Ma vie d’expat’ à Calgary
Le témoignage de Julien :
« Rentrer en France, c’est constater l’agressivité et la violence ambiante
dans le pays, auxquelles on est habitué mais qui choquent quand on a vécu un
peu trop longtemps dans des lieux plus apaisés ».
Calgary By: Michael Gil – CC BY 2.0
Une petite présentation ?
Je
m’appelle Julien, j’ai 31 ans, originaire de Bourgogne et j’ai vécu pendant 8
ans à Nantes avant de m’envoler pour le Canada, que j’ai quasiment parcouru
d’est en ouest. Je vis actuellement en couple à Calgary, en Alberta,
aimablement surnommée la « Texas du Nord ».
Que faites-vous comme métier dans ce pays ?
Pouvez-vous raconter brièvement votre parcours professionnel ?
Je suis
chargé de clientèle dans une branche locale d’une compagnie de courtage en
assurance française pour expatriés. Auparavant, le poste qui m’a fait (re)venir
au Canada était sales manager pour une pâtisserie haut de gamme dans laquelle
j’avais travaillé auparavant.
J’ai
initialement obtenu une Licence en Droit et quand je voyais qu’un diplôme de
droit n’aidait pas forcément mon entourage avec maitrise et DESS, j’ai décidé
de prendre une formation plus professionnalisante et j’ai obtenu un BTS
Assurance avant sa refonte en 2008.
J’ai eu
un parcours professionnel assez varié, dans l’industrie du jeu vidéo en tant
que traducteur, journaliste et testeur, la pâtisserie, et surtout dans
l’assurance au sein d’un des tout premiers courtiers spécialisés en France
Pourquoi être parti ?
Lorsque
j’étais étudiant, j’avais toujours eu envie de partir et d’expérimenter une
autre vie dans un autre pays. Après plusieurs voyages en Amérique du Nord, je
suis retourné en France et pour la première fois, j’étais dévasté de rentrer.
Ma
situation personnelle a évolué entretemps et j’ai décidé de partir en Working
Holiday Visa pour un an, puis après un retour de 9 mois en France où j’ai pu
reprendre mon ancien travail et mon ancienne vie, je suis reparti au Canada,
pour de bon.
J’étais
aussi excité à l’idée du défi de partir de zéro dans un autre pays. Et puis
l’ambiance en France et les perspectives économiques ne m’ont pas franchement
encouragé à rester.
Banff Alberta Canada By: Thank you
for visiting my page – CC BY 2.0
Pourquoi ce pays ?
J’aurais
davantage voulu tenter l’aventure aux USA à ce moment-là, mais il est beaucoup
plus compliqué de s’y rendre et il n’existe pas de Working Holiday Visa. Mon
choix s’est fait entre l’Australie et le Canada. J’ai décidé que je préférais
avoir froid, être aux portes des USA plutôt qu’être au milieu de nulle part
sous une chaleur écrasante et entouré d’une faune extravagante.
J’ai
vécu 6 mois au Québec, à Montréal et même si j’ai beaucoup apprécié la ville je
cherchais autre chose de plus dépaysant. Et j’ai donc décidé de partir dans la
province la plus libre du Canada et qui est aussi la plus dynamique en terme de
démographie et d’emploi. Niveau fiscalité c’est assez léger : flat tax à 10% et
aucune taxe provinciale de vente.
Avez-vous eu des doutes, comment les avez-vous gérés ?
Pas
vraiment, en fait. Le seul moment où j’ai pleinement réalisé ce que je faisais,
c’était en lisant un guide pratique dans le train le jour de mon départ.
Je crois
que les doutes sont intervenus plus tard, en phase de croisière où l’on
comprend que l’on restera probablement toute sa vie un immigré. On a beau
passer d’un pays occidental à un autre, on réalise que 7000 km sont amplement
suffisants pour mettre des barrières culturelles et linguistiques en place.
De plus,
les grands projets de vie et professionnels peuvent ne pas se dérouler comme
prévu et s’établir dans un autre pays est une grande leçon d’humilité.
Le monde
ne vous ouvre pas les bras, le monde n’a que peu d’intérêt dans vos diplômes :
vous redémarrez vraiment à zéro et il faut se battre pour briller face à des
gens culturellement et linguistiquement dans le moule.
Parlez-nous de votre quotidien : comment s’organise
une journée, en quoi est-ce différent de la France, de ce que vous connaissiez
?
Les
Canadiens ici se lèvent tôt, mangent tôt, et dorment tôt. Ils sont d’une
manière générale très chaleureux, aidants, mais ils ont une crainte absolue de
la confrontation, des conflits et du politiquement incorrect. Il faut savoir
décrypter que ce que l’on perçoit initialement comme de l’hypocrisie est juste
leur manière d’être. Cette impression est très partagée par les Français ici.
Ensuite
je ne sais pas s’ils sont hypocondriaques ou s’ils ont de sérieux problèmes de
santé publique, mais faire à manger pour 3 Canadiens en prenant en compte leurs
restrictions alimentaires pourrait faire craquer un moine tibétain sous
lorazepam.
Je
trouve aussi que les Canadiens dépensent beaucoup plus facilement et ont une
affection particulière pour le « local ». Contrairement à beaucoup de
Français, payer un extra pour ça ne les dérange absolument pas. Par exemple
dépenser 9$ pour une miche de pain artisanale ne bloque pas vraiment les
amateurs, même si c’est proche du sacrilège pour un Français.
Ma
journée typique débute par un trajet en transport commun, plus désuet qu’en
France mais moins bondé tout de même, et surtout avec une vue magnifique sur le
centre ville notamment lors du lever de soleil. À qui ne l’a pas vu, comment
l’expliquer ? Le ciel ici est immense, il change, il a des couleurs uniques et
je ne me lasse jamais de le regarder.
Tim Hortons By: Michael Gil – CC BY
2.0
Il y a
aussi les brasseries locales qui font d’excellents produits, Tim Hortons qui
est une institution pour qui veut des donuts, muffins et des cafés bon marché
avant d’aller travailler.
Ma
compagnie n’est pas un pur produit canadien ou même français et l’ambiance
générale y est excellente. Le seul stress que l’on ressent est celui imposé par
le travail en lui-même, l’encadrement étant excellent.
D’une
manière générale, je trouve l’atmosphère de travail au Canada (hors employeurs
français) beaucoup plus agréable qu’en France, plus respectueuse de nos envies
et besoins, beaucoup moins contestataire et mesquine. Point de CGTistes qui
pinaillent ici car on pointe à 3mn de marche de la sortie du bureau
(véridique). Ce genre de comportement déteint et tandis que j’étais à cheval
là-dessus en France, je ne compte pas franchement les minutes ici.
Du coté
des loisirs, j’ai les Rocheuses à 1h de chez moi et c’est un choc quand pour la
première fois que l’on voit Banff, Lake Louise, Lake Moraine et Jasper en vrai,
on a l’impression que la réalité a été photoshopée. Et après une journée à se
balader et à randonner, on peut rentrer à Calgary et profiter de la scène
gastronomique absolument géniale et dynamique. Moins de restaurants
d’excellence par rapport à la France, mais beaucoup plus de variété et une
qualité de service et de produits en moyenne bien meilleure.
Lake Louise By: Sheila Sund – CC BY
2.0
Un bilan aujourd’hui : que vous a apporté
l’expatriation ? (et à l’entourage familial)
Du côté
familial, il ne faut pas se cacher que c’est dur, surtout en sachant que nos
proches sont très malades et que rentrer devient beaucoup plus compliqué. J’ai
dû revenir en urgence le mois dernier pour cette raison, il faut accepter cela,
l’idée qu’on peut ne pas rentrer à temps et cela n’est pas évident.
Mes amis
sont majoritairement des amis d’enfance ou d’école qui se sont dispersés dans
le monde au fil des années. Je dois en avoir 3 ou 4 qui sont restés en France
mais les autres sont désormais en UK, au Japon, au Vietnam, en Australie, aux
USA… Ils me manquent beaucoup surtout qu’il est difficile de remplacer des amis
que l’on côtoie depuis des décennies par des gens culturellement différents,
aussi chaleureux et intéressants soient-ils.
D’un
point de vue personnel, j’ai rencontré ma future femme que je vais épouser dans
quelques mois, qui est canadienne issue d’une des premières familles de colons
français. Nous avons pu acheter une maison que je n’aurais jamais envisagé
acheter auparavant (je pensais acheter un T1 voire un T2 en France…). J’ai eu
quelques contretemps dans mon évolution professionnelle mais je suis confiant,
ça évoluera dans le bon sens. Seul hic : transposer ses compétences et ses
diplômes à l’étranger n’est jamais vraiment facile.
Avoir dû
revenir en France pendant 9 mois entre mes deux visas a été une chance réelle
de comprendre pourquoi j’étais parti en premier lieu. Et désormais je me rends
compte que la France est derrière moi.
Est-ce que vous vous sentez encore Français ?
Pourquoi ?
Quand on
est un Français vivant en France, le contraste est moins saisissant que quand
on est à l’étranger et que nos traits français, notre culture, nos habitudes
sont franchement différentes de celles des locaux. Je ne me suis jamais senti
aussi Français qu’au Canada. Mais je me vois comme un Français qui a quitté un
pays qu’il ne reconnait plus, qui doit se retourner pour voir l’âge d’or de sa
culture, qui se sent comme un amant qui quitte son ex non pas parce qu’il ne
l’aime plus, mais qu’elle est toxique, et comme un fils au chevet d’un parent à
l’agonie.
Rentrer
en France, c’est constater l’agressivité et la violence ambiante dans le pays,
auxquelles on est habitué mais qui choquent quand on a vécu un peu trop
longtemps dans des lieux plus apaisés. C’est aussi constater un pessimisme
toujours plus présent et une décrépitude de ce pays qui s’érode plutôt que de
s’enrichir. Il y a un souci de mentalité assez frappant par rapport au travail
et à la réussite et aussi un certain conservatisme quant aux fameux
« acquis ». La population a une farouche volonté de changement tant
que cela ne bouleverse aucune de ses habitudes et tant que cela est à son
bénéfice. Cette France là ne me manque pas du tout.
Autre chose à ajouter ?
Partir
n’est probablement pas pour tout le monde et cela n’a rien de honteux.
Toutefois, j’encourage tout le monde à tenter une aventure ailleurs, même pour
une courte durée. Cela apporte une perspective et un regard différent sur notre
pays et surtout sur nous même. Si vous décidez de faire ça, profitez bien de la
France avant. Qui sait ? Votre séjour à l’étranger pourrait se prolonger plus
que prévu…
Calgary By: Thank you for visiting my
page – CC BY 2.0
Source contrepoints.org
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