World Press Photo 2014
World Press Photo 2014 John Stameyer/VII
John Stanmeyer a remporté le World Press Photo 2014.
L'esthétique
du désespoir.
Le
prestigieux prix de photojournalisme décerné cette année à une image léchée et
magnifiée comme celle d'une pub ? Pas si simple.
Quelle
idée saugrenue, quel excès de substances illicites (le jury se réunit à
Amsterdam, ne l'oublions pas) ont fait que cette année, c'est une image de pub
qui a remporté le World Press Photo, le prix le plus prestigieux pour la photo
de presse ? On imagine sans mal que ce fut là, la première réaction de beaucoup
d'observateurs en découvrant l'image primée. Une image publicitaire jusqu'à la
caricature : des silhouettes d'hommes, fines et élégantes, sur un fond de ciel
bleu saturé à l'excès tendent leurs téléphones vers une lumière dans le ciel
comme un raccourci vers la lumière. Le dernier Samsung ? Le prochain iPhone ?
Etrange ! Manquent le slogan, le logo, le message.
On en
vient donc à s'interroger sur le sens de cette image. Après une rapide
vérification que les jurés travaillent bien pour des agences photos ou dans des
rédactions et non pas dans des agences de pub ou à l'édition de réclames, nous
voilà contraints de lire la légende qui l'accompagne. « Sur les rivages de Djibouti, des migrants venus d'Afrique tendent
vers le ciel leurs téléphones portables dans l'espoir de capter un signal bon
marché de la Somalie voisine pour pouvoir contacter leurs parents ou leurs amis
restés sur place. Djibouti est un passage obligé pour les candidats à une vie
meilleure au Moyen-Orient ou en Europe venant de Somalie, d'Erythrée ou
d'Ethiopie. »
L'atterrissage
est douloureux. Nous étions confortablement installés dans l'univers d'une
image rassurante. Et tout à coup, le réel remonte à la surface, avec d'autant
plus de violence que ce n'est pas ce que nous imaginions, pas vraiment ce que
nous attendions. Et c'est là, sans doute, dans cette ambivalence, que réside la
force de l'image signée John Stanmeyer de l'agence VII : elle nous donne à
voir, à contretemps, avec douceur, sur le ton de la séduction, la souffrance,
la misère, en se jouant de notre crédulité et non plus de notre sensibilité.
Ces hommes qui fuient leur pays nous sont tout à coup familiers. Rendez vous
compte ! Comme nous, ils ont des téléphones portables. Comme nous, ils
appellent leur famille et, comme nous, ils cherchent le réseau le moins cher.
John Stameyer
Zone d'inconfort
Cette
photo a été commandé par le National Geographic,
journal américain, populaire et familial, qui soigne particulièrement les
images qu'il publie. Dans le même sujet au cours duquel le photographe et le
journaliste ont le projet, partant d'Ethiopie, de refaire le chemin emprunté
par les hommes depuis les origines, on peut voir la photo du cadavre d'un homme
mort dans sa tentative de traversée du désert.
Out of Eden © John Stanmeyer
Le jury du
World Press a décidé de récompenser une image qui nécessite une légende pour
être comprise. Ce n'est pas une première. On se souvient de la photo d'Anthony
Suau de 2008 d'un policier américain, arme au poing, dans une maison dont les
habitants avaient été expulsés en écho à la crise des subprimes ou celle de
Pietro Masturzo, à peine lisible, de ces gens qui criaient sur les toits de
Téhéran en 2009 leur opposition et leur indignation face au pouvoir qui leur
avait volé le résultat des élections.. Nous n'avons pas oublié non plus la
femme en 1997 qui criait sa douleur à l'hôpital d'Alger apprenant que toute sa
famille avait été massacré à Benthala.
World Press : Photo de l'année 2008 © Anthony Suau
World Press : Photo de l'année 2009 © Pietro Masturzo
World Press : Photo de l'année 1997 © Hocine Zaourar/AFP Image
Forum
Dans ces
exemples où l'esthétique était très prégnante, la question se posait de savoir
où nous étions, ce qui se passait ou ce qui était arrivé? Avec ces images, les
photographes nous interrogent, nous obligent à aller vers l'information, à la
chercher, à la comprendre. Ils ne se contentent pas juste de nous la délivrer
et de nous conforter dans des représentations rassurantes qui parfois
deviennent des clichés.
Ils
envisagent leur métier avec cette double ambition de nous rendre le monde
visible et de se jouer de la manière dont nous le percevons. Ils ont compris
que cela ne suffit plus d'être au bon endroit au bon moment et de témoigner en
mode binaire de ce que devient le monde. Ce ne sont pas forcément les images
qui se vendent le mieux, ce sont celles qui nécessitent un accompagnement
éditorial ambitieux et complexe. Il est juste que le World Press en
récompensant leur travail, les place quelques instants, à leur tour, dans la
lumière.
Source Télérama
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