Ma vie d’expat’ en … France
Le témoignage d’Ernst, Néerlandais
expatrié dans la Drôme avec sa femme : « Nous n’avons aucun regret. Si je
dis « chez nous », je pense à mon village français et pas à mon pays
d’origine. »
Drôme provençale by Isabelle
Barrhuet–CC BY-NC-ND 2.0
Une petite présentation ?
Je m’appelle Ernest, né Ernst en 1948, donc retraité.
Même métier que Laurent, ou presque :
consultant informatique. Marié assez jeune, j’ai deux enfants, 7
petits-enfants. Ma femme est photographe naturaliste et « petite
paysanne », toujours pleine de projets, de préférence dehors.
Pourquoi être parti ?
Aux
Pays-Bas, depuis la fin de mes études, ma femme et moi avons vécu dans des
villages de plus en plus petits. On pourrait penser : ambiance tranquille,
mais en réalité, pour nous la pression de la densité de gens autour de nous
était une des raisons principales pour émigrer. De plus, le paysage ici est
tellement beau, chaque sortie pour faire des courses ou autre devoir est une
petite fête : la montagne, la vue, les falaises, les pierres, (on ne dit
pas sans raison « où la terre montre
l’os ») et bien sûr aussi un soleil dans un ciel bleu.
Nous
avons découvert un hameau, une commune de gens ouverts et accueillants et notre
vie sociale est plus développée qu’aux Pays-Bas. Évidemment, il faut faire
l’effort de parler la langue locale, même s’il y a d’autres nationalités
présentes – on ne veut pas s’enfermer dans un ghetto.
La
fiscalité n’a joué aucun rôle. La France et les Pays-Bas ont conclu un traité
pour éviter les impôts doubles. Par conséquence, nos pensions venant de l’État
néerlandais sont taxées aux Pays-Bas et mes revenus du fonds de retraite, ainsi
que tout revenu français (par exemple – le loyer d’un gîte) sont taxés en
France. Les deux pays calculent notre « revenu mondial » pour déterminer le
tarif applicable. Impossible de savoir si je paye plus d’impôt dans la
situation actuelle que si j’étais resté aux Pays Bas.
Pourquoi avoir choisi la France,
pourquoi la Drôme ?
Dans les
années 1990 nous sommes partis plusieurs fois en vacances dans les Antilles
françaises : Martinique, Guadeloupe, et à un moment donné nous avions eu
vraiment envie de nous y installer, mais le travail et notre compte bancaire ne
l’ont pas permis. L’Extremadura, à l’intérieur de l’Espagne aussi avec une
nature extraordinaire, était la favorite, mais la chaleur de l’été et la
distance (2 jours en voiture) nous ont fait changer d’avis. Puis, la Drôme, un
pays caléidoscopique, nous a séduits. À un seul jour d’autoroute ou de TGV de
distance des parents, enfants et petits-enfants, c’est une région avec une
nature très riche, assez sauvage, qui a répondu à tous nos besoins.
Drôme provençale by Pascal
Vuylsteker–CC BY-SA 2.0
Avez-vous eu des doutes ?
Comment les avez-vous gérés ?
Le
souhait d’émigrer existait déjà longtemps, mais en tant que co-fondateur de
l’entreprise où je travaillais, ce n’était pas possible de partir avant de
l’avoir vendue. Un management buyout –
un trio de nos jeunes consultants nous ont proposé de racheter la société –
déclencha la possibilité de partir.
Nous
avons commencé par louer un gîte de fin septembre à mi-décembre, pour faire
l’expérience de la vie quotidienne hors été et vacances, travaillant à
distance. Entretemps nous avons épluché les offres de maisons, d’abord sur
internet. En avril suivant nous étions de retour pour un autre mois d’essai. Et
à ce moment-là nous sommes tombés sur l’annonce d’une maison qui répondait à
tous nos besoins, et même plus. Nous sommes partis à la recherche du Maire, qui
n’a eu qu’une question : « C’est une
maison secondaire ou pour vous installer ici ? – 8 mois ici, 4 mois au nord » avions-nous
pensé. Une semaine plus tard, le compromis de vente était signé.
Début
août nous sommes arrivés avec tout ce que nous voulions préserver de notre
existence précédente : une grande remorque, même pas un camion : la
maison nous était vendue à moitié meublée. Un an plus tard nous avons vendu
notre maison aux Pays-Bas. Impossible d’entretenir deux maisons et inutile en
plus, nous nous étions installés en France sans réserve.
Bilan
Presque
cinq ans dans l’aventure, nous n’avons aucun regret. Oui, le français n’est pas
facile, mais avec comme professeur une jolie femme qui vient quelques heures
par semaine pour enseigner à un petit groupe d’étrangers, il y a un réel
progrès, même si nous ne sommes pas encore aussi habiles que dans notre langue
maternelle.
Après un
apéro « bonjour-au revoir », organisé en commun avec l’ancienne
propriétaire (qui est ensuite retournée dans son pays d’origine), ma femme a
initié un petit groupe de tricoteuses sous condition qu’on n’y parle que le
français. L’histoire du robot pour nettoyer les poules, qui, après
interrogations des « vraies » Françaises, s’est révélé être plutôt
pour nettoyer le pool (la piscine), fait encore rire.
En mars
2014, je suis tombé au milieu des élections communales et, quelques semaines
plus tard, je me retrouvais au conseil municipal. À la troisième réunion le
maire me donna le stylo pour écrire le compte rendu… J’ai fait de mon mieux et
heureusement j’ai reçu beaucoup d’aide de plusieurs personnes. Ouf !
L’âne By: Annie Roi – CC BY 2.0
Joindre
la chorale de la ville la plus proche était une autre étape qui m’a apporté
beaucoup d’opportunités pour faire la connaissance de Françaises et Français et
de leur mode de vie. Et naturellement, tout le monde a besoin d’un peu d’aide
dans le domaine de l’ordi, ça vous rend vite populaire ! Entretemps, ma
femme (se sentant encore un peu paysanne comme avant) a réintroduit des poules
et un coq, un exemple suivi par quelques autres dans la combe. Un petit
troupeau de brebis d’une race locale et encore un âne pour faire bonne mesure.
Avec ça, c’en est fini des voyages, elle a pris racine.
Est-ce que vous vous sentez
encore Néerlandais ?
Dans un
sens oui, dans un sens non. Si je dis « chez nous », je pense à mon
village français et pas, comme je l’observe chez quelques immigrés, à mon pays
d’origine. Mon profil sur Google Actualités est celui de la France, avec en
plus quelques mots clés pour suivre les grands titres des Pays Bas. Je ne
regarde pas la télé, comme je ne la regardais pas avant de partir. Mais
évidemment, avec des proches et quelques dizaines d’amis là-bas, ce n’est pas
un pays comme un autre.
Quelques
fois par an je m’y rends pour faire le tour de la famille. Ce qui me frappe
chaque fois, c’est la densité de la population, l’éternel manque de temps dont
tout le monde semble souffrir, la bataille pour deux mètres de goudron sur les
routes, le bombardement de publicité partout, jour et nuit. Une petite semaine
me suffit pour me faire revenir vers ma petite vallée en sachant que j’ai fait
le bon choix.
Donc, pas de retour ?
On se
pose parfois des questions : et si je tombe sévèrement malade ? Si je
perds ma femme ou qu’elle reste seule ? Difficile de s’imaginer des
situations comme ça, même si on sait que tout cela est bien possible, même
probable. Notre maison est, au contraire de la plupart des maisons d’ici, bien
accessible en fauteuil roulant, nécessitant seulement quelques adaptions
minimales. Hôpitaux, médecins sont plus loin que dans les régions de population
dense, mais, ici comme aux Pays-Bas, on peut constater une tendance à la
concentration et à la spécialisation médicale qui rend l’argument caduc.
Un souci
est encore la communication avec le médecin dans une situation de crise ;
mauvaise idée du conseil départemental drômois d’éliminer les interprètes dans
les hôpitaux. Qu’est-ce qu’ils proposent : apprendre le français à la
perfection sous peine de mort ?
Petit
souci aussi concernant l’assurance maladie. Les Pays-Bas prennent une prime
d’assurance de ma pension et l’envoient vers la France. Ainsi nous avons une
carte vitale française. Ça marche, mais, il y a dix ans, le gouvernement
néerlandais a changé les règles et quelques retraités vivant en Espagne ont été
obligés de se rapatrier, malgré le fait que cela a augmenté la facture pour
l’État.
Je suis
donc conscient que les expats se trouvent à la marge pour les politiciens quand
ils développent des nouvelles réglementations. Il y a déjà eu des cas où il a
fallu l’intervention de la Cour Européenne à Luxembourg pour forcer l’État
néerlandais à changer des règles qui discriminaient les émigrés néerlandais
dans l’UE.
Il y a
aussi la question de l’assurance maladie privée. Sans faire la comparaison (aux
Pays-Bas ce n’est pas mieux), le système français est assez étonnant. Le
principe de toute assurance est qu’on n’assure que les risques qu’on ne peut
pas porter soi-même. Par contre, les assureurs offrent de vous rembourser des
petites sommes pour les risques banals, mais pour les risques sérieux leurs
caisses restent fermées. C’est une paperasserie énorme, qui en plus fait monter
les prix des outils comme les lunettes, mais n’augmente pas l’accessibilité des
services médicaux. J’ai cherché en vain une assurance qui rembourse les frais
médicaux au-delà de X euro par année, le montant X à choisir en fonction de ses
propres moyens. Espérons qu’un entrepreneur malin saisisse cette opportunité.
Le plus
grand souci : sans transport public, nous dépendons fortement de notre
voiture. Espérons que notre faculté à conduire reste intacte jusqu’au moment où
les « voitures autonomes » arriveront.
Je ne sais pas si les gens des grandes villes le
réalisent, mais internet a complètement changé la vie à la campagne : le
manque de commerces spécialisés, de librairies, de cinémas, ou bien l’isolement
: tout cela est largement résolu par les services du Bon Coin, d’ Amazon, de Netflix et de Skype. Acheter une pièce détachée depuis les
États-Unis pour le PC du voisin ? Un livre spécifique ? Une info sur
n’importe quel phénomène ? Une conférence avec les collègues dirigeant une
association internationale ? Tout cela est possible, même si l’accès à
internet n’est pour le moment pas très fiable. Mais dans quelques années, le
syndicat mixte « Ardèche Drôme Numérique » nous installera la fibre
optique jusqu’à la maison. Ce sera la clé de voûte de la vie moderne à la
campagne.
Autre chose à ajouter ?
Le témoignage de Laurent, Français expatrié aux
Pays-Bas, nous a bien amusés et étonnés, puis fait
réfléchir. Nous partageons plusieurs de ses observations, même si nous avons
voyagé dans l’autre sens. Une pareille sensation de libération chez
Gilles en Al. Par contre, une voisine française,
revenue pour sa retraite dans son village de naissance, se sent parfois
observée comme nous nous sommes sentis observés quand nous vivions aux
Pays-Bas. Comment comprendre ce paradoxe ?
Peut-être
le statut d’expat’ donne une certaine liberté sociale, qui entraîne une
tolérance des voisins et collègues dont ne jouit pas l’autochtone. Les gens des
alentours acceptent qu’on soit un peu différent, un peu mal adapté, tandis que,
dans son propre environnement, on sent le regard scrutant – imaginé ou pas – de
l’autre.
Marsanne By: jean-louis Zimmermann – CC BY 2.0
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire