dimanche 19 juillet 2020

Billets-Ils étaient Présidents : François Mitterrand


Ils étaient Présidents : François Mitterrand

Dernier portrait de la série : François Mitterrand, l’homme aux deux septennats, qui affirmait être le dernier des grands présidents de la République.

Après avoir rassemblé près de 27% des suffrages au premier tour, François Mitterrand (Jarnac, 26 octobre 1916 – Paris, 8 janvier 1996) l’emportait au second tour par 51,76% des voix en ce 10 mai 1981. Ainsi, après deux tentatives malheureuses, avait-il enfin réussi à se faire élire président de la République.

Il pouvait désormais laisser sa trace dans l’histoire. Seul président à accomplir deux septennats (1981-1995), Mitterrand devait ainsi marquer, pour le meilleur et le pire, la France à la fin du siècle dernier. Pour le « peuple de gauche », qu’il sut faire vibrer jusqu’au bout, il fut Tonton. Pour François Mauriac ce politique trop habile méritait plutôt le surnom de Florentin.

Il revenait pourtant de loin. Mitterrand ? « Une arsouille » assurait le Général. « Vous me voyez installer Mitterrand à Matignon ? ça voudrait dire qu’on retournerait à la IVe république ! » Mais comment les Français ne se seraient-ils pas reconnus en lui ? N’avait-il pas épousé toutes les idéologies du siècle de l’extrême-droite à la gauche marxiste ? Pétainiste et résistant, anticommuniste et allié du PCF, atlantiste et champion de l’exception française, que n’a été François Mitterrand ?

Ce prince de l’ambiguïté s’est-il mieux incarné que dans la fameuse affiche électorale de 1981 ? Le clocher, les trois couleurs et le slogan donnaient un parfum de Révolution nationale au candidat de la « rupture avec le capitalisme».

Censeur impitoyable de la pratique gaullienne du pouvoir, François Mitterrand n’eut de cesse de la perpétuer une fois entré à l’Élysée. Pouvait-il en être autrement pour cet ancien pétainiste qui méprisait les « masses » et considérait que le « bon plaisir » était la seule règle imposée aux gouvernants ?

Un parcours sinueux
La jeunesse de François Mitterrand est aujourd’hui bien connue. Issu d’une excellente famille de la bourgeoisie catholique, il se fit remarquer par un talent oratoire qu’il devait toujours cultiver. Étudiant en droit, militant dans le mouvement de jeunesse des Croix de Feu, il manifesta contre « l’invasion métèque » en 1935. Il se sentait alors proche de la Cagoule et du parti social français.

Mobilisé à la déclaration de guerre, il fut envoyé sur la ligne Maginot. Prisonnier en Allemagne, il se montra impressionné par la « force tranquille » caractérisant l’œuvre du IIIe Reich. S’étant évadé, il regagna la France et s’engagea dans la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale.

Tout en travaillant pour Vichy, il noua des contacts avec la résistance. Il fut reçu par le maréchal Pétain et décoré de la francisque. Une célèbre photo en témoigne. Ses amis cagoulards avaient contribué à cette consécration. Mais il ne coupa les ponts définitivement avec le régime, et encore progressivement, qu’au début de l’année 1943.

Son engagement dans la résistance lui ouvrit une place de premier plan après la guerre. Il lui permit aussi de connaître Danielle Gouze qu’il devait épouser en 1944.

Une figure de la Quatrième république
Sous la Quatrième république, sa carrière fut liée au plus important des petits partis du centre, l’UDSR1, collection d’individualités sans grande cohésion. S’il se fit élire député de la Nièvre en 1946, grâce aux soutiens du clergé et de notables conservateurs, il devait peu à peu dériver vers la gauche.

Prenant le contrôle de l’UDSR, il devait être onze fois ministre, participant à un gouvernement sur deux. Il ne parvint pourtant jamais à se faire nommer président du conseil.

Libéral sur les questions coloniales, il se montra en revanche intraitable pour l’Algérie, qui n’était pas considéré comme une colonie : « L’Algérie c’est la France » déclara celui qui était ministre de l’Intérieur de Mendès-France. Comme garde des sceaux de Guy Mollet, il fit adopter une loi donnant tous pouvoirs aux militaires en matière de justice, laissant ainsi le champ libre à la pratique de la torture.

L’adversaire du Général
Dès le 1er juin 1958, François Mitterrand se posa en adversaire résolu du général de Gaulle. Battu aux élections législatives, il trouva un refuge provisoire au Sénat. Il se fit également élire maire de Château-Chinon (1959-1981).

Au creux de la vague, il connut la disgrâce suite à la mystérieuse affaire de l’attentat de l’Observatoire. Avait-il organisé cette tentative d’attentat contre lui-même ? Ridiculisé en tout cas, il parut discrédité politiquement.

Ayant appelé à voter « non » au référendum de 1962, il retrouva néanmoins son siège de député. Son livre Le Coup d’État permanent l’imposa comme l’opposant par excellence du Général. Pamphlet violent, l’ouvrage ne manquait pas d’une certaine perspicacité que l’intéressé devait complètement oublier une fois au pouvoir.

Il réussit à s’imposer comme le candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle de 1965. Le slogan « Un président jeune pour une France moderne » soulignait cruellement le grand âge du président sortant. Au second tour, il mobilisa les voix de tous les antigaullistes, du PCF à l’extrême-droite, et obtint plus de 45% des voix. Ce succès inespéré lui permit de grouper la gauche non communiste au sein de la FGDS.

En mai 1968, il crut son heure arrivée. La veille de la disparition du Général, il se découvrit : « il convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la succession. » Mais le retour du Général et le raz de marée gaulliste aux élections législatives mirent un terme à ses espérances. Isolé, abandonné par les socialistes, il ne put se présenter à l’élection présidentielle de 1969.

Le Premier secrétaire du PS
Il comprit dès lors la nécessité de prendre le contrôle d’un grand parti. Le choix était limité. La vieille SFIO venait d’agoniser. Il réussit à s’imposer au sein du nouveau PS. Dans son discours au Congrès d’Epinay, le 11 juin 1971, Mitterrand désignait l’adversaire :
C’est le monopole ! terme extensif… pour signifier toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !

À défaut d’être socialiste, Mitterrand était un homme sans conviction, il avait appris à parler socialiste, devait dire Guy Mollet.

Le programme commun de la gauche était dès lors signé (27 juin 1972) qui éloignait les socialistes de la social-démocratie régnant dans le reste de l’Europe de l’Ouest. Même si le PCF devait abandonner la « dictature du prolétariat » en 1976 pour être mieux en phase avec « la France d’aujourd’hui », la gauche française se caractérisait par un singulier archaïsme.

« Je crois que j’aurais fait un bon président »
François Mitterrand ressentit durement sa défaite de 1974 : « Je ne retrouverai jamais plus des circonstances semblables, j’étais en mesure de gouverner, j’en avais la capacité physique, elle peut diminuer maintenant. »

Il dit à ses amis : « Je crois que j’aurais fait un bon président ».

Pourtant, en 1981, les circonstances étaient en réalité plus favorables. VGE était devenu « l’homme du passif ». L’Union de la Gauche avait entretemps éclaté. Les attaques violentes des communistes contre lui facilitèrent paradoxalement la tâche de François Mitterrand.
Ayant nettement devancé Georges Marchais, candidat PCF, au premier tour, il réussit à se faire élire malgré l’appui tiède des communistes. Mitterrand était désormais en position de force. Les communistes, quémandeurs, se déclarèrent prêts à assumer au gouvernement toutes leurs responsabilités.

Au soir du scrutin, le président élu faisait une déclaration dans le style pompeux qui lui était cher :
Cette victoire est d’abord celle des forces de la jeunesse, des forces du travail, des forces de création, des forces du renouveau qui se sont rassemblées dans un grand élan national pour l’emploi, la paix, la liberté… Elle est aussi celle de ces femmes, de ces hommes, humbles militants pénétrés d’idéal, qui, dans chaque commune de France, dans chaque ville, chaque village, toute leur vie, ont espéré ce jour où leur pays viendrait enfin à leur rencontre.

Mais sa victoire était davantage la défaite de Valéry Giscard d’Estaing. Désormais chaque nouvelle élection devait voir sortir les sortants.

Le goût de la pompe en toutes circonstances
Son goût de la pompe se révélait dans la cérémonie d’investiture où le sublime n’était pas loin du ridicule. Il avait marché jusqu’au Panthéon avant de déposer des roses sur les tombeaux de Victor Schœlcher, Jean Jaurès et Jean Moulin.

Avec l’État de grâce, comme il le confiait à Jean Daniel en 1984 : « Je pouvais tout faire » Et les noms qui lui venaient naturellement à la bouche étaient ceux de Lénine et Robespierre !
Pourtant, nouveau roi Soleil, il invitait somptueusement le G7 au château de Versailles. Le philosophe Jean Guitton notait malicieusement :
Mitterrand était royaliste quand je l’ai connu. Il est resté, non pas royaliste mais royal. Il suffit de le voir faire trois pas dans l’espace, il est comme Louis XIV.

Le contempteur du Général essaya vite les habits du grand homme disparu. Il occupa à l’Élysée l’ancien bureau du Salon doré. Il aurait bien aimé s’installer aux Invalides plutôt que dans cette trop petite résidence présidentielle. À la fin de sa présidence, il finit par reconstituer le bureau du Général dans son état d’origine.

La monarchie socialiste
Edgar Faure s’était montré naïf : l’alternance fonctionnait très bien sous la Vème république. François Mitterrand se garda bien de modifier la Constitution ou de réduire les pouvoirs du Président.

Le secrétaire général de l’Élysée, Pierre Bérégovoy, surveillait de près l’action du Premier ministre. François Mitterrand traitait Mauroy en « majordome ». Il intervint fortement dans la composition du gouvernement, refusant la participation de Georges Marchais et limitant les communistes à des ministères secondaires et techniques.

Néanmoins, Mitterrand, comme de Gaulle, n’était pas homme à vouloir se mêler de la gestion quotidienne. Il préférait conserver de la hauteur devant les résultats vite catastrophiques de la politique gouvernementale.

La flagornerie était la règle autour du monarque. Jack Lang et Georges Kiejman étaient de petits joueurs en comparaison de Jacques Attali. Le premier des conseillers, « Psyché du président », pratiquait l’encens plus que de raison.

Aux trente-six conseillers du président s’ajoutaient les dix-huit collaboratrices de son épouse. Le népotisme devait régner en maitre sous la présidence de François Mitterrand.

Le locataire de l’Élysée
Comme beaucoup de contempteurs de l’argent, Mitterrand avait des goûts de luxe. S’il ne mettait jamais les pieds dans la cuisine, il était un gourmet très exigeant. Le foie gras était de rigueur à la table élyséenne.

Faute d’y vivre, il rendit plus confortable et fonctionnel le « Château ». Parmi les nombreux travaux engagés, il rendit son lustre à la très vétuste salle des fêtes.

Dans l’appartement privé, le XVIIIe giscardien céda la place au retour à la modernité. Les Mitterrand se voulaient un couple « à la Pompidou » mais avec un goût artistique peut-être moins personnel. N’arrivant pas à choisir, le couple présidentiel partagea les diverses pièces entre plusieurs décorateurs. Le résultat fut, disons, hétéroclite.

Danielle Mitterrand n’apprécia guère d’ailleurs sa chambre décorée par Philippe Starck. L’épouse du président crut devoir envoyer sa femme de chambre à l’artiste pour s’en plaindre : curieux comportement de bourgeoise du XIXe siècle pour une adoratrice des révolutionnaires latino-américains.

S’il n’était plus question de résider au « Château », le président passait parfois certaines nuits dans une chambre aménagée pour lui. Mais pour le reste, l’Élysée n’était pas autre chose qu’un bureau où le président arrivait le matin et qu’il quittait le soir. Comme Armand Fallières, il aimait faire chaque jour une promenade dans les rues de Paris sans trop se soucier de sa sécurité.

Pour le reste, le président se partageait entre ses deux femmes et ses deux foyers.

Des réformes spectaculaires
Se plaçant sous l’héritage du Front populaire, le gouvernement lança un grand nombre de réformes : augmentation du SMIC, des retraites, des allocations familiales, réduction de la semaine de travail à 39 heures et âge de la retraite à 60 ans, impôt sur les grandes fortunes.
Une vague de nationalisations plaça sous le contrôle de l’État de grands groupes industriels et tout le secteur bancaire encore privé. Alors qu’il suffisait de prendre le contrôle de 51% du capital, Mitterrand exigea 100%, ce qui coûta une fortune aux contribuables.

L’insouciance à l’égard de l’argent public contribua également au déficit de la Sécurité sociale : un problème qui n’allait guère trouver de solution dans les décennies à venir.
La loi Quilliot initiait une politique visant à favoriser les locataires. Les conséquences sur le logement furent catastrophiques. Les lois Auroux accordant des droits importants aux salariés n’empêchèrent pas la montée du chômage.

D’autres réformes se révélèrent plus durables ou positives : la décentralisation, l’abolition de la peine de mort, la libéralisation de la télévision et de la radio. La France était le dernier pays européen à exécuter les criminels. Braver l’opinion sur cette question témoignait d’un certain courage politique. La fin du « monopole d’État  » sur les images et les sons n’était pas rien non plus.

Un rapide échec économique et politique
Michel Rocard avait vite été « terrifié » par l’inculture économique du nouveau gouvernement. Le résultat de la croissance démesurée des dépenses et de la politique de relance se ne firent pas attendre : inflation galopante, très fort endettement de l’État, augmentation du déficit commercial, hausse du chômage, effondrement du franc.

Après avoir songé à remplacer Mauroy par le raide et trop sévère Jacques Delors, le président conserva son Premier ministre qui dut avaler les couleuvres du virage à 180°. Dès le 4 novembre 1982, Pierre Mauroy annonçait le retour à la rigueur pour rétablir les « grands équilibres ».

Le président dut réunir tous les mardis, dans le salon Pompadour, un Conseil restreint consacré à ces questions économiques qui le dépassaient. Jacques Delors, ministre de l’Économie, avait du mal à se retenir devant les propos de certains qui souhaitaient encore et toujours emprunter !

Le dogmatisme socialiste subit un coup rude avec l’échec du projet Savary de suppression de l’école privée. La réaction de la société civile fit reculer le pouvoir. « L’enfant n’appartient à personne et surtout pas à l’État » crut devoir rappeler Mgr Lustiger, archevêque de Paris, au Monde en juin 1984.

Mauroy, usé, fut remplacé par Laurent Fabius. Soucieux d’un coup médiatique, Mitterrand avait choisi de nommer le plus jeune Premier ministre de l’histoire républicaine. Mais l’affaire Greenpeace, les troubles de Nouvelle-Calédonie en attendant le scandale du sang contaminé allaient vite couler le nouveau chef du gouvernement dans l’esprit public.

La première cohabitation et les succès du FN
À la télévision, le président dut se résigner à subir les familiarités d’Yves Mourousi. Le présentateur vedette lui demanda s’il était « chébran ». Pincé, François Mitterrand répondit : « C’est déjà un peu dépassé. Vous auriez dû dire : câblé ».

Avec sa rouerie habituelle, François Mitterrand tenta de conjurer la défaite annoncée en introduisant le scrutin proportionnel pour les législatives de 1986. Il venait fort opportunément de se souvenir qu’il s’agissait d’une de ses 110 propositions de 1981. Le président, qui annonçait également être favorable au vote des étrangers, favorisait ainsi sciemment la montée du Front national.

Mais la droite réussit pourtant a obtenir une majorité en sièges. Refusant de démissionner, François Mitterrand nomma Jacques Chirac comme Premier ministre. A son habitude, il donna l’impression qu’il avait choisi ce qui lui avait été imposé par les circonstances. Mais désormais le roi était nu : la nature non écrite des pouvoirs présidentiels se révéla sous une lumière crue.

Cette première cohabitation se passa très mal. Le Président ne voulut pas poser avec les membres du gouvernement sur le perron de l’Élysée. Lors des conseils des ministres, François Mitterrand refusait de leur serrer la main. Il refusait de signer certaines ordonnances et campait en chef de l’opposition. Il sut profiter avec maestria de toutes les difficultés rencontrées par le gouvernement.

Beaux discours et réalités
Participant à la conférence de Cancun (octobre 1981) sur les rapports Nord-Sud, François Mitterrand profita de l’occasion pour définir les positions de la France sur les questions de développement. Son « message d’espoir à tous les combattants de la liberté » se voulait le pendant du discours de Pnom Penh du Général.

Lors d’un dîner à Mexico à la veille de l’événement, il déclara : « La France entend contribuer au développement du Tiers-Monde, ce développement qui n’est pas à nos yeux une menace mais une chance à saisir. » Même s’il confondait comme beaucoup la limite Nord-Sud avec la ligne de l’équateur, il reprenait des accents gaulliens pour affirmer « que chaque peuple a le droit de déterminer lui-même sa vie, sa vérité, ses différences. »
Mais, comme pour le Général, ce discours dit de Cancun ne devait guère avoir de retombées concrètes. Si les pays du Sud ont vu leur situation s’améliorer, ils ne le doivent nullement au tiers-mondisme verbal de dirigeants bien intentionnés.

Les discours pacifistes furent encore plus rapidement oubliés et les exportations d’armes battirent tous les records. Mitterrand ne mit pas davantage fin au rôle traditionnel de « gendarme de l’Afrique » joué par notre pays.

Un président atlantiste et europhile
En revanche, François Mitterrand allait se distinguer radicalement du fondateur de la Cinquième par son atlantisme et son enthousiasme pour la construction européenne.
L’entente franco-allemande fut continuée et connut son apogée avec le couple Mitterrand-Kohl. Le 22 septembre 1984 à Verdun les deux hommes rendirent hommage aux « victimes des deux guerres mondiales » main dans la main.

Mitterrand joua un rôle de premier plan dans l’institution de l’Union européenne par le traité de Maastricht (1992). Les Français furent moins enthousiastes et le référendum ratifié à une faible majorité.

Loin des craintes manifestées par certains lors de son élection, les chars soviétiques n’allaient pas défiler sur les Champs-Élysées.
Lors de la crise des euromissiles, il choisit son camp sans ambiguïté : « le pacifisme, il est à l’Ouest et les euromissiles, ils sont à l’Est. »

Très méfiant à l’égard de l’URSS, François Mitterrand eut de bonnes relations avec George Bush et Bill Clinton.

Les échecs de la politique étrangère mitterrandienne
Sa sympathie pour Israël le distinguait nettement de ses prédécesseurs. Mais la protection accordée par les parachutistes français à l’évacuation de Yasser Arafat à Beyrouth en 1982 allait compliquer les relations franco-israéliennes. De même, après avoir soutenu et armé l’Irak contre l’Iran, Mitterrand l’abandonna du jour au lendemain après l’invasion du Koweït.
Par sa participation à la Guerre du Golfe (1991), Mitterrand sut faire vibrer un sentiment qui paraissait dépassé : le sentiment national. Sa popularité remonta de façon spectaculaire. Mais cela ne devait pas durer.

N’imaginant pas la chute du mur de Berlin, il montra de l’inquiétude face à la réunification allemande. Lors de la tentative de coup d’État contre Gorbatchev, il s’empressa trop rapidement de reconnaître ceux qu’il croyait les nouveaux maîtres du Kremlin. Il dut ensuite accepter la dislocation de la Yougoslavie sous la pression des Allemands.
Le monde changeait décidément trop vite pour le président français qui ne le comprenait plus.

Les mensonges présidentiels
Dès les premiers mois de sa présidence, Mitterrand fut amené à mentir sur son état de santé. Il apprit qu’il souffrait d’un cancer de la prostate. La Faculté lui donnait un an mais le pouvoir conserve et, grâce à un traitement efficace, il devait résister quatorze années à la mort. La maladie « secret d’État » ne fut rendue publique qu’en 1992. Lui qui avait promis des bulletins de santé réguliers, mentit donc sciemment à l’opinion publique pendant 11 ans.
Non moins inquiétant, le Président mit sur pied, dès 1982, une cellule « antiterroriste » qui réalisa plus de deux mille écoutes. Les « terroristes » en question étaient surtout les « ennemis du président ». Des journalistes, des politiques, des hommes d’affaires, des écrivains, des avocats, des comédiens et même des familiers étaient ainsi surveillés. François Mitterrand se délectait semble-t-il des comptes-rendus de ces écoutes.

La cellule de l’Élysée surveillait particulièrement Jean-Edern Hallier, personnage excentrique et ridicule, ex favori devenu un ennemi juré de François Mitterrand.

En 1985, il préféra sacrifier son ministre de la défense, Charles Hernu, un vieil ami, pour ne pas assumer ses responsabilités dans le sabotage du Rainbow Warrior. Lors du débat télévisé du 28 avril 1988, il déclara les yeux dans les yeux, que son Premier ministre lui avait affirmé avoir des preuves de l’activité terroriste du diplomate iranien Wahid Gordji. Jacques Chirac, qui n’était pourtant pas un novice, en resta interloqué.

Le second septennat
Bien que se sachant condamné, le Président était déterminé à se faire réélire. Cette réélection de 1988 fut presque triomphale. François Mitterrand avait su endosser les habits du président-arbitre de la « France unie ».

Voulant satisfaire l’opinion publique souhaitant une politique modérée, il fit appeler Rocard, qu’il détestait, à Matignon. Il composa cependant un gouvernement d’éléphants socialistes pour mieux le neutraliser.

Avec sa désinvolture habituelle et son sens du coup médiatique, François Mitterrand le remplaça dès qu’il le put par Édith Cresson (1991). Une femme, pour la première fois, dirigeait le gouvernement. Mais l’incompétence et la vulgarité du nouveau Premier ministre jointes au machisme du monde politico-médiatique mirent fin rapidement à l’expérience.
Moins d’un an plus tard, elle était remerciée au profit de Pierre Bérégovoy, qui piaffait d’impatience depuis la réélection de 1988. Le nouveau locataire de Matignon s’empêtra vite, à son tour, dans les affaires.

Avec ses gouvernements à répétition, un parfum de république parlementaire marquait le second septennat. Le Président semblait prendre un malin plaisir à diviser le Parti socialiste et préparer la défaite de la gauche en 1993.

La seconde cohabitation
Le Parti socialiste, profondément divisé par ses querelles internes, s’effondra. Le chômage dépassait les 10% d’actifs et le seuil des 3 millions de chômeurs. Aux élections de 1993 la gauche fut balayée. Jamais la droite n’avait connu un tel triomphe sous un régime républicain depuis le XIXe siècle.

La seconde cohabitation fut très différente. N’étant pas candidat à sa succession, vieilli et malade, François Mitterrand s’entendit mieux avec le Premier ministre. Édouard Balladur, courtois et prudent, n’était d’ailleurs pas un nouveau venu. Cet énarque avait joué un rôle très important auprès de Georges Pompidou avant d’être le ministre de l’Économie et des Finances de la première cohabitation. Homme d’expérience et d’autorité, il ne tarda pas à montrer des ambitions présidentielles.

Les Grands travaux présidentiels
Depuis Napoléon III, aucun chef d’État n’était resté aussi longtemps au pouvoir. François Mitterrand fut ainsi le politique du XXe siècle qui imprima la marque la plus visible sur le paysage parisien. Son goût le portait vers les « formes géométriques pures et simples ».

Il avait hérité des projets de l’ère giscardienne : le musée d’Orsay, la cité des sciences de la Villette, l’Institut du monde arabe. La Grande Arche de la Défense, le nouveau ministère des Finances à Bercy, l’Opéra Bastille, la Grande Bibliothèque et l’achèvement du Grand Louvre portèrent en revanche davantage la marque du monarque présidentiel.

La pyramide de Ieoh Ming Pei restera le symbole du fait du Prince. Mitterrand imposa, seul contre tous, ce projet très controversé qui se révélera finalement une réussite.

Faute d’offrir un bilan politique ou économique très positif, François Mitterrand souhaitait laisser l’image d’un président ayant eu une grande politique culturelle.

Fin de règne
De plus en plus malade mais résolu à aller jusqu’au bout de son mandat, François Mitterrand laissait éclater, avec une certaine complaisance, les « révélations » sur son passé. Dans Paris-Match, le 10 novembre 1994 le grand public découvrait un secret de polichinelle pour les initiés, l’existence d’une fille naturelle du président.

Pierre Péan publiait Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947, fruit notamment de longues interviews de l’intéressé. Mitterrand n’hésita pas à la télévision à défendre la mémoire de René Bousquet et à nier contre l’évidence qu’il ait pu connaître les persécutions raciales menées par Vichy. Il donna par la suite l’absolution aux soldats du IIIe Reich qui « eux aussi aimaient leur pays ».

Les morts mystérieuses éclairaient d’un jour sordide la fin du règne mitterrandien. Pierre Bérégovoy, hanté par des accusations de malhonnêteté et de corruption, se suicidait le 1er mai 1993. L’année 1994 fut marquée par un autre étrange suicide : François de Grossouvre, vieil ami et conseiller de Mitterrand, mettait fin à ses jours dans son bureau de l’Élysée.

Le dernier des grands présidents ?
« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas » déclarait-il dans sa dernière présentation de vœux aux Français. Jusqu’à la fin, Mitterrand a voulu mettre en scène son règne. Depuis novembre 1994, alité, le président ne pouvait plus guère assumer les devoirs de sa charge. Il ne devait pas survivre plus de six mois à la fin de sa présidence.

« En fait, je suis le dernier des grands présidents » devait-il confier au journaliste Georges-Marc Benamou. Si on en juge par ses trois successeurs, il n’avait pas tout à fait tort.

Sources :
  • Serge Bernstein et Michel Winock (dir.), Histoire de la France politique, t. 4 : La république recommencée de 1914 à nos jours, Points Histoire, le Seuil 2008, 740 p.
  • Jean-Jacques Becker, Crises et alternances 1974-1995 in Nouvelle Histoire de la France contemporaine, vol. 19, Points Histoire, Le Seuil 1998, 808 p.
  • Georges Poisson, L’Élysée, histoire d’un palais, Pygmalion 2010, 523 p.

Source contrepoints.org
Par Gérard-Michel Thermeau.


  • Gérard-Michel Thermeau, docteur en Histoire, est professeur agrégé d'Histoire-Géographie et de Cinéma-audiovisuel dans un lycée de Saint-Etienne.

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