Ma vie d’expat’ au Québec
Le témoignage de Didier :
« Quand, à l’aller, l’avion atterrit à Paris, j’arrive chez moi. Quand, au
retour, l’avion atterrit à Montréal, j’arrive chez moi. »
Montréal-abdallahh(CC BY 2.0)
Le choc
au sortir de l’avion, ce fut le froid. Pas le froid comme tel, à peine – 20,
mais l’humidité. Glaçante et envahissante.
Dans le
taxi où je m’étais réfugié, une conversation à bâtons rompus avec le chauffeur.
Qui me reprocha, à moi et à tous les autres maudits Français, de les avoir
abandonnés en 1763. Que répondre à cela ?
Au
volant de sa grosse Dodge confortable et puissante, il ne tarissait pas d’éloge
pour les petites Toyota qui commençaient à envahir les rues de Montréal. J’ai
senti que je le décevais en ne partageant pas son enthousiasme.
Quelques
heures plus tard, mes valises défaites, j’ai voulu aller respirer l’air de la
ville. Je ne suis pas allé loin : trop d’incompatibilité entre mes chaussures
de Parisien et la neige. Alors, je me suis arrêté dans le premier restaurant.
Un restaurant ? Non, un casse-croûte. Hot dog,
hamburger, poutine, club sandwich, coke, seven up, café. Par
curiosité, j’ai demandé un hot dog steamé. Toute une aventure…
Bienvenue
en Amérique française !
Je
l’aime, cette Amérique française. Dès ma descente d’avion. Je pensais y rester
le temps d’une expérience, j’y ai passé ma vie.
anne beaumont-ALong Prine Albert(CC BY-SA
2.0)
Question
travail, je n’ai pas été dépaysé. Journaliste j’étais, journaliste je suis
resté.
À
l’époque, entre la France et le Québec, il n’y avait pas vraiment de différence
entre l’art et la manière de faire un journal et de pratiquer le métier. La
culture journalistique était la même de part et d’autre de l’Atlantique.
À deux
ou trois nuances près.
Celle de
l’expérience. Mes quatre années de pratique en France et ma carte
professionnelle comptaient pour rien aux yeux de mon employeur. Il m’a donc
fallu commencer au bas de l’échelle, avec salaire à l’avenant.
Celle
des relations entre collègues. Du rédacteur en chef au messager de la salle de
rédaction, tout le monde était à tu et à toi. Relations décontractées et
amicales à tous les étages. En apparence. Et il ne faut jamais se fier aux
apparences.
Surtout,
celle des mots : « Heille, chose, ferais-tu un follow
up pour l’édition d’après-midi ? » Ou un round
up. Ou un recast…
On est
au Québec. La sauvegarde de la langue française y est une lutte de tous les
instants. Sauf au travail. Sauf chez le garagiste. Sauf avec le plombier.
Une
anecdote. Quand je suis arrivé à Montréal, c’était le début de l’année. Le
temps des soldes. Avec cette affiche sur la vitrine d’un magasin de tissu de la
rue Sainte-Catherine : « Grand écoulement de blanc à la verge ».
Je suis
resté à l’emploi du même quotidien pendant une quarantaine d’années et j’y ai
fait une carrière intéressante. Les conditions de travail n’y étaient ni
meilleures ni pires qu’en France, elles y étaient différentes.
Par
exemple, le syndicalisme. En France, dans le journal où je travaillais, j’avais
le choix d’être syndiqué ou de ne pas l’être. Sur le conseil des collègues,
j’avais choisi de l’être et d’adhérer au Syndicat national des journalistes.
Cette adhésion n’avait aucune incidence sur ma façon de fonctionner.
Au
Québec, la question ne se posait pas : j’ai été obligé d’adhérer à l’unique
syndicat de la salle de rédaction, syndicat affilié à une influente
confédération. Cette adhésion comportait son lot de contraintes, notamment sur
l’organisation rigide du temps de travail. Quant au coût de cette adhésion, il
m’avait stupéfait et scandalisé : 3 % de mon salaire brut, prélevé
automatiquement par l’employeur sur ma fiche de paye.
Au
Québec, employeur et employés syndiqués sont liés par un contrat de travail
appelé convention collective. Tous les trois ans, il faut négocier le
renouvellement de cette convention collective et l’échelle des salaires.
Parfois ça bloque. Et quand ça bloque, ça peut déboucher sur un arrêt de
travail. Arrêt de travail provoqué les employés, c’est une grève, ou par
l’employeur, c’est un lock out.
J’ai
vécu deux grèves dans mon journal. L’une a duré dix mois. Oui, dix mois !
L’autre, tout juste deux mois.
Vivre
une grève de dix mois, voilà une expérience que je ne souhaite à personne.
C’est long, c’est débilitant, c’est dévastateur.
Les
Français et les Québécois ont en commun l’usage du français. Paradoxalement,
cette langue les rapproche tout en les séparant.
Une
langue, ce sont des mots. Et nous n’utilisons pas les mêmes mots. Cela peut
déboucher sur des situations cocasses. Comme celle de cette Française qui, au
supermarché, demandait à voix haute : « Où sont passés mes gosses ? ». Les
gens, derrière elle, se sont esclaffés.
Souvent,
les Québécois reprochent aux Français de céder aux sirènes de l’anglais. J’ai
cessé depuis longtemps de me laisser intimider par ce genre de reproches en me
servant d’une pirouette : « Vous avez raison. Les Français stationnent leurs
voitures dans un parking tandis que vous, les Québécois, vous parkez vos chars
dans un stationnement ! »
Et c’est
bien volontiers que je laisse mes amis québécois prendre une marche, pêcher un
lac, skier une montagne ou rouler un char. Mais je dois confesser ceci : mon
niveau d’anglais s’est considérablement amélioré depuis que je vis au Québec.
Depuis
lors, j’ai compris que la langue française n’appartient pas aux Français, mais
à tous ceux qui la parlent. Il y a autant de façons de la parler que de peuples
qui l’utilisent. Ma façon de parler ne vaut pas mieux que celle des Québécois.
Et réciproquement.
Que ce
soit à cause de la langue ou que ce soit à cause du savoir-faire professionnel,
vivre au Québec peut se révéler une expérience confrontante pour un Français.
Malgré ses certitudes, et Dieu sait si les Français en ont, il n’a pas toujours
raison.
Celui
qui est capable de dépasser cette confrontation en sort grandi.
Vivre
longtemps dans un pays ne veut pas dire être de ce pays. Un Français vivant au
Québec restera toujours un Français. À cause de sa mentalité, à cause de son
accent, à cause de ses goûts, à cause de ses références, à cause de ses
souvenirs, à cause de ses émotions.
Après
avoir séjourné une quinzaine d’années au Québec, j’ai pris le temps de
réfléchir sérieusement à la question : qui suis-je, un Français ou un Québécois
?
Ayant
ruminé la question tout un été, j’ai trouvé une réponse satisfaisante. À savoir
que je suis un Français vivant au Québec et heureux d’y vivre. Depuis je
m’assume comme tel et je m’en porte parfaitement bien. Et honni soit qui mal y
pense.
Quand, à l’aller, l’avion atterrit à Paris, j’arrive chez moi. Quand,
au retour, l’avion atterrit à Montréal, j’arrive chez moi. Autant à l’aller qu’au retour, j’en suis fort aise !
ERIC SALARD-Quebec(CC BY-SA 2.0)
Malgré
des hivers interminables, malgré une fiscalité ahurissante, malgré des moeurs
souvent rock and roll, malgré une cuisine discutable, malgré le prix
astronomique des vins vendus par un monopole d’État, malgré l’invraisemblable
pénurie de médecins, la vie au Québec est agréable.
Cette
vie est agréable parce que les Québécois sont des gens chaleureux et
attachants.
Pourquoi
riait-on de la Française qui cherchait ses gosses ? Parce qu’au Québec le mot « gosse » est un synonyme de
testicule.
Source contrepoints.org
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