, ce développement qui n’est pas à nos yeux une menace mais une
chance à saisir. » Même s’il confondait comme beaucoup la limite
Nord-Sud avec la ligne de l’équateur, il reprenait des accents gaulliens pour
affirmer « que chaque peuple a le droit de
déterminer lui-même sa vie, sa vérité, ses différences. »
Mais,
comme pour le Général, ce discours dit de Cancun ne devait guère avoir de
retombées concrètes. Si les pays du Sud ont vu leur situation s’améliorer, ils
ne le doivent nullement au tiers-mondisme verbal de dirigeants bien
intentionnés.
Les
discours pacifistes furent encore plus rapidement oubliés et les exportations
d’armes battirent tous les records. Mitterrand ne mit pas davantage fin au rôle
traditionnel de « gendarme de l’Afrique » joué par notre pays.
Un président atlantiste et
europhile
En
revanche, François Mitterrand allait se distinguer radicalement du fondateur de
la Cinquième par son atlantisme et son enthousiasme pour la construction
européenne.
L’entente
franco-allemande fut continuée et connut son apogée avec le couple
Mitterrand-Kohl. Le 22 septembre 1984 à Verdun les deux hommes rendirent
hommage aux « victimes des deux guerres mondiales » main dans la
main.
Mitterrand
joua un rôle de premier plan dans l’institution de l’Union européenne par le
traité de Maastricht (1992). Les Français furent moins enthousiastes et le
référendum ratifié à une faible majorité.
Loin
des craintes manifestées par certains lors de son élection, les chars
soviétiques n’allaient pas défiler sur les Champs-Élysées.
Lors
de la crise des euromissiles, il choisit son camp sans ambiguïté : « le pacifisme, il est à l’Ouest et les
euromissiles, ils sont à l’Est. »
Très
méfiant à l’égard de l’URSS, François Mitterrand eut de bonnes relations avec
George Bush et Bill Clinton.
Les échecs de la politique
étrangère mitterrandienne
Sa
sympathie pour Israël le distinguait nettement de ses prédécesseurs. Mais la
protection accordée par les parachutistes français à l’évacuation de Yasser
Arafat à Beyrouth en 1982 allait compliquer les relations franco-israéliennes.
De même, après avoir soutenu et armé l’Irak contre l’Iran, Mitterrand
l’abandonna du jour au lendemain après l’invasion du Koweït.
Par
sa participation à la Guerre du Golfe (1991), Mitterrand sut faire vibrer un
sentiment qui paraissait dépassé : le sentiment national. Sa popularité
remonta de façon spectaculaire. Mais cela ne devait pas durer.
N’imaginant
pas la chute du mur de Berlin, il montra de l’inquiétude face à la
réunification allemande. Lors de la tentative de coup d’État contre Gorbatchev,
il s’empressa trop rapidement de reconnaître ceux qu’il croyait les nouveaux
maîtres du Kremlin. Il dut ensuite accepter la dislocation de la Yougoslavie
sous la pression des Allemands.
Le
monde changeait décidément trop vite pour le président français qui ne le
comprenait plus.
Les mensonges présidentiels
Dès
les premiers mois de sa présidence, Mitterrand fut amené à mentir sur son état
de santé. Il apprit qu’il souffrait d’un cancer de la prostate. La Faculté lui
donnait un an mais le pouvoir conserve et, grâce à un traitement efficace, il
devait résister quatorze années à la mort. La maladie « secret
d’État » ne fut rendue publique qu’en 1992. Lui qui avait promis des
bulletins de santé réguliers, mentit donc sciemment à l’opinion publique
pendant 11 ans.
Non
moins inquiétant, le Président mit sur pied, dès 1982, une cellule
« antiterroriste » qui réalisa plus de deux mille écoutes. Les
« terroristes » en question étaient surtout les « ennemis du
président ». Des journalistes, des politiques, des hommes d’affaires, des
écrivains, des avocats, des comédiens et même des familiers étaient ainsi
surveillés. François Mitterrand se délectait semble-t-il des comptes-rendus de
ces écoutes.
La
cellule de l’Élysée surveillait particulièrement Jean-Edern Hallier, personnage
excentrique et ridicule, ex favori devenu un ennemi juré de François
Mitterrand.
En
1985, il préféra sacrifier son ministre de la défense, Charles Hernu, un vieil
ami, pour ne pas assumer ses responsabilités dans le sabotage du Rainbow Warrior. Lors du débat télévisé du 28
avril 1988, il déclara les yeux dans les yeux, que son Premier ministre lui
avait affirmé avoir des preuves de l’activité terroriste du diplomate iranien
Wahid Gordji. Jacques Chirac, qui n’était pourtant pas un novice, en resta
interloqué.
Le second septennat
Bien
que se sachant condamné, le Président était déterminé à se faire réélire. Cette
réélection de 1988 fut presque triomphale. François Mitterrand avait su
endosser les habits du président-arbitre de la « France unie ».
Voulant
satisfaire l’opinion publique souhaitant une politique modérée, il fit appeler
Rocard, qu’il détestait, à Matignon. Il composa cependant un gouvernement
d’éléphants socialistes pour mieux le neutraliser.
Avec
sa désinvolture habituelle et son sens du coup médiatique, François Mitterrand
le remplaça dès qu’il le put par Édith Cresson (1991). Une femme, pour la
première fois, dirigeait le gouvernement. Mais l’incompétence et la vulgarité
du nouveau Premier ministre jointes au machisme du monde politico-médiatique
mirent fin rapidement à l’expérience.
Moins
d’un an plus tard, elle était remerciée au profit de Pierre Bérégovoy, qui
piaffait d’impatience depuis la réélection de 1988. Le nouveau locataire de
Matignon s’empêtra vite, à son tour, dans les affaires.
Avec
ses gouvernements à répétition, un parfum de république parlementaire marquait
le second septennat. Le Président semblait prendre un malin plaisir à diviser
le Parti socialiste et préparer la défaite de la gauche en 1993.
La seconde cohabitation
Le
Parti socialiste, profondément divisé par ses querelles internes, s’effondra.
Le chômage dépassait les 10% d’actifs et le seuil des 3 millions de chômeurs.
Aux élections de 1993 la gauche fut balayée. Jamais la droite n’avait connu un
tel triomphe sous un régime républicain depuis le XIXe siècle.
La
seconde cohabitation fut très différente. N’étant pas candidat à sa succession,
vieilli et malade, François Mitterrand s’entendit mieux avec le Premier
ministre. Édouard Balladur, courtois et prudent, n’était d’ailleurs pas un
nouveau venu. Cet énarque avait joué un rôle très important auprès de Georges
Pompidou avant d’être le ministre de l’Économie et des Finances de la première
cohabitation. Homme d’expérience et d’autorité, il ne tarda pas à montrer des
ambitions présidentielles.
Les Grands travaux présidentiels
Depuis
Napoléon III, aucun chef d’État n’était resté aussi longtemps au pouvoir.
François Mitterrand fut ainsi le politique du XXe siècle qui imprima la marque
la plus visible sur le paysage parisien. Son goût le portait vers les
« formes géométriques pures et simples ».
Il
avait hérité des projets de l’ère giscardienne : le musée d’Orsay, la cité
des sciences de la Villette, l’Institut du monde arabe. La Grande Arche de la
Défense, le nouveau ministère des Finances à Bercy, l’Opéra Bastille, la Grande
Bibliothèque et l’achèvement du Grand Louvre portèrent en revanche davantage la
marque du monarque présidentiel.
La
pyramide de Ieoh Ming Pei restera le symbole du fait du Prince. Mitterrand
imposa, seul contre tous, ce projet très controversé qui se révélera finalement
une réussite.
Faute
d’offrir un bilan politique ou économique très positif, François Mitterrand
souhaitait laisser l’image d’un président ayant eu une grande politique
culturelle.
Fin de règne
De
plus en plus malade mais résolu à aller jusqu’au bout de son mandat, François
Mitterrand laissait éclater, avec une certaine complaisance, les
« révélations » sur son passé. Dans Paris-Match,
le 10 novembre 1994 le grand public découvrait un secret de polichinelle pour
les initiés, l’existence d’une fille naturelle du président.
Pierre
Péan publiait Une jeunesse française, François
Mitterrand 1934-1947, fruit notamment de longues interviews de
l’intéressé. Mitterrand n’hésita pas à la télévision à défendre la mémoire de
René Bousquet et à nier contre l’évidence qu’il ait pu connaître les
persécutions raciales menées par Vichy. Il donna par la suite l’absolution aux
soldats du IIIe Reich qui « eux aussi aimaient leur pays ».
Les
morts mystérieuses éclairaient d’un jour sordide la fin du règne mitterrandien.
Pierre Bérégovoy, hanté par des accusations de malhonnêteté et de corruption,
se suicidait le 1er mai 1993. L’année 1994 fut marquée par un autre étrange
suicide : François de Grossouvre, vieil ami et conseiller de Mitterrand,
mettait fin à ses jours dans son bureau de l’Élysée.
Le dernier des grands présidents
?
« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous
quitterai pas » déclarait-il dans sa dernière présentation de vœux
aux Français. Jusqu’à la fin, Mitterrand a voulu mettre en scène son règne.
Depuis novembre 1994, alité, le président ne pouvait plus guère assumer les
devoirs de sa charge. Il ne devait pas survivre plus de six mois à la fin de sa
présidence.
« En fait, je suis le dernier des grands
présidents » devait-il confier au journaliste Georges-Marc Benamou.
Si on en juge par ses trois successeurs, il n’avait pas tout à fait tort.
Sources :
- Serge Bernstein et Michel Winock (dir.), Histoire de la France politique, t. 4 : La république recommencée de 1914 à nos jours, Points Histoire, le Seuil 2008, 740 p.
- Jean-Jacques Becker, Crises et alternances 1974-1995 in Nouvelle Histoire de la France contemporaine, vol. 19, Points Histoire, Le Seuil 1998, 808 p.
- Georges Poisson, L’Élysée, histoire d’un palais, Pygmalion 2010, 523 p.
Source
contrepoints.org
Par Gérard-Michel
Thermeau.
- Gérard-Michel Thermeau, docteur en Histoire, est professeur agrégé d'Histoire-Géographie et de Cinéma-audiovisuel dans un lycée de Saint-Etienne.
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