Avez-vous votre « Permis de Parler » ?
Heureusement aucun
politicien n’a encore proposé ce genre de mesure, pour l’instant ce n’est que
le délire d’un auteur de science-fiction ! Mais qui sait, la réalité finit
souvent par dépasser la fiction…
En 1982, l’écrivain
américain Thomas Disch imagine dans sa
nouvelle L’homme sans idées un monde où
l’État contrôle jusqu’à la parole la plus anodine de chaque citoyen. Pour
échanger le moindre mot, il faut y être autorisé et disposer d’un « Permis
de Parler ». Pourquoi ? Pour de meilleures relations entre tous… Parce que
parler à n’importe qui peut représenter un danger,
parce qu’une mauvaise discussion peut ennuyer,
parce qu’il faut assumer ses idées et ce
n’est pas si aisé… Dans ce futur proche, très proche, le Bureau fédéral des
Communications veille – sa devise : « La
liberté planifiée est la voie vers un progrès durable. »
Comment Thomas Disch
en est-il venu à imaginer une telle situation ? La science-fiction n’est pas aussi fantaisiste qu’on pourrait le
croire : bien souvent elle ne fait fait que mettre en exergue un élément
caractéristique de notre propre réalité.
L’idée d’un Permis de Parler semble peut-être une odieuse intrusion du pouvoir
politique dans nos vies, et pourtant…
Qui n’a jamais redouté de devoir faire ou lancer la
conversation avec les uns et les autres lors d’un dîner mondain, d’un cocktail
ou d’une soirée ? Qui n’a jamais été embarrassé
par une discussion qui traîne et se tarit sans savoir comment la relancer ou la
couper ? Qui n’a jamais été intimidé face
à certains interlocuteurs – professeurs, supérieurs, représentants de
l’autorité – à chercher ses mots ou à craindre de ne pas être à la hauteur ?
Qui n’a jamais été apeuré lors d’une
altercation avec un parfait inconnu dans la rue ? Ou, à l’inverse, qui n’a
jamais appréhendé d’aborder un(e)
inconnu(e) dans un café ? Est-ce que je ne risque pas de déranger, ou de me
ridiculiser ?
À l’origine de L’homme
sans idées, voici l’anecdote rapportée avec ironie par l’auteur :
«
…L’idée de cette histoire m’est venue un jour dans un bar à Schenectady.
J’étais là devant une bière, l’esprit fonctionnant paresseusement, et ce dont
j’avais envie juste à ce moment, c’était d’avoir quelques rapports sociaux avec
mes semblables. Toutefois, ne connaissant personne autour de moi, je restais à
boire ma bière sans rien dire, quand il me vint à l’esprit que les autres
clients dans le bar étaient probablement là parce qu’eux aussi avaient envie de
conversation, mais comme aucun d’eux
n’en connaissait un autre ils faisaient de même que moi. « C’est comme si,
ai-je pensé, les gens avaient besoin d’un permis avant de pouvoir entamer une
conversation. »
«
Certes il est possible que ça ne se soit pas passé à Schenectady, mais je suis
sûr que bien des gens se sont trouvés dans la même situation dans des bars de
Schenectady et qu’elle représente une expérience très commune en général.
Appelez cela timidité ou, par périphrase, incapacité de communiquer.
«
En tout cas, c’était là mon idée, et voici l’histoire à laquelle elle donna
naissance quelque temps après. »
La libre parole n’est pas un privilège. Elle est
constitutive de notre humanité et de nos sociétés. Jamais nous ne pourrons en
abuser. Le risque serait au contraire de se limiter, de redouter de parler, de
ne plus oser communiquer. La question n’est pas de savoir quoi dire à l’autre, mais d’oser un premier mot, aussi futile soit-il, ou un simple sourire. Seuls ceux qui attendent toujours
qu’on leur accorde la permission pour telle ou telle chose de la vie se verront
un jour imposer des permis – en réalité des interdictions.
Source contrepoints.org
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