Ma vie d’expat’ à Londres
Le témoignage de Jacques :
« Toujours Français, mais plus vraiment chez moi en France. Plus british
que beaucoup d’Anglais, mais toujours un petit peu étranger. Expatrié. »
Lorsqu’un homme est fatigué de
Londres, il est fatigué de vivre ; car il y a à Londres tout ce que la vie
peut offrir.
Pablo Fernandez-(CC BY-NC-ND 2.0)
Une présentation ?
Un
témoignage ? Exercice difficile, je n’ai pas l’habitude de parler de moi – il y
a bien des sujets ô combien plus intéressants ! Jacques, Vendéen de coeur, si
ce n’est d’origine. Célibataire, bien que partageant la vie d’une jeune
demoiselle depuis dix ans déjà – on ne rajeunit pas.
Quel est votre métier ?
Actuaire.
Peu connaissent, du moins en France ; c’est dommage, un métier qui gagne à
être connu, bien que la définition de l’Académie française ne soit pas
particulièrement entraînante : spécialiste des
calculs appliqués aux questions d’assurances, de finances et aux prévisions
sociales.
Aujourd’hui
je suis londonien, londonien depuis un peu plus de cinq ans déjà. Les chiffres
diffèrent, ne sont pas réellement connus : sommes nous 200 000 ? 300 000
Français à Londres ? Peu importe, la présence française est indéniable.
Proximité de la métropole, proximité de Paris : pour certains, l’occasion
d’être à l’étranger sans vraiment y être : après tout, Londres-Toulouse est
souvent plus rapide que Paris-Toulouse !
Souvent,
l’apprentissage de l’anglais est l’argument avancé : pour beaucoup de
professions, techniques en particulier, l’anglais n’est plus vraiment une
langue étrangère. Dans une certaine mesure, comme le français l’a été, comme le
latin l’a été encore avant, l’anglais est désormais la langue de la science, de
la communication, des affaires. Et y a-t-il réellement un moyen d’apprendre une
langue autrement que de vivre dans le pays ?
Mais
cela n’explique pas la présence de tant de Français expatriés ; d’autres
raisons reviennent régulièrement, citons en vrac : la City, capitale financière
du monde, offrant de nombreuses opportunités aux jeunes diplômés ; une certaine
flexibilité du marché du travail ; une économie qui est repartie ; un optimisme
ambiant. Laquelle de ces raisons m’a-t-elle attiré ? Eh bien peut-être toutes,
peut-être aucune. Aujourd’hui encore je ne sais pas trop si j’ai choisi
Londres, ou si Londres m’a choisi !
Pourquoi être parti ?
Je n’ai
jamais voulu travailler en France. Lors de ma première réelle recherche
d’emploi (je ne compte pas la fin des études en apprentissage), j’ai choisi
avec soin les entreprises qui m’intéressaient, en ai retenu six : 5 à
l’étranger, 1 en France… mais qui pouvait envoyer ses employés dans les
filiales étrangères au bout de quelques mois. Et je suis parti.
Pourquoi l’Angleterre ?
Partir
fut étonnamment facile. Le fait que ce soit l’Angleterre a beaucoup aidé :
la perfide Albion n’a-t-elle pas été notre meilleur ennemi durant plus d’un
demi-millénaire ? Terre d’accueil de nombreux réfugiés français au cours
des siècles, nos histoires sont tellement entrelacées que le choc culturel
n’est pas si grand. Même si le diable est dans les détails ! Nous n’avons
pas vu les mêmes programmes étant enfants, nous n’avons pas lu les mêmes
classiques, nous n’avons pas les mêmes supermarchés : ne sous-estimez pas
le temps que j’ai passé en vain à essayer de trouver ma marque de lessive
habituelle, celle que ma mère prenait et sa mère avant elle !
J’aime
l’Angleterre, ses villes, ses comtés, ses traditions. J’aime les Anglais, la
langue anglaise, l’humour anglais, à froid, ironique. Et, surtout, j’aime
Londres. J’aime la City, en particulier. L’atmosphère, bruyante,
tourbillonnante, agitée. Vivante. Si je devais résumer Londres en un mot, ce
serait celui-ci : cette ville est vivante. Des grues, partout. Des
gratte-ciel côtoient l’église du XVIIème, l’horrible édifice du XXème, le pub du XVIIIème, immuable. Les édifices
disparaissent, de nouveaux apparaissent ; des compagnies se créent,
grandissent, meurent. La tradition côtoie la nouveauté, l’accueille,
l’embrasse, comme en témoignent les 300 ans de traditions de la Lloyd’s,
hébergée au sein d’une usine, d’un « musée Pompidou ».
Mariano Mantel-(CC BY-NC 2.0)
D’un
point de vue professionnel, la différence avec la France est frappante. Une
structure plus horizontale, un certain pragmatisme, une flexibilité
incomparablement supérieure, un bulletin de salaire ô combien simplifié –
juste trois lignes, rien de plus : brut, impôt sur le revenu, cotisations
sociales. C’est lorsque je discute avec mes amis de promotion que je réalise ma
chance : je n’ai pas leur bureaucratie, leurs grilles ; mais j’ai eu
l’opportunité de prendre la tête d’une équipe après seulement quatre ans
d’expérience : le travail fourni a joué, bien plus que les cheveux gris (et
heureusement ! Je n’aurai plus de cheveux bien avant qu’ils ne grisonnent…)
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Certes, tout n’est pas rose. Je ne citerai pas le système
de trains/transports (que je trouve en fait globalement bon, meilleur que le
réseau parisien !), mais le système de santé. Le système de santé anglais
m’insupporte : collectivisé, fonctionnarisé, relativement inefficient pour
le peu que j’ai eu à l’utiliser. Des réformes timides ont été passées, nous
avons désormais la possibilité de choisir notre médecin traitant (auparavant,
on dépendait d’un cabinet selon le secteur géographique…). Mais on est loin
d’un système libre. De manière globale, je préférais le fonctionnement
français. Ceci dit, j’ai cru comprendre que dernièrement la France
sabotait joyeusement son système de santé… Le passé
est sans doute de mise !
Vous sentez-vous encore Français ? Pourquoi ?
C’est
une question difficile. Assez personnelle ; bien que je pense que tous les
expatriés se la posent à un moment donné.
J’ai eu
pendant les premiers mois la très nette impression d’arriver à l’étranger
lorsque l’avion se posait à Gatwick, ou que l’Eurostar avait passé le tunnel.
Puis, un jour, je ne saurais dire quand, je rentrai de deux semaines de
vacances. Le vol avait été long. En passant la douane, une pensée ma traversé :
« Enfin rentré à la maison ! ». Sensation étrange.
Pub Old Bank of England-Alessandro Grussu(CC BY-NC-ND
2.0)
Quelques
mois plus tard, dans l’Eurostar, encore, rêvassant en regardant par la fenêtre.
Je vois défiler la campagne françsaise. Pour la première fois depuis que je
suis né, une pensée fugace me traverse l’esprit : je suis à l’étranger. En
France. C’est une sensation étrange. I am a
Londoner. Pour la première fois depuis que je suis parti, ces mots
prennent tout leur sens.
Ma
décision est prise, depuis un moment maintenant. Elle l’était sans doute avant
cette réalisation. Je ne rentrerai pas. Hier, j’ai commencé les démarches pour
devenir sujet de Sa Majesté, Queen Elizabeth
the Second.
Malgré
tout, je serai toujours Français. La France a une culture forte, quoique
semblant être méprisée, oubliée, abîmée par la génération actuelle. Après tout,
non seulement les plus grands auteurs ont écrit en langue française (les Hugo,
Gide, évidemment, mais aussi les Dostoievski, Ionesco) mais nous avons conquis
le monde ! Ou du moins la moitié, les Anglais ayant eu l’autre…
Toujours
Français, mais plus vraiment chez moi en France. Plus British que beaucoup
d’Anglais, mais toujours un petit peu étranger. Expatrié. Peut-être le seul
point à retenir de ce texte beaucoup trop long : je ne regrette rien, j’aime la
City, je ne compte pas rentrer en
France ; je recommande cette expérience à tous. Mais, pour que ce soit une
expérience réellement réussie, il faut la vivre pleinement, s’intégrer
entièrement. Et, avant de franchir le pas, il faut avoir conscience de ce
qu’expatrié veut dire. Partir, c’est mourir un
peu.
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire