Emmanuel
Macron ne gouverne pas les Français, il les soumet
L’autre pour
Emmanuel Macron n’est qu’un autre lui-même. Il veut les Français à son image, à
l’image des clones qui l’entourent et l’adorent.
Que l’on s’en réjouissance ou qu’on le déplore, il est bien
un héros de notre temps, “personnalité sociale” de cette nouvelle élite qui a
rompu le pacte de solidarité républicain. Emmanuel Macron s’avance en
conquérant pour qui ne compte que la performance, la réussite.
Il descend dans l’arène de l’opinion publique témoigner de ses
convictions, élans de ses conquêtes, causes de ses succès. C’est ainsi disait
Freud que s’avance le conquérant porté par un narcissisme maternel qui fait que rien ne lui
résiste: “quand on a été le favori incontesté de la mère, on en garde
pour la vie ce sentiment conquérant, cette assurance du succès, dont il n’est
pas rare qu’elle entraîne effectivement après soi le succès.”
La passion maternelle pour son
enfant idéalisé induit une confiance à toute épreuve chez celui qui en reçoit
le privilège.
Cette formule freudienne, on la croirait taillée sur mesure
pour notre Président. La passion maternelle pour son enfant idéalisé induit une
confiance à toute épreuve chez celui qui en reçoit le privilège. Elle lui donne
une force et une confiance inébranlables qui facilitent ses conquêtes, et fait
qu’il ne peut que s’aimer davantage. C’est ce narcissisme qui confère
au conquérant un pouvoir de séduction incontestable. Le conquérant fascine
comme fascinent les grands fauves ou les people. La
fascination n’est pas du même registre que l’amour ou le dialogue fraternel.
Bien au contraire, le conquérant rêve debout, enveloppé dans son repli
narcissique, sans contestation possible. À chaque objection de ses
interlocuteurs, Emmanuel Macron aime répliquer: “Non! Je vais vous expliquer”.
Il y croit et feint de croire qu’on va le croire. L’autre pour Emmanuel Macron
n’est qu’un autre lui-même, un Macron qui s’ignore et dont il faut, tel
Socrate, savoir l’accoucher.
On lui reproche un manque
d’empathie. Le diagnostic est à la fois cruel et juste. À condition
de préciser que l’empathie est identification à l’autre, qu’elle suppose une
capacité authentique d’en adopter le point de vue. Il faut pour cela non
consommer l’effusion sentimentale, la fusion affective, la ferveur des
émotions, mais se déplacer là
où se trouve l’autre tout en restant soi-même. Il n’est pas sûr que notre
monarque y parvienne. C’est pourquoi lorsqu’il dit qu’il est lui aussi “un
gilet jaune”, nous pourrions craindre que des cris de détresse et de colère il
n’entende que l’écho de son
propre message dont le Grand Débat fut, à plus d’un titre, la caisse de
résonance. Au fond, il se révèle comme l’enfant émerveillé par le château de
sable qu’il construit avec le matériau de la France. Il veut les Français à
son image, il les façonne de son
parcours, les maçonne de ses illusions, les étourdit de ses imprécations.
Il se révèle comme l’enfant
émerveillé par le château de sable qu’il construit avec le matériau de la
France. Il veut les Français à son image, il les façonne de son parcours, les
maçonne de ses illusions, les étourdit de ses imprécations.
Cet homme croit à
la fable des abeilles besogneuses dont il convient d’écarter les frelons, tous
ces fainéants qui “coûtent un pognon de dingue”, qui “ne sont rien parce qu’ils
ne font rien”. Il croit au destin d’un Etat entrepreneurial et d’une Nation start-up. Il croit à ce qu’il dit, il croit à
ce qu’il fait, avec l’acharnement de l’évangéliste, avec l’audace de
l’aventurier, avec le courage du centurion, il construit avec le sable français
les châteaux de son Empire. Emmanuel Macron n’a pas fait don de sa personne à
la France, il lui a fait don de sa croyance, “délire sectorisé”, nouveau corps
mystique du pouvoir. Il nous veut tous à l’image de la “bande” de clones qui
l’entoure et l’adore dans l’effusion des religions saint-simoniennes. Plus que
de Jupiter, c’est de Pygmalion qu’il suit l’exemple. Il burine la France et le
peuple français pour sculpter sa statue. Il l’aime cette statue, c’est son
œuvre, sa création, le fruit de ses croyances. Aucun frelon, jaune, rouge ou
vert, ne saurait le détourner de sa doxa.
Il est “entrepreneur” de sa politique comme il souhaite que chacun le devienne
de son existence.
Mais ce conquérant est aussi le héros nihiliste de la tragédie de notre époque, celle qui fait de la conquête le moyen d’assouvir le
“caractère destructeur” du capitalisme globalisé. Ce capitalisme, qui fait
de la destruction la nouvelle source de profit, détruit aussi celui qui se
place à son service. Ce caractère destructeur, il convient de le comprendre au
sens du philosophe Walter Benjamin[1] qui en dresse le portrait: “Le caractère destructeur
ne connaît qu’un seul mot d’ordre: faire de la place; qu’une seule activité:
déblayer. Son besoin d’air frais et d’espace libre est plus fort que toute
haine.” Les débris humains, peuples et gouvernants, et écologiques qui en
résultent sont recyclés pour de nouveaux profits.
Il croit à ce qu’il dit, il croit
à ce qu’il fait, avec l’acharnement de l’évangéliste, avec l’audace de
l’aventurier, avec le courage du centurion, il construit avec le sable français
les châteaux de son Empire.
À distance de toute attaque ad
hominem c’est ainsi, je crois, qu’il convient de comprendre le
destin des conquérants actuels dont Emmanuel Macron est l’exemple. Leur destin,
comme celui des peuples qu’ils soumettent plus qu’ils ne les gouvernent,
procède de ce même principe destructeur. Les gouvernants ne cherchent pas à
être compris ou aimés de leurs peuples, tout juste consentent-ils à les faire
témoins de leur efficacité. Ils savent que plus rien dans l’environnement
d’aujourd’hui n’est durable, et qu’ils doivent en conséquence devancer la
nature pour ne pas en subir le rythme, la simplifier pour mieux la liquider et
la transformer en profits.
C’est bien pourquoi leur politique ne saurait être
écologique ou humaniste. Détruire efface les traces du temps et de l’histoire.
Brecht l’avait annoncé: la modernité efface les traces, elle est sans mémoire,
mais non sans commémorations. La langue même est affectée par ce caractère
destructeur, elle ne révèle plus, elle n’autorise plus que la communication, et trouve dans le numérique le moyen fabuleux de son
déclin. Ce caractère destructeur ne relève pas de la psychologie mais procède ici de l’économie politique, de la culture, de nos
sociétés. C’est ainsi qu’il faut comprendre les violences que nous
avons connues ces derniers temps, moins comme des accidents de parcours que
comme des symptômes
durables de cette nouvelle pathologie de
masse produite par le “caractère destructeur” d’un capitalisme métamorphosé
dont les fascismes du siècle passé n’étaient que les archétypes.
[1] Walter Benjamin, 1931, “Le caractère destructeur”, in:
Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 330-332.
Source https://www.huffingtonpost.fr
Par Roland Gori Psychanalyste, professeur émérite de
Psychopathologie clinique à l'Université d'Aix-Marseille
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