Ils étaient présidents : Vincent
Auriol
En cette
période d’élection présidentielle, révisez votre histoire politique française,
avec un portrait de Vincent Auriol, président de la République de 1947 à 1954.
Vincent Auriol
(Revel, Haute-Garonne, 27 août 1884 – Paris, 1er janvier 1966) devait être,
quoi qu’ait prétendu François Mitterrand, le premier socialiste à devenir
président de la République. Il était sans doute un socialiste plus sincère que
son illustre successeur.
Candidat de la
SFIO et du PCF, il fut élu au premier tour, le 16 janvier 1947, par 452 voix.
Cette victoire couronnait une longue carrière politique.
Le communiste
Jacques Duclos, présidant le Congrès de Versailles, déclara :
En vous la
nouvelle constitution de la République Française, a désormais un gardien
vigilant et respectueux de la souveraineté du peuple. Avec vous la République
sera toujours placée sous le signe de l’union républicaine et sous le signe de
tous les Français de bonne volonté…
Quelques mois
plus tard, avec l’entrée dans la Guerre froide, socialistes et communistes se
retrouvèrent dans des camps opposés.
En dépit de ce
contexte international très tendu, Vincent Auriol sut redonner du lustre à une
fonction présidentielle que d’aucuns souhaitaient abolir.
« J’entre dans un palais
mais je reste avec le peuple… »
Fils
unique d’un boulanger républicain radical, il perdit un œil à 10 ans en jouant
avec ses camarades. Éduqué d’abord par les frères des écoles chrétiennes, il
fréquenta ensuite l’école laïque et le collège de sa bourgade natale. Devant sa
réussite scolaire, son père renonça à en faire son successeur et lui permit de
poursuivre ses études.
Son
itinéraire fut ainsi des plus classiques sous la Troisième république. Après
avoir fait son droit et s’être inscrit au barreau de Toulouse, il se fit élire
député de Muret sans discontinuer pendant 26 ans, de 1914 à 1940. Son
enracinement local se confirma par son élection comme maire de Muret et
conseiller général en 1925.
Influencé
par Jean Jaurès, son professeur de philosophie à l’université de Toulouse
devenu député du Tarn, il était devenu socialiste très tôt. Avocat de la Bourse
du Travail, Auriol avait épousé la fille d’un vieux syndicaliste en 1912.
Orphelin de Jaurès, assassiné en 1914, il se tourna vers Léon Blum qui devint
son maître à penser. Il devait participer à la reconstruction de la SFIO après
la scission du Congrès de Tours (1920). Ce socialiste réformiste, cordial et
sans agressivité, se fit ensuite connaître au sein du socialisme européen.
Ministre et résistant
Ardent
partisan du Front populaire, il devait détenir trois portefeuilles
ministériels. Il fut successivement ministre des Finances (1936-1937), de la
Justice (1937-1938) puis de la Coordination des services ministériels à la
présidence du Conseil (1938). Il devait ainsi évoquer son premier
ministère :
Syndic de faillite plutôt que gérant d’un patrimoine,
j’étais en présence d’une trésorerie vide, d’une inflation illégale et occulte
de douze milliards, d’une monnaie dévaluée en fait depuis trois années, au
témoignage même de tous les économistes d’une crise économique sans précédent,
d’une violente agitation sociale et d’une France déchirée, d’une Europe déjà en
état de guerre et d’urgentes nécessités d’armements modernes jusque là négligés
et inexistants …
Un
de ses principaux titres à la postérité était d’avoir été un des quatre-vingts
parlementaires à refuser de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Sous
l’Occupation, il connût l’internement administratif puis la résidence
surveillée à Muret. Un moment inquiété au moment du procès de Riom, Vincent
Auriol obtint un non-lieu du tribunal de Muret.
À
compter d’octobre 1942, il vécut en clandestinité dans les montagnes de
l’Aveyron et les Causses du Tarn. Auriol y rédigea pour l’essentiel son livre Hier-Demain. Il était dédié « à Charles de Gaulle et à ses premiers
compagnons, à Léon Blum et à mes camarades du parti socialiste, aux prisonniers
de guerre et aux déportés… ».
Il
participa activement à la Résistance en zone sud avant de gagner Londres en
octobre 1943. À Alger, il devint, jusqu’au 25 juillet 1944, membre de
l’Assemblée consultative provisoire dont il présida la Commission des Affaires
étrangères. Il représenta la France lors de la conférence de Bretton-Woods.
Supprimer la présidence de la
République ?
Élu
dans les deux assemblées constituantes (1945 et 1946), il fut ministre d’État
dans le gouvernement provisoire dirigé par de Gaulle. Un de ses camarades lui
reprocha de devenir plus gaulliste que socialiste. Lors de la démission du
Général, il sut le convaincre de ne pas parler à la radio. Le grand Charles lui
confia alors l’intérim de la présidence.
Il
présida ensuite les deux assemblées constituantes où son talent de conciliateur
fit merveille. Les socialistes rêvaient de supprimer simplement la présidence
de la République. L’exécutif s’incarnerait dans un président du Conseil
représentant la majorité de la Chambre. La peur du communisme, d’une part, et
d’un pouvoir personnel de type bonapartiste, d’autre part, déboucha finalement
sur un simple replâtrage de l’ancienne constitution.
La
Quatrième république se voulait une refonte rationnelle de la Troisième
république. Le Sénat que d’aucuns souhaitaient supprimer fut conservé et
amoindri sous le nom de Conseil de la République. Le chef de l’État serait donc
élu selon les mêmes modalités que sous la république précédente.
Des pouvoirs plus clairement
définis pour le président ?
Les
pouvoirs du président furent définis en s’inspirant de la pratique mise en
œuvre depuis 1876. Le chef de l’État demeurait chef des armées et présidait le
conseil des ministres. Il conservait le droit d’adresser des messages au
parlement et la possibilité de demander une seconde délibération sur les textes
votés par le parlement.
Gardien
de la Constitution, son rôle essentiel demeurait la désignation des candidats à
l’investiture comme président du conseil.
Néanmoins
tous ses actes devaient être contresignés par un ministre. L’importance réelle
de ses pouvoirs allait donc dépendre de la pratique instaurée par le premier
titulaire de la charge.
Or,
Vincent Auriol, qui comme Jules Grévy autrefois, avait été un adversaire de la
fonction présidentielle, n’avait nullement l’intention d’inaugurer les
chrysanthèmes. Au rebours de la Troisième république, la Quatrième devait
marquer la renaissance de la fonction présidentielle.
Une nouvelle conception de la
présidence : une magistrature d’influence ?
Vincent
Auriol devait en effet préciser sa vision des choses :
Je regrette de contrarier ceux qui voudraient faire
de la présidence de la République une magistrature passive, silencieuse, de
pure représentation(…). Je ne serai ni un président soliveau, ni un président
personnel. (…)Entre le mutisme et le laisser-aller, la décision et l’action
effective réservée au Gouvernement responsable, il y a place pour une
« magistrature morale » dont on a parlé, pour ce pouvoir de conseil,
d’avertissement, de conciliation qui doit être celui du Chef de l’État, sensible
et attentif au-delà des courants d’opinions superficiels et passagers et
au-dessus des heurts de partis, à la volonté profonde et permanente du pays :
Défendre l’État, sa constitution, ses institutions et en même temps les
intérêts permanents de la France que cet État représente, c’est ainsi que je
conçois mon rôle…
Pour
lui, le président ne décidait pas mais avertissait et conseillait. Mais très à
l’aise dans le « maquis parlementaire », Auriol n’hésitait pas
intervenir énergiquement lors des conseils des ministres. La quasi-disparition
des conseils de cabinet favorisaient son autorité face à des présidents du
conseil à la personnalité un peu falote. Les procès-verbaux des séances du
conseil, dont il était le seul détenteur, lui donnait par ailleurs une grande
supériorité d’information.
Il
apportait son point de vue qu’il défendait avec autorité et compétence sur tous
les projets. La vivacité méridionale dépassait parfois chez lui les bornes de
la politesse. Jacques Fauvet décrivit ainsi un chef de l’État « bousculant les fonctionnaires, présidant, voyageant,
proclamant, parlant beaucoup, écoutant plus rarement ».
Une politique élyséenne ?
Le
président donnait toujours son avis sur toutes les nominations aux postes
importants et exerçait une forte influence dans les Affaires étrangères et la
Défense nationale. Ayant accès à la correspondance diplomatique, il bénéficiait
de la pérennité alors que les chefs de gouvernement et les ministres passaient.
Vincent Auriol sut user de ses voyages à l’étranger, pour affirmer les thèses
qui lui étaient chères.
Opposé
au réarmement allemand, il défendit le pacte atlantique et condamna
vigoureusement le « rideau de fer ». Il n’était donc pas le président
« indifférent », au-dessus de la mêlée, de la Troisième république.
Vincent Auriol se consacra particulièrement à l’Union française, nouveau nom
donné à l’Empire colonial. Il n’hésita pas à recevoir l’empereur Bao-Daï à
propos de l’avenir du VietNam. Le président rédigea lui-même le message au bey
lors de la crise tunisienne de mars 1952.
Président
du Conseil supérieur de la magistrature, il eut le souci d’en assurer
l’indépendance face au gouvernement. Il usa de son droit de grâce en toute
liberté. Auriol ne suivait les avis du Conseil de la magistrature que pour les
délits mineurs. Entre 1948 et 1953, ce sentimental devait gracier les 2/3 des
condamnés à mort. Ce droit devait prendre une coloration politique marquée
quand il en fit bénéficier les condamnés pour collaboration ou les députés
malgaches compromis dans le soulèvement de 1947.
Un président actif et travailleur
Le
président s’informait sans arrêt des événements nationaux et internationaux. Il
suivait par la radio les débats à l’Assemblée Nationale. Il devait être le
premier président de la République à prononcer des allocutions radiodiffusées.
Comme
le notait André Siegfried :
Dans les trop fréquentes et surtout trop longues
crises ministérielles, Auriol a plus d’une fois, par ses conseils, ses
déclarations et même – ce qui était sans précédent – par ses communiqués de
presse, dirigé les événements dans le sens souhaité par lui. Les constituants
avaient voulu diminuer le Président ; on est heureux de constater qu’ils n’y
ont pas réussi…
Les
circonstances lui furent en effet favorables. Le Tripartisme, qui avait fondé
la nouvelle république, s’effondra avec l’entrée dans la Guerre froide. Les
communistes, un temps premier parti de France, choisirent de s’aligner sur
l’URSS. La vieille SFIO pencha pour l’alliance atlantique. Le jeune MRP, parti
démocrate-chrétien, rompit avec de Gaulle et perdit rapidement une grande
partie de ses électeurs.
Avec
la « Troisième force » qui rassemblait tous les partisans du régime,
la composition de tout gouvernement relevait désormais d’une savante alchimie.
Aucun parti n’étant majoritaire, les cabinets de coalition devinrent la règle.
« Le parlement est à
vomir »
En
1947, Vincent Auriol lui-même poussa Paul Ramadier à renvoyer les ministres
communistes. Véritable chef de la « Troisième force », il dénonçait
par ailleurs les attaques du RPF, le parti gaulliste.
Il
fut dans doute le président de la République parlementaire qui sut le mieux
faire triompher devant l’assemblée les candidats de son choix à la présidence
du conseil. Auriol n’hésitait pas à faire pression sur les partis pour
maintenir la cohésion de la majorité en place. Cette cohésion était loin d’être
assurée. La « Troisième force » était en réalité une somme de
faiblesses hétéroclites.
Violemment
attaqués sur leur droite par les gaullistes et sur leur gauche par les
communistes, les gouvernements devaient composer avec des petits partis du
centre et s’appuyer sur les socialistes comme sur la droite modérée.
Il
y avait parfois de quoi être découragé. « Le
parlement est à vomir » devait écrire Auriol. Pas moins de dix-sept
gouvernements devaient se succéder pendant sept ans ! Onze d’entre eux
devaient tomber moins de six mois après leur investiture.
« On déposa sur mes épaules le lourd fardeau de la
nation, et j’ai parcouru un dur calvaire. Sera-ce, finalement, au bout, la
Croix ? »
Vie publique, vie privée
Levé
au petit matin, Vincent Auriol faisait chauffer lui-même son petit déjeuner. À
6 heures, en pyjama et robe de chambre, il était à son bureau privé au premier
étage, où personne ne devait le déranger jusqu’à 8 h 30, examinant les dossiers
qu’il avait fait monter la veille.
S’il
était attaché au respect du à la fonction présidentielle, il en favorisa aussi
la démocratisation. L’habit de cérémonie fut peu à peu abandonné. Il n’hésita
pas à aller en jaquette au grand prix d’Auteuil et à inaugurer les expositions
en veston et sans chapeau. La simplicité, l’accent méridional, le visage rond,
tout semblait rapprocher Auriol du populaire Doumergue. De son côté, son
épouse, Michelle, restaurait la tradition de l’arbre de Noël et se montrait une
maîtresse de maison distinguée et prévenante. Elle portait à la perfection les
robes des grands couturiers.
Pour
échapper aux services de sécurité, Auriol n’hésitait pas à quitter le palais en
cachette pour aller au cabaret ou à la Comédie-française.
Amateur
comme son épouse de peinture moderne (Rouault, Braque, Dufy) et de musique
classique, Vincent Auriol jouait du violon. Mais ce pétanqueur d’occasion
aimait aussi la pêche à la ligne. Il ne manquait pas d’assister à des
compétitions de football ou de rugby.
Travaux à l’Élysée
Tout
était à rénover, la maison n’avait guère bougé depuis bien longtemps. La
première salle de bains datait de Deschanel. On ne pouvait plus fermer certains
volets sous peine de les voir partir en poussière. Les peintures s’écaillaient,
les fils conducteurs étaient visibles dans certains plafonds, les menuiseries
se disloquaient, des bibelots multiples et disparates s’entassaient sur des
meubles mal assortis…
Les
Auriol n’avaient pas l’intention de vivre sept ans dans ce musée poussiéreux
qu’ils furent les premiers à surnommer le «Château».
Quelques
semaines après leur arrivée, ils commencèrent par arranger certaines pièces à
leur façon. Ils y passèrent toute une journée en famille avant de s’endormir,
fourbus mais satisfaits… pour se rendre compte que tout avait été remis à sa
place le lendemain par le personnel !
Dès
lors, de grands travaux furent entrepris. Cette réfection totale, avec mobilier
assorti au style des pièces, entraina la suppression de la cage de verre dans
la cour d’honneur et la création d’un appartement royal pour les invités de
marque au premier étage du palais.
Enfin,
Michelle Auriol décida de doter le palais de cuisines dignes de ce nom puisque
les repas provenaient d’un traiteur depuis les débuts de la IIIe République.
Cela permit d’offrir désormais un cassoulet à ses invités.
L’épouse
du président devait avouer : « Après le
septennat, ni mon mari, ni moi-même n’avons plus prononcé le nom de l’Élysée,
qui a représenté pour nous une existence aussi pénible physiquement que
moralement ».
Une autre vie commence pour
Vincent Auriol
Trop
populaire à la fin de son septennat, Vincent Auriol comprit qu’il n’avait
aucune chance d’être réélu. S’il avait le soutien mitigé des socialistes, tous
les autres partis lui reprochaient trop son activisme.
Tout
en pratiquant une activité de journaliste politique, Vincent Auriol devait
continuer à jouer un rôle public. Il présida la Conférence internationale des
Nations unies contre les préjugés et la discrimination, réunie à Genève en
1955. Il contribua à faire accepter aux socialistes la nomination du général de
Gaulle à la présidence du conseil en mai 1958.
Pourtant,
hostile à la Constitution de 1958, il démissionna de la SFIO. Il refusa
également de siéger au Conseil constitutionnel dont il était membre de droit.
Son dernier acte fut de soutenir la candidature de François Mitterrand en 1965.
Sa
tombe très simple se trouve au cimetière de Muret. Mais il laissait, à défaut
de monument, un document historique de première importance à la postérité.
Le Journal du Septennat dont la publication
posthume, commencée en 1970 achevée en 1983, connut quelques difficultés.
François Mitterrand, devenu président, crut devoir empêcher la publication de
l’année 1950 où son rôle n’était pas suffisamment mis en valeur. Vingt ans
furent donc encore nécessaires pour lire enfin cette année 1950. Comme quoi, il
convient de laisser le temps au temps…
Sources :
- Philip Williams, La vie politique sous la IVe république, Librairie Armand Colin 1971, 866 p.
- Adrien Dansette, Histoire des présidents de la république de Louis-Napoléon Bonaparte à Vincent Auriol, Amiot Dumont 1953, p. 262-271
- Jacques Batigne et Paul Redon, « Vincent Auriol » in Cahiers de l’histoire, n° 13, 2008, société d’Histoire de Revel Saint-Ferreol à consulter en ligne : http://www.lauragais-patrimoine.fr/HISTOIRE/VINCENT_AURIOL/VOYAGE-AURIOL.html#1
- Marc Fourny « L’Élysée , un cauchemar pour les résidents » à lire en ligne : https://www.herodote.net/Republique_francaise-synthese-1730.php
Source
contrepoints.org
Par Gérard-Michel
Thermeau.
- Gérard-Michel Thermeau, docteur en Histoire, est professeur agrégé d'Histoire-Géographie et de Cinéma-audiovisuel dans un lycée de Saint-Etienne.
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