Ma vie d’expat’
à Eindhoven aux Pays-Bas
Le témoignage de Thomas :
« L’expatriation m’a permis de retrouver mon amour propre ».
Vestedatoren – Eindhoven by: Maciek
Lulko – CC BY 2.0
Une petite présentation ?
J’ai 35
ans, je vis et travaille à Eindhoven aux Pays-Bas. J’ai la particularité
d’avoir trois nationalités : ma mère française a reçu la double
nationalité en épousant mon père italien, qui s’est lui-même ensuite fait
naturaliser belge. Je suis donc né d’un père italo/belge et d’une mère
franco/italienne, sur le sol belge.
J’ai
grandi à Mons, en Belgique, une ville médiévale située en bordure du Borinage,
une zone au riche passé minier, puis métallurgique qui est aujourd’hui
économiquement sinistrée. Après un court passage à Dublin où j’ai rencontré mon
copain, nous nous sommes installés à Eindhoven où nous vivons depuis 5 ans.
Quel est votre parcours
professionnel ?
Après l’équivalent
belge d’un bac littéraire, j’ai étudié la communication puis les sciences
politiques mais je n’ai pas validé mon diplôme. Je me suis lancé dans une
carrière de commercial, pour ensuite me spécialiser dans le support
technique, ce que je fais encore aujourd’hui dans une entreprise de
télématique.
Pourquoi être parti ?
À 29 ans,
j’étais très insatisfait, je ne me sentais à ma place nulle part, mon amour
propre était proche de zéro et je sentais autour de moi une forte pression
négative qui me tirait vers le bas.
Constater
que les rares entrepreneurs du coin dépensent plus de ressources à réseauter
avec des fonctionnaires qu’à innover, sentir l’atmosphère générale morose et
résignée de ma région où les visages ne s’illuminaient plus qu’à l’odeur du
houblon, de la graisse à frites ou à l’espoir d’un nouveau subside, voir des
amis ayant réussi brillamment leurs études renoncer à leurs ambitions pour se
« planquer dans un ministère », tout cela m’indiquait qu’avoir réussi
mes études n’aurait finalement pas changé grand-chose en termes de
satisfaction.
Le décès
de mon père a été un déclic pour changer d’air. Je suis parti avec la ferme
intention de ne jamais revenir.
Pourquoi ce pays ?
J’ai
cherché un endroit dynamique, plus libéral et surtout avec une mentalité
différente.
Malgré la
crise et un anglais très approximatif, j’ai trouvé un travail dans un helpdesk
à Dublin en moins de 2 semaines. La crise était bien présente,
mais j’étais entouré de personnes à l’attitude positive et après quelques
mois, j’étais devenu l’employé de référence sur un projet pour lequel j’ai très
vite obtenu de la reconnaissance.
Les loyers
prohibitifs, la mauvaise qualité du logement et la trop grande proportion
d’expatriés qui arrivent et repartent sans arrêt – ce qui rend difficile
la création de liens – m’ont donné envie de chercher un endroit similaire dans
l’esprit, mais plus confortable.
J’ai eu
une opportunité à Eindhoven aux Pays-Bas, le hasard a voulu que ce soit à ce
moment-là que mon histoire d’amour avec mon copain devienne sérieuse et nous
avons déménagé ensemble.
Eindhoven
est la cité où a été fondé Philips, qui y est toujours présent. On y
trouve un pôle technologique tiré par l’Université Technique d’Eindhoven, la
société ASML, ainsi que par le High Tech Campus et ses 8000 employés
entièrement dévoués aux R&D.
Eindhoven est
située au sud du pays, dans la partie historiquement catholique où les gens
sont plus festifs et décontractés que leurs compatriotes plus au nord.
Le Blob et l’immeuble de Lichtoren –
ancienne usine Philips by: Andrew Black – CC BY 2.0
Hormis la
nourriture, la météo et la langue, qui sont loin d’être les plus grands atouts
du pays, je n’ai trouvé que du positif : des habitants honnêtes et
serviables, un niveau de sécurité très élevé qui rend possible une insouciance
absolument providentielle. Des logements certes chers, mais d’une qualité de
construction et d’un niveau d’entretien remarquable, un système de transports
performant, du personnel souriant et agréable dans les commerces…
Une
caractéristique très marquée dans la culture hollandaise est la franchise. Ce
qui est considéré comme poli à peu près partout ailleurs est ici vu comme de
l’hypocrisie ou de la malhonnêteté. Il est par exemple très facile de refuser
une invitation sans avoir besoin d’inventer une excuse, ou de dire à quelqu’un
qu’il vous dérange. Pareil au travail, vous pouvez dire très franchement à un
directeur que vous désapprouvez une stratégie ou une décision, même si vous
êtes tout en bas de l’échelle. Vos remarques ne seront pas nécessairement
suivies, mais bien considérées. Idem dans l’autre sens, si vous prenez trop de
gants pour dire à un employé qu’il a une grosse lacune ou a commis une faute,
il va croire que ce n’est pas grave, les gens apprécieront que vous soyez franc
et direct, ils sont globalement ouverts aux critiques et pas rancuniers.
Évidemment, en contrepartie, un manager est plus souvent amené à expliquer ses
choix à son équipe au risque d’être confronté à des problèmes
d’insubordination. Le travail en équipe est très valorisé, l’autoritarisme
beaucoup moins.
Les
Hollandais accordent une grande importance à leur qualité de vie. Le travail à
temps partiel est répandu et pas seulement pour les femmes. Ils sont très
efficaces pour s’organiser de façon à faire peu d’heures supplémentaires et
quand cela s’avère nécessaire, ils vont préférer rentrer chez eux pour passer
du temps avec leurs enfants ou faire du sport et se remettre au boulot en
télétravail dans la soirée.
Avez-vous eu des doutes, et
comment les avez-vous gérés ?
Avant de
partir, aucun, j’étais une tête brûlée, j’ai juste foncé.
Une fois
sur place, ça commence toujours par une période où vous ne voyez que ce qu’il y
a de mieux par rapport à l’endroit d’où vous venez, puis une période plus ou
moins longue où, à l’inverse, votre attention n’est portée que sur ce qui vous
manque. Tous les expatriés passent par là. Le tout est de se concentrer sur le
positif et de se construire une vie sociale forte, mais ce n’est pas toujours
facile. Notre vie de couple nous a beaucoup aidés pendant ces moments.
Les doutes
qui restent aujourd’hui sont notre capacité à apprendre la langue
convenablement pour vraiment nous intégrer. Quasiment tout le monde ayant un
excellent niveau d’anglais et aimant le parler, nous avons très peu d’occasion
de pratiquer la langue : après 5 ans, mon niveau de néerlandais est toujours
très bas.
Il reste
aussi des doutes sur le choix de l’endroit où nous passerons nos vieux jours.
Racontez-nous votre quotidien.
Nous
vivons dans le centre-ville, à 10 minutes à vélo du High Tech Campus où je
travaille. Tout est ici pensé pour le vélo, c’est très pratique. La dernière
trouvaille est un système qui fait passer les feux de circulation plus
rapidement au vert pour les vélos quand il pleut.
Bakfiets – Steven Vance – CC BY 2.0
Je
travaille sur un open floor, j’ai autant de collègues expatriés que
néerlandais, ce qui rend le quotidien enrichissant. Je ne fais presque jamais
d’heures supplémentaires.
Je
fréquente une salle de fitness plusieurs fois par semaine où je profite aussi
du sauna, parfois même le matin avant de commencer ma journée de travail.
Les
magasins étant ouverts le dimanche et les périodes de soldes n’étant pas
réglementées, cela rend le shopping très agréable le week-end, même si les
boutiques ferment à 17 heures (18 heures en semaine) !
Eindhoven
est bien placée géographiquement, nous sommes à moins de 2 heures de route
d’une dizaine de grandes villes : Amsterdam, Cologne, Bruxelles, Anvers,
Rotterdam, La Haye, Utrecht, Aix-la-Chapelle… et avec l’aéroport local,
même Londres est finalement très proche.
Il y a
plusieurs salles de concert en ville, un théâtre, pas mal de musées et beaucoup
d’événements culturels sont organisés, tels que la Dutch Design Week ou le Glow
et des festivals en tous genres. On n’a pas le temps de s’ennuyer.
Niveau
sport, il y a l’équipe de foot locale, le PSV, qui a remporté cette année le
championnat de première division pour la 23ème fois. Le deuxième sport national
étant le patinage de vitesse et le troisième le hockey sur gazon.
La santé aux Pays-Bas : ça
surprend mais ça marche !
L’Assurance
santé est privée (minimum 70 euros par adulte et par mois), mais obligatoire et
hyper réglementée.
Vous
n’avez pas besoin de certificat médical pour un congé maladie. il suffit de
prévenir, et en cas de doute votre employeur peut envoyer un médecin de
contrôle, mais cela arrive rarement et au final j’observe moins d’abus qu’en
France ou en Belgique avec les certificats de complaisance.
Les
Hollandais ne vont chez le médecin que pour les problèmes sérieux. Quand j’ai
vu mon médecin pour une grippe, sa réponse a été «
Qu’attendez-vous de moi exactement ? Vous vous croyez spécial ? La moitié
du pays est dans votre état ! » Sa prescription a été lit +
paracétamol + patience. Et quand j’en ai parlé avec les collègues : « Mais enfin, tu n’as pas besoin de voir
un médecin pour si peu à ton âge ! ». Si la fièvre dure plus de 4
jours il prescrira un bilan sanguin et des antibiotiques si et seulement si
c’est bactérien.
Les
Pays-Bas restent depuis plusieurs années le numéro un en Europe sur l’indice de
satisfaction des patients. Ça m’a surpris parce que j’entends tous les
expatriés s’en plaindre, mais je dois reconnaître que c’est bien mieux que ce
j’ai pu observer en Irlande ou en Italie.
Pas un paradis fiscal
L’Impôt
sur le revenu est progressif, fusionné avec la CSG, prélevé à la source,
applicable dès le 1er euro et globalement plus élevé qu’en France.
Il existe
un impôt sur le patrimoine de 1,2% au-dessus de 21 000 euros de patrimoine
par personne après déduction du logement principal et de ce qui est investi
dans le « bisou compatible ».
La TVA
s’élève à 21%.
Pour la
voiture, le carburant est cher. Il y a une vignette qui s’élève à
plus de 1000 euros/an plus une taxe de mise en circulation de +/- 9% de la
valeur du véhicule. On se réjouit que les autoroutes soient sans péage
(ouf !) et qu’elles soient vraiment impeccablement entretenues au point
que les feuilles mortes sont ramassées sur les bords des routes de campagne
parce que c’est dangereux pour les vélos !
On paie donc plus d’impôts aux
Pays-Bas qu’en France ?
En fait,
non, au contraire. Malgré ces taux élevés, 36,3% du PIB passent entre les mains
de l’État aux Pays-Bas contre 45,2% en France. Cela s’explique notamment par
les nombreuses possibilités de déductions, mais surtout par moins de taxes
annexes, moins d’impôts locaux, moins de droits de succession et un impôt des
sociétés un tiers plus faible qu’en France.
Les Pays-Bas sont les champions
d’Europe du logement social
Le HLM représente 34%
du parc immobilier néerlandais. Il s’agit principalement de petites maisons
très bien entretenues qui n’ont généralement pas du tout l’air de logements
sociaux. 41% des Néerlandais sont éligibles pour en bénéficier. Du coup, il
faut compter en moyenne 10 ans d’attente pour en obtenir un.
Seulement
7% des logements en location ne sont pas des HLM ! Le locataire y est très
protégé, tout passe par un juge même en cas de non-paiement, de dégradation ou
de problème comportemental, même en cas de vente du bien, même si le
propriétaire souhaite récupérer le bien pour se loger lui-même. Si on veut
investir dans l’immobilier ici, il vaut mieux viser les bureaux ou les chambres
d’étudiant.
Vonderkwartier – Eindhoven – Pays-Bas
by: Hans Porochelt – CC BY 2.0
Il est
fiscalement très intéressant d’investir dans l’achat de son propre logement,
les frais de transaction sont bas – moins de 10%, frais d’agence inclus – et
100% des intérêts du prêt hypothécaire sont déductibles, sans plafond. En
outre, les banques ne demandent pas d’apport. Cette politique n’a absolument
pas rendu le logement plus abordable, au contraire. Elle a juste fortement
augmenté les prix et incité les Hollandais à se surendetter.
Un bilan aujourd’hui : que vous a
apporté l’expatriation ?
Du
développement personnel. L’éloignement m’a permis de m’émanciper, mais sur ce
point précis, le résultat aurait pu être le même en restant dans le même pays.
L’expatriation
en tant que telle m’a permis de retrouver mon amour propre, de me réaliser
professionnellement, de m’enrichir culturellement et de m’entourer de personnes
plus positives. Elle m’a aussi permis de rencontrer la personne que j’aime.
À côté
de ça, améliorer ma connaissance de l’anglais m’a ouvert un gigantesque pan de
la culture qui n’est pas traduit en français.
De quelle nationalité vous
sentez-vous finalement le plus proche ?
Comme je
l’ai dit, j’ai la particularité d’avoir trois nationalités : française,
belge et italienne. Ce qui ne m’a apporté que des ennuis administratifs, comme
d’avoir un moment été déclaré déserteur de l’armée italienne pour ne pas m’être
dégagé à temps de mes obligations de service militaire.
Je ne me
suis jamais senti Français, ni Belge, ni Italien.
J’ai beau
avoir passé 29 ans en Belgique, aucun membre de ma famille n’est né belge, je
n’ai jamais vécu en Italie et je n’en maîtrise la langue que moyennement et je
n’ai finalement que peu d’attaches en France.
Je trouve
ce concept de nationalité culturelle totalement artificiel et surfait et je
n’identifie d’ailleurs aucun membre de mon entourage à travers le prisme de sa
nationalité.
L’endroit
où j’ai grandi m’a évidemment impacté, mais mes nationalités ne définissent en
rien l’individu que je suis, ni aucun autre individu. Ce qui nous définit c’est
ce qui nous a été transmis, ce que l’on a absorbé des personnes que nous avons
rencontrées et du monde qui nous entoure et surtout ce que l’on a réalisé,
indépendamment de nos passeports.
Autre chose à ajouter ?
À propos
de l’éthique, les Hollandais sont souvent vus comme très progressistes ; or ce
n’est pas nécessairement le cas. Ils sont plutôt adeptes du libre choix. En
matière de valeurs, la mentalité est de respecter les choix de chacun car
personne ici ne souhaiterait se voir imposer les valeurs de son voisin.
Il y a
d’ailleurs ici ce qu’on appelle une « bible belt » et ça se passe
très bien ; et je ne crois pas me tromper en affirmant qu’autant les couples
gays mariés avec enfant que les chrétiens pratiquants très conservateurs sont
plus respectés ici qu’ils ne le sont en France.
Source contrepoints.org
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