Ils étaient Présidents : René Coty
Révisez votre
histoire politique française en cette époque de présidentielle, avec un beau
portrait de René Coty, dernier président de la IVe République française.
L’élection de
René Coty (Le Havre, 20 mars 1882 – 27 novembre 1962) a été la plus curieuse et
la plus calamiteuse de l’histoire de la République. En ce 23 décembre 1953, la
presse internationale suivait, à la fois hilare et perplexe, le curieux manège
qu’offrait l’élection du nouveau président de la République. Dans une admirable
démonstration de l’impuissance du régime, les parlementaires n’arrivaient pas à
se mettre d’accord sur le nom du futur chef de l’État. Depuis une semaine,
douze tours de scrutin s’étaient succédé sans résultat !
Finalement, au
septième jour, et au treizième tour s’imposa René Coty. Son nom n’était apparu
que tardivement.
En effet, au
11e tour, 71 parlementaires avaient voté en sa faveur. Aussi Coty se
déclara-t-il candidat au 12e tour. Il frôla la majorité absolue. Le tour
suivant fut le bon : par 477 voix contre 329 au socialiste Édouard
Naegelen, il devint le dix-septième président de la République.
L’intéressé en
fut le premier surpris. Il était venu à Versailles sans emporter d’habit noir,
ne songeant pas un seul instant qu’il puisse être élu. Il avait pourtant le
profil idéal du président : une longue carrière parlementaire, une personnalité
discrète, des opinions modérées, un nom inconnu du grand public. Son élection
paraissait marquer un retour à la Troisième république.
L’élection d’une prostate
L’anecdote
est bien connue : René Coty devint président à cause de sa prostate.
Devant se faire opérer, il avait été absent du Conseil de la République au
moment du vote sur la CED.
Or
la question de la création d’une armée européenne avait été une pomme de
discorde qui s’était rajoutée au traditionnel affrontement droite-gauche,
lui-même compliqué par la compétition entre l’indépendant Joseph Laniel et le
radical Henri Queuille.
Les
représentants du « système » pouvaient soupirer de soulagement. Avec
l’intronisation de ce parfait inconnu, la présidence serait entre les mains
d’une médiocrité patentée qui ne causerait aucun souci.
Mais
René Coty était destiné à surprendre tout le monde. Il allait contribuer à
mettre un terme à cette Quatrième république qui n’en finissait pas de
décliner.
« En avant avec le
sourire »
Cet
enfant du Havre avait fait ses études au collège Saint-Michel, établissement
œcuménique qui accueillait catholiques et protestants. Il avait été fondé par
le grand-père de René Coty et était dirigé par ses parents. S’il était à la
tête d’une école libre, le père était néanmoins un républicain convaincu.
Licencié
en droit et en philosophie, René Coty joua un rôle actif à l’association
générale des étudiants caennais. Syndicaliste actif, il représenta ses
camarades au Congrès international des étudiants de Paris en 1900.
Esprit
libéral s’il en fut, René Coty était ainsi défini par André Siegfried : « Une absence totale de fanatisme, le respect de la
position adverse, et tout au fond le sentiment que la vérité n’est peut-être
pas tout entière du même côté. »
Très
cultivé, il devait être un brillant avocat du barreau du Havre et occuper deux
fois les fonctions de bâtonnier.
Exempté
du service militaire, il fut engagé volontaire en 1914 et partit pour le front.
Aussi cet ancien combattant devait recevoir la croix du combattant volontaire
et la croix de guerre.
Un parlementaire havrais
René
Coty n’avait jamais occupé de poste majeur. Il était le type même du
parlementaire connu localement. Il avait fait son apprentissage politique
auprès de Jules Siegfried, éminente personnalité de la vie politique havraise.
Après la mort de Siegfried, il hérita en quelque sorte de son siège sous
l’étiquette de l’Union républicaine démocratique.
Député (1923-1935) puis sénateur (1935-1940)
de la Seine Inférieure, il ne s’était jamais fait remarquer. Il avait soutenu
la politique de Raymond Poincarélors de ses deux gouvernements. Appelé par
Théodore Steeg à faire partie du cabinet comme sous-secrétaire d’État à
l’Intérieur, il démissionna en décembre 1930 avant même la présentation du
ministère devant la Chambre.
Parlementaire
très sérieux, membre de plusieurs commissions, il s’était vite convaincu de
l’impuissance des institutions parlementaires. Ce constat était de plus en plus
largement partagé mais ne déboucha jamais sur la moindre réforme.
Il
souhaitait « mettre un terme à d’interminables
discussions qui n’aboutissent pas ou qui aboutissent à des votes brusqués et à
des lois bâclées ». Mais aucune de ses propositions ne fut jamais
sérieusement discutée. En 1934 un de ses textes portait en exergue : « S’adapter ou disparaître – Le parlement est au
carrefour ». La commission de la Réforme de l’État n’eut qu’une
brève existence, Léon Blum mettant fin à l’expérience dès 1936.
D’une république à l’autre
En
1940, il avait suivi le troupeau et voté les pleins pouvoirs au Maréchal. S’il
se retira et cessa toute activité politique pendant l’Occupation, seul son
engagement dans la résistance lui évita d’en subir les conséquences
après-guerre. Bien qu’ayant refusé d’être le maire vichyste du Havre, il fut
déclaré inéligible à la libération.
La
condamnation fut brève, il fut réhabilité en octobre 1945 par le jury
d’honneur.
Siégeant
dans les deux assemblées constituantes successives, il s’était prononcé contre
la Constitution de la Quatrième république.
Il
retrouva sa place à la Chambre des députés (1946-1948) puis au Sénat devenu
Conseil de la République (1948-1953) dont il devait être vice-président.
Nommé
ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme (1947-1948), il conserva cette
fonction dans trois gouvernements successifs.
Locataire en meublé
« Je suis locataire en meublé » aimait dire
ce président qui ne manquait pas d’humour. Modeste, bienveillant et discret, le
président réussit à se faire apprécier des Français. Marié avec Germaine
Corblet, il offrait l’image d’un époux comblé : « Pour que papa et maman se fâchent, disaient leurs filles, il faudrait un tremblement de terre. Et encore !
»
Découragé
par le décès de son épouse en 1955, il songea à se retirer. Finalement, rejoint
par ses deux filles, il se maintint à son poste.
Il
devait montrer ses qualités lors des sept crises ministérielles qui devaient
éclater sous sa présidence. Ses idées n’avaient pas changé depuis les années
30. Ses déclarations publiques furent sans ambiguïté. À Dunkerque, en octobre
1955, il déclara : « La réforme de l’État est
la clé des autres ». À Verdun, l’année suivante, il répéta : « La révision de nos institutions comme de nos méthodes
est, pour nous, une tâche primordiale. »
Le Conseiller de la République
Sans
prendre publiquement position sur les grands problèmes, il intervenait
néanmoins longuement lors des conseils des ministres. René Coty se voulait un
conseiller au service des gouvernements.
Il
ne cherchait jamais à faire triompher ses préférences personnelles mais à
désigner l’homme le mieux à même de mener la politique souhaitée par la
majorité. Cet homme de droite, européen convaincu, n’hésita pas à appeler en
consultation les parlementaires communistes.
À
la surprise générale, Coty choisit Pierre Mendès-France pour trouver une
solution au conflit indochinois en juin 1954. Le nouveau président du Conseil
constitua son gouvernement sans consulter les partis. Il sortit la France du
bourbier indochinois et ouvrit la voie à l’indépendance de la Tunisie. Refusant
de prendre position sur la question de la CED, il s’attira la haine du MRP
lorsque le projet d’armée européenne fut repoussé par une majorité de députés.
L’art de choisir un président du
conseil
Son
habileté à imposer un président du conseil se manifesta particulièrement à
l’occasion de la succession de Mendès en février 1955. Le MRP avait provoqué la
chute de Mendès-France à propos de l’Afrique du Nord. Selon la logique propre à
la Quatrième république, les démocrates-chrétiens approuvaient la politique
tunisienne mais souhaitaient se venger de l’échec de la CED.
Qui
allait succéder à Mendès ?
Coty
mena diverses consultations. Il proposa d’abord la candidature Pinay, qui
échoua : le MRP ne désirait pas être rejeté à droite. Le président voulut
mettre les députés MRP face à leurs responsabilités et choisit l’un des leurs,
Pfimlin. Les radicaux, soucieux de venger Mendès, firent capoter la tentative.
Logiquement, ne trouvant pas d’issue à droite, le chef de l’État se tourna vers
un homme de gauche. Le socialiste Pineau fut accueilli trop favorablement par
le MRP, ce qui incita les autres partis à s’y opposer.
Ayant
fait la démonstration de l’impossibilité des autres solutions, René Coty
pouvait ainsi désigner le candidat qu’il souhaitait voir arriver à la
présidence du conseil : Edgar Faure. Un radical succédait à un autre
radical.
L’épisode
soulignait combien la nomination du chef de gouvernement réclamait de doigté de
la part du chef de l’État. À ce jeu, René Coty se révélait un habile tacticien.
La fatale dissolution de 1956
Edgar
Faure, de plus, n’était pas né de la dernière pluie. Il avait constitué son
gouvernement mais sans nommer les secrétaires d’État. Il n’hésita pas à
promettre un portefeuille à 62 « hésitants » qui votèrent ainsi la
confiance ! Après tout, les promesses n’engageaient que ceux qui avaient la
naïveté d’y croire.
Il
avait ainsi fallu 18 jours pour retrouver un gouvernement de même composition.
Edgar Faure poursuivit la politique tunisienne de Mendès et se montra favorable
à l’émancipation du Maroc.
Ne
parvenant pas à disposer d’une majorité solide pour mener une politique
énergique, Edgar Faure devait prendre une décision inouïe, pour la première
fois depuis 1876 : l’Assemblée lui ayant refusé la confiance (novembre 1955),
il refusa de démissionner et décida de recourir à la dissolution !
La course à l’abîme
Les
élections de 1956 devaient être particulièrement disputées, le taux de
participation étant le plus élevé depuis la libération. Si le gaullisme avait
cessé d’exister sur le terrain électoral, le « poujadisme » fit son
entrée en force. Mais la victoire revint au « Front républicain »
réunissant radicaux mendésistes et socialistes.
Le
PCF ayant fait un bon score, la SFIO devenait l’élément obligé de toute
coalition. À son grand dépit, Edgar Faure était écarté au profit de Guy Mollet.
Le président de la République avait tenu compte de l’arithmétique parlementaire
et choisit le chef du parti le plus nombreux sur les bancs de l’Assemblée.
Ce
choix devait être fatidique pour la Quatrième République. En envoyant le
contingent en Algérie, Guy Mollet abandonnait la fiction de la pacification
pour entrer dans une logique de guerre. L’Algérie devait être le tombeau de la
République parlementaire.
Une situation inextricable
René
Coty avait chargé Chaban-Delmas, ministre du gouvernement Mollet, de
transmettre un message au général de Gaulle :
Je constate comme vous que la France est
ingouvernable dans les conditions actuelles, autrement dit, que les
institutions ne peuvent rester en l’état. Mais j’en suis le gardien et il ne
faut pas compter que je les viole. Cela étant, mon devoir est de rester aux
aguets pour trouver une issue. Voulez-vous faire savoir au général de Gaulle
que je suis dans cet état d’esprit ? Voulez-vous ajouter que je le tiens pour
le seul homme capable de tirer la France de ce marasme ? Dites-lui que si une
crise se présente et qu’elle soit assez grave pour que je puisse tirer au
maximum sur le crédit que la Constitution octroie au président de la
République, je ne manquerais pas de m’engager à fond en faisant appel à lui
pour former le gouvernement, dans le cadre de nos institutions, afin
précisément de changer celles-ci.
Admirateur
du général, convaincu des vices du régime, le président de la République
n’allait pas tarder à manifester ses préférences. René Coty était résolu à
mettre tout son poids dans la balance. N’avait-il pas dès son message inaugural
en 1954 rendu hommage au « premier résistant » ?
Dès
le 5 mai 1958, Coty était persuadé du caractère inextricable de la situation.
Il envoya le chef de la maison militaire de l’Élysée rencontrer des fidèles du
général pour sonder les intentions de Charles de Gaulle. Néanmoins, le chef de
l’État était très soucieux du respect des règles constitutionnelles que le
général paraissait prêt à bafouer. Un compromis fut trouvé. Le général se
présenterait devant l’Assemblée, lirait sa déclaration puis se retirerait sans
répondre aux questions ni assister au vote.
Le Président fait pression sur le
parlement
Le
message du 29 mai 1958 au Parlement fit l’effet d’une bombe. Le droit de
message du Président était tombé en désuétude depuis la malheureuse expérience
de Mac-Mahon. Seul Alexandre Millerand avait voulu l’utiliser en 1924 à la
veille d’être acculé à la démission.
Quatre ans et demi auront bientôt passé, sans que mes
appels de plus en plus instants soient suivis d’effet. L’État n’a cessé de se
désagréger. Nous voici maintenant au bord de la guerre civile… Dans le péril de
la Patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des
Français, vers celui qui, aux années les plus sombres de notre histoire, fut
notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui
l’unanimité nationale, refusa la dictature pour établir la République…
René
Coty menaçait de démissionner si l’Assemblée n’accordait pas sa confiance au
Général. Beaucoup s’en indignèrent. Vincent Auriol dut intervenir pour rallier
les socialistes à une issue qui paraissait désormais inévitable.
Avec
le Général, les conseils des ministres prirent l’allure de brèves formalités.
René Coty, qui avait l’habitude d’intervenir, resta désormais silencieux.
De
Gaulle eut néanmoins la courtoisie de le consulter sur les questions
constitutionnelles. Le président proposa ainsi divers amendements, dont
certains furent retenus, notamment concernant l’indépendance de la
magistrature. Favorable au système prévu pour l’élection du chef de l’État, il
devait en revanche se montrer hostile en 1962 à la désignation au suffrage
universel direct.
Merci, monsieur Coty
À
Rethondes, le 11 novembre 1958, René Coty évoqua ainsi sa prochaine retraite :
« Entendez bien le vieil homme qui aujourd’hui
vous parle sans doute pour la dernière fois… »
Le
28 novembre, de Gaulle rendit visite à Coty sous prétexte de lui demander
conseil. « Le chef de la nation doit être
le chef de l’État. » répondit Coty. Il confirma son intention de ne
pas solliciter le renouvellement de son mandat, laissant le champ libre à une
candidature du Général.
Il
versera une larme en découvrant des centaines de milliers de cartes postales
envoyées à l’Élysée par des Français avec ces quelques mots : « Merci, monsieur Coty ».
Le 8 janvier 1959
Ce
jour là le président sortant sut trouver les mots qu’il fallait.
Monsieur le président de la République,
Le premier des Français est désormais le premier en
France. En lui remettant la charge de cette maison capitale, je suis fier de
lui renouveler l’hommage qu’en y entrant j’avais tenu à lui rendre au nom de la
patrie à jamais reconnaissante.
La patrie, c’est quand elle était au plus profond de
l’abîme que le Général s’est acquis devant l’histoire la gloire impérissable de
l’appeler au combat pour l’honneur et la liberté. La patrie c’est quand elle
était au bord de l’abîme qu’à son tour elle a fait appel au général de Gaulle.
Le péril mortel que j’avais en vain dénoncé dès
longtemps vous l’avez aussitôt conjuré. Le peuple de France, si divisé
autrefois, a retrouvé autour de vous son unité profonde.
Pour la première fois dans notre pays une révolution
– révolution nécessaire, révolution constructive – a pu s’accomplir dans le
calme des esprits et dans le respect des lois mêmes qu’il s’agissait de
réformer.
De
Gaulle se fit aussi charmeur qu’il pouvait l’être :
Vos paroles, Monsieur le président, dont la sagesse
est d’autant plus frappante qu’elles ont été prononcées par un grand citoyen
quittant avec une dignité parfaite le mandat qu’il a exercé d’une manière
vraiment exemplaire, la proclamation solennelle des résultats, la noble adresse
du président du Conseil constitutionnel, la présence du gouvernement, confèrent
à notre réunion le caractère de majesté qui convient à son sujet.
Mais
il ne fallait pas trop demander au Général.
Les
deux hommes avaient remonté ensemble les Champs Élysées jusqu’à l’arc de
Triomphe pour la cérémonie au soldat inconnu. Après la cérémonie, le Général se
laissa aller à un bain de foule, oubliant le pauvre Coty qui quitta les lieux,
discret et solitaire.
Les dernières années de René Coty
René
Coty put dès lors prendre congé de la vie politique. Il se retira dans sa bonne
ville du Havre. L’ancien président revint de temps à autre à Paris pour siéger
au Conseil constitutionnel dont il était membre de droit.
Coty
eut des funérailles nationales au milieu d’une foule recueillie et en présence
du Président de la République. Sa tombe dans le cimetière Sainte-Marie du Havre
est à l’image du personnage, toute de simplicité.
Sources :
- Jean Jolly, Dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, 1960-1977
- Philip Williams, La vie politique sous la IVe république, Librairie Armand Colin 1971, 866 p.
- Francis de BAECQUE, « Coty et de Gaulle », in Espoir n°118, 1999 http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1958-1970-la-ve-republique/1958-le-retour-au-pouvoir/analyses/coty-et-de-gaulle.php
Source contrepoints.org
Par Gérard-Michel
Thermeau.
- Gérard-Michel Thermeau, docteur en Histoire, est professeur agrégé d'Histoire-Géographie et de Cinéma-audiovisuel dans un lycée de Saint-Etienne.
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