Ma vie d’expat’ à Berlin
Le témoignage de Guillaume :
« Intellectuellement, financièrement et culturellement, je me considère
aujourd’hui comme plus libre. »
Alexanderplatz By: Nicolas Nova – CC
BY 2.0
Une petite présentation ?
Je
m’appelle Guillaume, j’ai 35 ans et je viens de la région lyonnaise. Je vis à
Berlin.
Que faites-vous comme métier dans
ce pays ? Pouvez-vous raconter brièvement votre parcours
professionnel ?
Suite à
des études classiques d’ingénieur, j’ai rejoint plusieurs entreprises du
secteur de l’informatique, qui m’ont emmené aux Pays-Bas, puis en Allemagne.
J’y suis
aujourd’hui consultant dans le domaine de l’informatique : je vais d’une
entreprise à l’autre, au gré des projets, ce qui me permet de voir différentes
façons de travailler tout en profitant de ma propre indépendance.
Pourquoi être parti ?
J’ai
toujours été attiré par l’étranger. Cela a commencé quand j’ai accueilli les
étudiants étrangers qui étudiaient avec moi : les aider à comprendre les
exercices, les inviter à sortir, mais avant tout leur parler pour qu’ils
améliorent leur français.
Je suis
ensuite moi-même parti étudier la robotique au Japon. Les chocs culturels ont
été forts et nombreux : les Japonais ont cette capacité étonnante de se
réinventer tout le temps – état d’esprit qu’ils attribuent à l’environnement
naturel agressif dans lequel ils vivent. Cela donne donc une société faussement
occidentalisée qui ne cesse de surprendre.
Dès ce
moment, j’ai eu la conviction que penser dans plusieurs langues et dans
plusieurs cultures permettait d’aborder et résoudre les problèmes de points de
vue différents : bizarrement, on ne pense pas de la même façon en français
qu’en anglais ou en japonais. C’est un peu effrayant mais également
enrichissant.
Mon
retour en France a coïncidé avec les manifestations anti-CPE. Je me suis alors
senti étranger dans un pays centré sur lui-même et incapable de se remettre en
question. Tout l’inverse des cultures que j’avais jusque-là rencontrées.
Pourquoi ce pays ?
Si
partir était pour moi une évidence, savoir où atterrir s’est avéré beaucoup
plus difficile à déterminer. J’étais à la recherche du pays idéal, qui bien sûr
n’existe pas. L’Allemagne est cependant le pays qui s’en rapproche le mieux à
mon avis.
Le
fédéralisme se ressent jusque dans les relations professionnelles : on
fait beaucoup plus confiance à l’individu. Chacun y a des responsabilités et
gère son pré carré avec toute la rigueur germanique des légendes. Le pays a
également une culture propice aux indépendants : la pratique y est
répandue et il y a un statut clair et défini (freiberuflicher)
qui permet de se lancer sans trop de contraintes.
C’est
enfin le seul pays qui considère vraiment les compétences techniques, qui
ailleurs sont si souvent raillées en société.
Bien
sûr, tout n’est pas rose. Il se murmure que 75 % de la littérature fiscale
mondiale est écrite en langue allemande ! On y aime les règles, surtout
lorsqu’elles s’appliquent aux autres. La flexibilité d’esprit reste parfois un
concept abscons pour certains de mes interlocuteurs. Mais enfin, on s’y
habitue.
J’habite
Berlin depuis 3 ans, après un court passage de 6 mois par Munich. Berlin est
une ville qui a souffert. Les traces des guerres mondiales et surtout de
l’occupation russe sont encore visibles, bien qu’elles disparaissent petit à
petit.
C’est la
ville des hipsters qui se rêvent artistes, anticonformistes et sans le sou tout
en pianotant sur leur iPad afin d’y trouver le dernier endroit branché. Les
vrais artistes ont quant à eux déjà délaissé la ville pour les loyers plus
raisonnables de sa voisine, Leipzig ; c’est la ville des start-up où on
ré-invente un énième réseau social, tout en adoptant une pause visionnaire ;
c’est une ville narcissique qui ne pense qu’à faire la fête, comme autant de
célébrations pour le dieu qu’elle s’imagine être.
Berlin
est la ville folle qui renaît de ses cendres mais qui sera un jour une
métropole européenne. D’ici-là, elle se contente d’être fascinante.
Mur de Berlin By: Blok 70 – CC BY 2.0
Avez-vous eu des doutes, et
comment les avez-vous gérés ?
On se
demande toujours si on va être accepté, et par conséquent c’est surtout entre
expats que la vie internationale débute. Les locaux ont leurs habitudes, et
avant de pouvoir vraiment s’intégrer, il faut déjà connaître leur langue.
Berlin offre sur ce point un environnement anglophone assez ouvert qui permet
de patienter le temps d’apprendre l’Allemand… un jour peut-être. La bonne
attitude à avoir : se lancer, sans avoir honte de faire des phrases
incompréhensibles. Les gens cherchent généralement à vous aider.
Je ne me
vois pas rentrer en France, la question se pose donc de la façon dont je vais
gérer le vieillissement de mes parents, à la retraite depuis cette année. La
vidéo-conférence est d’une grande aide pour maintenir le contact. Pour le
reste, je compte essentiellement sur la flexibilité de mon temps de travail.
Parlez-nous de votre quotidien :
comment s’organise une journée, en quoi est-ce différent de la France, de ce
que vous connaissiez ?
La
journée typique est assez similaire à ce qu’on pourrait imaginer en France, si
ce n’est que les Allemands commencent leur journée de travail beaucoup plus tôt
et la finissent entre 15h et 16h, avec la régularité d’un métronome. L’école en
Allemagne finit beaucoup plus tôt et les parents sont obligés de se caler sur
ces horaires.
Une fois
qu’on est sorti du travail, Berlin offre une grande diversité de loisirs et de
bars où retrouver ses amis. Je participe à l’organisation de « Liberty on
the Rocks », qui est un réseau anglophone de networking
pour les libéraux. Nous sommes la première branche européenne (et pendant
longtemps, la seule) du mouvement. Nous aimons échanger nos techniques pour
protéger notre vie privée, discuter des dernières tendances bitcoin, et de
manière générale refaire le monde autour d’une bière.
Le
week-end, les Berlinois le consacrent au sport mais surtout à faire la fête.
Berlin offre une multitude de clubs pour tous les goûts. Le plus célèbre
d’entre eux, le Berghain, se fait une
spécialité d’interdire l’entrée aux personnalités un peu trop propres sur elles
et privilégie les goûts alternatifs. Le monde à l’envers
Un bilan aujourd’hui : que
vous a apporté l’expatriation ? (et à l’entourage familial)
Avant
tout, c’est l’ouverture d’esprit. Je croise des gens de toutes opinions :
des artistes, des fous, des hipsters, des crypto-anarchistes et même quelques
gens « normaux ». Aucun ne pense pareil, ce qui est salvateur, parce
que je viens moi-même d’un pays assez uniforme dans sa langue et dans sa façon
de penser.
Les
habitudes sont une prison, et tout questionner est la seule attitude qui permet
de s’en échapper. L’étranger offre là un moyen finalement assez simple de
réaliser ce questionnement.
Intellectuellement,
financièrement et culturellement, je me considère donc aujourd’hui comme plus
libre.
Est-ce que vous vous sentez
encore Français ?
Qu’est-ce
qu’être Français ? Je me pose la question chaque fois que je rends visite
à mes parents, dont les petites habitudes m’imposent un visionnage du 20 heures
de France 2.
Être
Français signifie-t-il rêver d’avoir un emploi à vie, sans risque ni challenge,
et d’exiger du gouvernement central qu’il apporte une solution immédiate à tout
ce qui va de travers?
Je suis
attaché à des valeurs de liberté, romantiques et surtout culinaires. J’ai
souvent l’impression d’être une bouteille à la mer, transportant les derniers
fragments d’une civilisation naufragée. Avec l’espoir de pouvoir un jour les
placer dans la reconstruction d’une France renouvelée. Je me considère
Français, certes, mais d’un futur hypothétique.
Autre chose à ajouter ?
Berlin à
une longue histoire d’accueil des Français, notamment suite à la révocation de
l’Édit de Nantes. Les traces y sont nombreuses puisque des pans entiers de la
ville ont des noms francophones : ils sont parvenus à s’intégrer et à
devenir des membres actifs et respectés de leur société d’adoption.
Aujourd’hui,
la situation en France n’est heureusement pas si grave que nos expatriés
puissent se considérer comme des réfugiés. J’invite cependant tout le monde à
tenter l’aventure internationale, au moins pour un temps : les risques
sont minimes et les bénéfices, sur le plan personnel, innombrables.
Source contrepoints.org
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