Ils étaient Présidents : Charles de Gaulle
Portrait de l’incontournable Général
De Gaulle, dont l’élection en 1958, ne fut qu’une formalité.
Le 4 septembre 1958, place de la
République, dans une mise en scène pompeuse d’André Malraux, Charles de Gaulle
(Lille, 22 novembre 1890 – Colombey-les-deux-Églises, 9 novembre 1970)
présentait « sa » nouvelle constitution. Un référendum triomphal
ratifia le texte par plus de 82% de oui représentant les 2/3 des inscrits.
L’élection présidentielle du 21
décembre 1958 ne fut dès lors qu’une formalité. Il y avait bien deux autres
candidats, le communiste Maranne et un universitaire de gauche, Chatelet, mais
ce n’était que pour la forme. Plus de 78% des grands électeurs désignèrent
Charles de Gaulle. « J’ai dix ans de trop pour accomplir ma tâche »
soupirait le dix-huitième président de la République qui, âgé de 68 ans,
inaugurait son consulat décennal.
Il n’accepta la cérémonie
d’investiture du 9 janvier 1959 qu’à contrecœur. À ses yeux, sa légitimité lui
venait du 18 juin 1940, non d’une passation des pouvoirs entre René Coty et
lui-même. Faute d’une monarchie qui l’aurait davantage satisfait, il s’était
contenté de la république. Il goûtait particulièrement cette réflexion de
Chamfort : « Premier principe : il n’y a de souveraineté que
dans le peuple. Deuxième principe : il ne faut jamais lui permettre de
s’exercer. »
« Les Français crieront et puis après… »
Charles de Gaulle
avait choisi d’adopter le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il y
voyait un moyen de limiter le rôle des partis et de favoriser une vaste
majorité qui, des socialistes aux modérés, soutiendrait sa politique. Les
élections de novembre 1958 virent la gauche laminée et le triomphe de l’UNR, le
parti « gaulliste » sans épithète, et de ses alliés indépendants.
Seules les élections
sénatoriales permirent aux vaincus des législatives d’entrer au Parlement. Le
Sénat devait ainsi se révéler moins malléable. Son président, Gaston
Monnerville, nourrissait une rancune tenace à l’égard du chef de l’État.
S’il avait nommé
Antoine Pinay ministre des Finances pour rassurer l’opinion, le redressement
des finances publiques, l’abandon du protectionnisme et le passage au nouveau
franc étaient l’œuvre du comité présidé par Jacques Rueff. Les socialistes se
plaignirent de ce retour au libéralisme. « Les
Français crieront et puis après… » dit le Général.
La construction
européenne, initiée par la Quatrième et confirmée par le Général, devait avoir
des conséquences positives pour l’économie française. Ne pouvant plus compter
sur le marché réservé de l’Empire colonial, obligés de lutter avec leurs
homologues européennes, les entreprises françaises durent s’adapter ou périr.
Les contemporains n’en eurent pas conscience mais les années 60 marquèrent
l’apogée des Trente Glorieuses.
« Je vous ai compris », vraiment ?
Lors de son retour au
pouvoir, le Général avait cru devoir payer ses dettes par un voyage resté
fameux en Algérie. Le « Je vous ai
compris » d’Alger n’engageait à rien à la différence du « Vive l’Algérie française » lâché
finalement à Mostaganem. Mais pour le Général, homme de l’écrit, les paroles
n’avaient guère d’importance.
En effet, Charles de
Gaulle ne croyait pas à l’Algérie française. Mais encore souhaitait-il pouvoir
négocier en position de force et ne pas se trouver forcé de s’entendre avec le
FLN. Il lança donc diverses initiatives. Le plan de Constantine annonçait un
ambitieux programme d’investissements en Algérie. Néanmoins, à ses yeux
« l’Algérie de papa » était morte.
Il aurait d’ailleurs
accepté plus facilement la séparation s’il n’y avait eu la question du Sahara
et de ses richesses pétrolières. L’attitude du général devint vite sibylline.
Ne croyant pas en l’intégration, il défendit l’idée d’une association dans un
cadre fédéral. La cacophonie devint totale, chacun voulant faire parler Charles
de Gaulle dans son sens.
La politique du double langage
En janvier 1960, les
partisans de l’Algérie française passèrent à l’action. À Alger, des barricades
s’étaient érigées. De Gaulle, furieux, annonça à la télévision le 29 janvier sa
volonté de consulter la population : « l’autodétermination
est la seule politique qui soit digne de la France ». Il obtint
dans la foulée du Parlement de pouvoir légiférer par ordonnances pendant un an.
Mais par sa tournée des popotes, en mars, il contribua à nourrir les illusions
des militaires : « le drapeau
français flottera longtemps encore à Alger ».
En attendant,
l’ancienne Afrique noire française accédait à l’indépendance. « L’Afrique ne rapportera jamais rien que des dépenses. »
Dans ses tournées dans le pays, le Général avait compris une chose : les
Français souhaitaient sortir du conflit d’une façon ou d’une autre. Refusant de
discuter et d’informer, fidèle à sa politique du double langage, il devait
ainsi contribuer à attiser les extrémismes.
« Un quarteron de généraux en retraite »
Face au putsch des
généraux du 21 avril 1961, de Gaulle fut le seul à garder son calme. Au conseil
des ministres, il déclara : « Savez-vous
ce qui est grave dans cette affaire : c’est qu’elle n’est pas sérieuse. »
Jupiter tonnant à la télévision, le Général en uniforme exécuta verbalement le
pouvoir insurrectionnel : « un
quarteron de généraux en retraite ». Les soldats du contingent qui
avaient suivi le discours sur leur transistor restèrent fidèles au pouvoir.
Convaincu du caractère
inéluctable de l’indépendance, il déclara à ses ministres le 30 août 1961
parlant des musulmans : « Eh bien,
que le diable les emporte. » Quant aux Européens d’Algérie, il les
considérait comme des « imbéciles ». Un premier attentat contre sa
personne le 8 septembre marquait la déclaration de guerre de l’OAS. D’un autre
côté, de Gaulle refusait de céder à la pression du FLN, et ne s’inquiétait
guère de la brutalité de la répression d’une manifestation pro-FLN à Paris en
octobre 1961.
Finalement, les
accords d’Évian furent massivement approuvés à plus de 90% par référendum le 8
avril 1962.
Soucieux de tourner la
page le plus rapidement possible, le Général devait se montrer insensible au
sort des Pieds-Noirs comme à celui des musulmans qui avaient combattu aux côtés
des Français. Des dizaines de milliers de harkis devaient être assassinés par
le FLN. Mais de Gaulle, adepte de la raison d’État, n’était pas homme à verser
des larmes.
Ivres de rage, les
partisans de l’OAS étaient cependant résolus à le tuer à tout prix. Le 22 août,
l’attentat du Petit-Clamart échoua de peu. Plus de cent projectiles avaient
touché le véhicule présidentiel mais personne ne fut blessé.
Un monarque républicain
« Guide de la France et chef de l’État républicain,
j’exercerai le pouvoir suprême dans toute l’étendue qu’il comporte
désormais » déclara-t-il le 28 décembre 1958. Il enfonça le clou le
31 janvier 1964 : « Le Président est
évidemment le seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État. »
Pour Charles de
Gaulle, le président, de par son élection, disposait de la souveraineté et par
conséquent de tous les pouvoirs. Sous la Cinquième république, comme sous la
Troisième république, la lettre importait moins que l’esprit. Aux yeux du
Général, le Président était le véritable chef du gouvernement. L’idée d’un
« domaine réservé » hérité des républiques parlementaires lui était
totalement étrangère. Aucune limite ne saurait être opposé au Président.
Dès lors, quel rôle
restait-il au Premier ministre entièrement subordonné au Président ? Le
choix de Michel Debré en 1959 marquait la volonté d’avoir un exécutant fidèle
et rien de plus.
De toute façon, le
gouvernement comptait moins que le cabinet présidentiel avec ses conseillers
placés sous la houlette du secrétaire général de l’Élysée. Les ministres
étaient avant tout des exécutants de la volonté présidentielle et n’avaient
plus de latitude que sur les dossiers qui n’intéressent pas en priorité de
Gaulle.
Des pouvoirs étroitement contrôlés par l’exécutif
Le Parlement était,
pour sa part, soigneusement muselé. Les Assemblées, réunies en de brèves
sessions, ne pouvaient choisir leur ordre du jour. Les lois allaient être
essentiellement d’origine gouvernementale, sous forme de projet de loi, les
propositions de lois parlementaires n’étant discutées qu’avec l’accord du
gouvernement. Le Conseil constitutionnel avait pour fonction essentielle de
surveiller le Parlement.
Pour Charles de Gaulle
les pouvoirs étaient séparés quand ils étaient tous sous l’étroit contrôle de
l’exécutif. Le Président n’était plus l’arbitre des républiques parlementaires,
ou alors un arbitre qui touchait le ballon ironisera Georges Vedel.
D’ailleurs, il allait
refuser de réunir l’Assemblée nationale en session extraordinaire en 1960,
librement renvoyer son Premier ministre en 1962 et modifier la constitution par
référendum, en faisant fi du texte constitutionnel.
Le pouvoir par la communication
Considérant la presse
traditionnelle comme hostile, Charles de Gaulle s’assura du contrôle étroit de
la radio et de la télévision. Les rédacteurs recevaient directement leurs
instructions du ministre de l’Information.
Le général avait vite
compris la nécessité de maîtriser le nouveau média qu’était la télévision. Il
comprit vite également combien lire un texte chaussé d’épaisses lunettes
donnait un résultat calamiteux.
Les conseils du
publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet et de comédiens devaient lui permettre
d’être le premier politique français a maîtriser le petit écran. Apprenant ses
discours par cœur, il pouvait dès lors abandonner les bésicles et regarder les
Français au fond des yeux. Comme l’a écrit Jean Lacouture : « Né du livre, porté à la gloire par le micro, il régna
par l’écran familier. »
Des conférences de
presse à grand spectacle lui permettaient de déployer son art oratoire. Assis
derrière un bureau et juché sur une estrade, il dominait un parterre de
journalistes obséquieux et bon public. Les ministres en rang d’oignon, placés à
sa droite, paraissaient remplir un autobus. Toutes les questions lui avaient
été soumises à l’avance, ce qui lui permettait de préparer soigneusement ses
réponses et les plaisanteries qui les émaillaient.
Enfin, reprenant la
tradition du Grand Tour des monarques de l’ancien temps, il se rendait
régulièrement en province pour y prendre des bains de foule revigorants. Comme
le notait Pierre Vianson-Ponté : « Dire
qu’il se mêle à la foule est faible : il s’y plonge, il s’y vautre, il s’y
dissout littéralement. »
Charles de Gaulle à l’Élysée
L’Élysée n’était pas à
sa mesure. Résidence de la Pompadour, lupanar de luxe au XVIIIe siècle, ce
« palais de la main gauche » ne pouvait qu’exciter son mépris. « On ne fait pas l’histoire dans le VIIIe
arrondissement ».
Charles de Gaulle
avait rêvé des Invalides, de Vincennes ou pourquoi pas de l’École militaire,
mais il restera finalement faubourg Saint Honoré, tout en commandant un lit à
sa mesure pour éviter de dormir les pieds dehors : 2 mètres 20.
Le confort y était
néanmoins sommaire. L’éloignement des cuisines, installées au sous-sol,
obligeaient les de Gaulle à manger tiède.
Délaissant le
rez-de-chaussée où les présidents avaient traditionnellement leurs bureaux, il
s’installa à l’étage. La place manquait cependant pour les quarante-cinq
collaborateurs du chef d’État, là où douze suffisaient à Vincent Auriol.
La journée du général
commençait par la lecture attentive de cette presse qu’il faisait mine de
dédaigner. Il consacrait sa matinée à travailler et à recevoir les principaux
ministres : le Premier, les Affaires étrangères, les Armées et les Finances.
Trois fois par semaine, il accueillait six à sept personnes à table. Les
après-midi étaient consacrés au travail solitaire et aux audiences. Il passait
ses soirées tranquillement devant la télévision avec sa femme.
L’Élysée ? « Tout le monde y est chez nous, sauf nous »
déclarait la femme du Général. «Tante Yvonne» était heureuse de retrouver au
moins un week-end sur deux la demeure familiale de la Boisserie et de fuir
ainsi le « château ». Charles de Gaulle, lui, de son côté, déclarait
au général Ely : « À Colombey, je
vais me promener en forêt. À l’Élysée, je suis prisonnier. »
Effacée en apparence,
Yvonne de Gaulle avait néanmoins une influence non négligeable sur son auguste
époux. Profondément hostile à la contraception, le général finit par lui céder
et accepter la proposition de loi de Lucien Neuwirth. Si elle souhaitait faire
interdire les mini-jupes, l’épouse du président avait néanmoins compris la
nécessité de la pilule.
Le tournant de 1962
Par le choix de
Georges Pompidou en 1962, Charles de Gaulle marquait sa priorité pour les
questions économiques. Seule une France forte économiquement pourrait jouer le
rôle que le général lui assignait dans le monde.
Mais très vite, il
apparut que le Général allait vers l’affrontement avec les partis. La SFIO
refusait de participer au gouvernement et le MRP se retirait rapidement,
indigné des propos du président sur l’Europe.
Surtout, après
l’attentat du Petit-Clamart, Charles de Gaulle était résolu à modifier la
constitution en faisant élire le président de la République au suffrage direct
des Français. Faisant fi de la procédure légale, il décida de s’adresser
directement aux Français par voie de référendum.
La réaction du
président du Sénat fut violente : « la
motion de censure m’apparaît comme une réplique directe, légale,
constitutionnelle, à ce que j’appelle une forfaiture. » Quelques
jours plus tard, le 4 octobre 1962, la motion de censure était votée, le MRP se
ralliant aux autres opposants. Pour la première (et dernière) fois, un
gouvernement était renversé sous la Cinquième.
Même Paul Reynaud
avait rompu les ponts avec son ancien secrétaire d’État : « Monsieur le Premier ministre, allez dire à l’Élysée
que notre admiration pour le passé est intacte, mais que cette Assemblée n’est
pas assez dégénérée pour renier la république. »
Charles de Gaulle
conserva son sang-froid. Il décida aussitôt de dissoudre l’Assemblée, maintint
le gouvernement en place et attendit le résultat du référendum. Il pouvait
facilement désigner ses adversaires comme les survivants de la Quatrième. Mais
le plébiscite attendu se transforma en semi-déception : 62% des votants
avait répondu oui mais ils représentaient moins de la moitié des inscrits.
Le renforcement du présidentialisme
Charles de Gaulle,
toujours pragmatique, décidait de donner plus d’existence au parti gaulliste
alors même qu’il vitupérait le « régime des partis ». Les élections
législatives du mois de novembre 1962 voyaient triompher l’UNR et ses alliés,
et la déroute de l’opposition de droite. Les Français avaient tranché au
détriment des notables légitimant la présidentialisation du régime.
Avec Georges Pompidou
qui n’avait d’autre légitimité que celle qu’il lui avait conférée, Charles de
Gaulle renforçait sa prééminence. Il n’était plus question de conseils de
cabinets. Inversement, le président n’hésitait pas à s’entretenir directement
avec les ministres en l’absence du chef du gouvernement. Il multiplia les
conseils restreints réunissant le Premier ministre, quelques ministres et des
technocrates dont le poids allait sans cesse se renforcer sous la nouvelle
république.
Le conseil des
ministres se transformait en conseil du roi, simple organe de ratification.
Comme devait l’écrire le général lui-même dans ses Mémoires d’espoir :
En fin de compte, j’indique ma manière de voir et je
formule ma conclusion. Après quoi le ‘relevé des décisions’ est arrêté par
moi-même et c’est auprès de moi que le ministre de l’Information vient prendre
ses directives pour ce qu’il va faire connaître au public de la réunion qui
s’achève.
Une politique de Grandeur ?
Charles de Gaulle
rêvait d’une France forte et rayonnante.
Les Français ont besoin d’avoir l’orgueil de la
France. Sinon, ils se traînent dans la médiocrité, ils se disputent, ils
prennent le raccourci vers le bistrot…
Mais comment se faire
respecter des États-Unis ? Le général comprit la nécessité de trouver un
allié de poids en Europe. Le Royaume-Uni, cheval de Troie américain, étant
exclu, à son grand regret, il ne restait guère que la RFA.
L’Europe, voyez-vous c’est un plat : le rôti
c’est la France et l’Allemagne ; avec un peu de cresson autour, c’est
l’Italie ; et de la sauce, c’est le Benelux.
Habilement, il invita
le chancelier Adenauer à Colombey-les-deux-Églises, honneur qu’il n’avait
jusqu’alors jamais prodigué à un dirigeant politique. En septembre 1958, les
deux hommes allaient avoir un long entretien, en présence d’un seul interprète.
La maîtrise de l’allemand par Charles de Gaulle et la compréhension du français
par Konrad Adenauer favorisèrent un dialogue direct. Les repas furent pris en
toute simplicité à la Boisserie. Le chancelier passa la nuit dans une petite
chambre de l’étage. Mais l’Allemand ne fut jamais dupe de la volonté du
président français de le détacher des États-Unis.
Après une tournée
triomphale en Allemagne, le Français réussit néanmoins à faire signer au
chancelier, à l’Élysée, un traité d’entente et de coopération (1963). Même si
le traité fut affaibli par un préambule ajouté sous pression américaine, il
marquait du moins la fin de l’antagonisme séculaire entre les deux pays. Mais
Charles de Gaulle avait peut-être raté l’occasion de prendre la tête d’une
Europe unie.
Sortir de l’OTAN
Résolu à quitter
l’OTAN dès 1958, Charles de Gaulle dut attendre des circonstances favorables.
Il s’attribua le mérite de l’explosion de la première bombe atomique en février
1960. En fait, sans l’aide américaine et la volonté politique des gouvernements
de la IVe république, le général n’aurait pu disposer de cet instrument. Il
accueillit aimablement Khrouchtchev à Paris quelques temps après mais les deux
hommes ne parvinrent pas à s’entendre.
En 1962, lors de la
crise des fusées de Cuba, le Président français n’hésita pas une seconde à
soutenir les Américains. De même fut-il présent aux obsèques de Kennedy,
éclipsant tous les autres dirigeants étrangers présents.
Mais ne pouvant
espérer un partage des responsabilités au sein de l’OTAN, le Général qui ne
supportait pas le « cow-boy » Lyndon Johnson, prit de plus en plus
ses distances. La reconnaissance de la Chine communiste (1964), la tournée dans
les pays d’Amérique latine, chasse gardée des États-Unis, les critiques acerbes
contre le « machin », c’est-à-dire l’ONU, étaient autant de jalons
posés.
Convaincu des
intentions pacifiques de l’Union soviétique, méfiant face à une éventuelle
renaissance allemande, Le Général franchit enfin le pas, se retirant de l’OTAN
en 1967.
Après s’être montré
très aimable avec les dirigeants soviétiques, il fit un discours retentissant à
Phnom Penh, se faisant le champion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Comme il l’avait
déclaré à Alain Peyrefitte, à ses yeux la magistrature de la France était
morale, « symbole de l’unité des races,
des droits de l’homme et de la dignité des nations ».
L’impasse de l’anti-américanisme
Mais aveuglé par son
anti-américanisme et son hostilité vis-à-vis d’Israël, le général commit
quelques fâcheuses erreurs. Le refus de soutenir le bon droit d’Israël face à
Nasser, tout comme la provocation gratuite du discours au balcon de l’hôtel de
ville de Montréal ne contribuèrent guère à son prestige international.
De Gaulle pouvait
brocarder « tout ce qui grouille,
grenouille et scribouille », sa pugnacité à attaquer les États-Unis
et Israël contrastait singulièrement avec sa bienveillance à l’égard des
dirigeants du bloc de l’Est. L’écrasement du Printemps de Prague devait
cependant apporter un cruel démenti à la politique gaullienne d’ouverture à
l’Est.
L’élection présidentielle de 1965
L’opposition se
trouvait bien embarrassée face à la perspective de l’élection présidentielle de
1965. Ayant dénoncé à hauts cris la réforme constitutionnelle de 1962, elle se
trouvait devant le dilemme suivant : refuser de participer avec pour conséquence
une marginalisation durable, ou bien relever le défi et susciter une
candidature adverse légitimant ainsi l’élection populaire du président.
Pierre Mendès-France
choisit la première solution se privant désormais de tout avenir politique.
François Mitterrand réussit à imposer sa candidature « républicaine »
aux partis de gauche désemparés et s’ouvrit ainsi la voie qui devait le conduire
un jour à l’Élysée.
Mais le Général
n’avait pas bien compris la nouvelle logique entrainée par une élection au
suffrage direct. Il s’imaginait, comme ses adversaires d’ailleurs, qu’un raz de
marée triomphal le reconduirait tranquillement au pouvoir. La candidature de
Mitterrand ne fut pas la seule. La droite modérée se rangeait derrière Jean
Lecanuet, le président d’un MRP en voie de décomposition. Ainsi l’élection
plébiscite se transformait en affrontement partisan : les oppositions de
droite et de gauche s’opposaient à la majorité présidentielle.
Charles de Gaulle en ballotage
Face à des adversaires
qui avaient moins de cinquante ans, le Général à soixante-quinze ans,
paraissait bien âgé. Refusant de s’abaisser à faire campagne, il vit les
intentions de vote en sa faveur s’effondrer.
Au soir du premier
tour, avec 43,7% des voix, le Général obtenait un score que lui envieraient
aujourd’hui tous les candidats. Mais l’opposition avait réuni plus de
suffrages : la gauche paraissait ressuscitée et la droite anti-gaulliste
dépassait les 15%. Décidément, il y aurait un second tour.
Obligé de descendre de
l’Olympe, Charles de Gaulle dût s’abaisser à bouffonner avec Michel Droit entre
les deux tours. Il fit d’ailleurs merveille dans son rôle d’amuseur public.
L’homme qui avait une certaine idée de la France dût évoquer la ménagère qui
« veut le progrès mais pas la pagaille ».
Sa victoire au second
tour était sans appel mais lui laissait un goût d’amertume. Il était désormais
l’homme d’une majorité et non plus l’homme du pays, « ramené du plan de la mystique au plan de la politique »
notait Viansson-Ponté.
Longtemps désemparé face à Mai 68
Les élections de 1967
avaient été favorables à la gauche et désormais la majorité dépendait du bon
vouloir des Giscardiens. Pourtant « la vie
est là simple et tranquille » déclarait le vieux Président le soir
du 31 décembre. Il confiait au général Lalande : « Toute ma vie a consisté à faire faire aux gens ce
qu’ils ne voulaient pas faire ».
Entre le Président
presque octogénaire et les nouvelles générations un fossé d’incompréhension
s’était creusé. Il ne prit pas au sérieux les débuts du mouvement
étudiant : « Ces gamins ? Ces
rigolos ? » L’absence du Premier ministre, en voyage officiel
en Afghanistan, pèsera lourd dans la dégradation de la situation.
Sous-estimant la
gravité des événements, le Général ne comprenait rien à ce qui se passait.
Finalement, Pompidou, de retour, prenait les choses en main poussant le Général
à partir pour la Roumanie selon le calendrier prévu. Pendant son absence,
cependant, la situation se dégrada. « C’est
partout la chienlit » tonna le président. Mais Pompidou réussit à
l’empêcher de lancer les forces de l’ordre dans une reconquête brutale de la
Sorbonne.
Du fiasco au retour triomphal
Son apparition à la
télévision le 24 mai se révéla un fiasco. Vieilli et fatigué, son annonce d’un
projet de référendum tomba à plat. « Adieu
de Gaulle, Adieu » chanta la foule près de la Gare de Lyon.
Était-ce donc la fin ? Le Général, accablé, songeait à se retirer.
La très étonnante
escapade à Baden-Baden, le 29 mai, devait susciter bien des hypothèses.
Soucieux d’échapper à un éventuel coup de force sur l’Élysée et de protéger sa
famille, le général avait débarqué chez Massu, commandant des forces françaises
en Allemagne. Indécis sur la marche à suivre, le président de la République fut
réconforté par les propos énergiques du vieux baroudeur.
Après ce moment de
faiblesse, qui n’était pas le premier dans sa carrière, Charles de Gaulle
allait reprendre l’initiative. L’opinion commençait à se lasser de l’agitation
et les communistes étaient résolus à éviter toute dérive révolutionnaire. Les
gaullistes se soudèrent donc derrière le chef. Pompidou réussit à convaincre le
Général de renoncer au référendum au profit d’une dissolution de l’Assemblée
nationale.
C’est à la radio qu’il
prononcera sa dernière grande allocution : « Je ne me retirerai pas. » Ce 30 mai, un million de manifestants
agitant des drapeaux tricolores envahit les Champs-Élysées.
Fin de partie pour le Général
L’agitation ne
disparut pas par enchantement mais les violences étudiantes étaient désormais
désavouées par l’opinion publique. Les élections de juin virent une vague
gaulliste sans précédent. L’UDR détenait enfin la majorité absolue.
Le Président
ragaillardi ne songeait nullement à la retraite. Il regardait avec suspicion
son Premier ministre qui jouait un peu trop les successeurs désignés. La
rupture entre les deux hommes fut désagréable mais les apparences furent
préservées. Au trop brillant Georges Pompidou succédait le pâle Couve de
Murville froid et compassé. Cet excellent diplomate n’avait guère les qualités
de la fonction, sinon sa soumission au Président.
« Vous savez, il ne faut pas que ça dure trop longtemps
parce que le général est vraiment très fatigué » murmurait
cependant Yvonne de Gaulle.
Cela ne dura pas
longtemps. Charles de Gaulle provoqua lui-même sa chute en proposant un
référendum visant à supprimer le Sénat. Avec Pompidou, la succession était
assurée, le départ du général ne serait donc pas un drame. Très vite, il
apparut que le résultat serait négatif. Au soir du 25 mars 1969, le Président
en arrivant à Colombey dit à la bonne : « Nous rentrons définitivement. Cette fois, Charlotte, c’est pour de bon. »
Après moi, la dégringolade…
Comme Mac-Mahon,
Casimir-Perier ou Millerand autrefois, De Gaulle démissionnait et désertait le
palais. «L’Élysée est une maison sans joie,
avec des contraintes de toutes sortes. Je plains celle qui va me succéder dans
ce musée ! » confia son épouse en pliant bagage.
Charles de Gaulle
devait déclarer à Emmanuel d’Harcourt, l’ambassadeur français en Irlande :
« Cela ne sera plus la monarchie. Cela va
dégringoler. » Après ce « personnage
quelque peu fabuleux » pouvait-il en être autrement ?
Sources :
- Éric Roussel, Charles de Gaulle, Gallimard 2002, 1032 p.
- Serge Bernstein et Michel Winock (dir.), Histoire de la France politique, t. 4 : La république recommencée de 1914 à nos jours, Points Histoire 2008, 740 p.
- Jean Lacouture, De Gaulle, t. 3 : Le souverain (1959-1970), Le Seuil 1986, 865 p.
Source
contrepoints.org
Par Gérard-Michel
Thermeau.
- Gérard-Michel Thermeau, docteur en Histoire, est professeur agrégé d'Histoire-Géographie et de Cinéma-audiovisuel dans un lycée de Saint-Etienne.
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