La conjuration des
imbéciles John Kennedy TOOLE
Traduit de l’américain par Jean-Pierre Carasso
(4ème de couverture)
Ecrit au début des
années soixante par un jeune inconnu qui devait se suicider en 1969, à l’âge de
trente-deux ans, parce qu’il se croyait un écrivain raté, La conjuration des
imbéciles n’a été éditée qu’en 1980. Le plus drôle dans cette histoire, pour peu
qu’on goûte l’humour noir, c’est qu’aussitôt publié, le roman a connu un
immense succès outre-atlantique et s’est vu couronné en 1981 par le prestigieux
prix Pulitzer. Une façon pour les Américains de démentir à retardement le pied
de nez posthume que leur adressait l’écrivain, plaçant en exergue à son livre
cette citation de Swift : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on
peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ».
(1ere phrase :)
Une casquette de
chasse verte enserrait le sommet du ballon charnu d’une tête.
(Dernière phrase :)
Saisissant la natte
dans une de ses grosses pattes, il la pressa chaleureusement contre sa
moustache humide.
Alors là grande classe : un livre
parfait, du niveau de « Eurêka Street ».
Un livre hilarant, burlesque,
poétique, désespéré, politique, mystérieux, romantique, crade, profondément
original, bien écrit, bien traduit la plupart du temps, épais, dense. Bref à
lire et à relire.
Voici donc la fabuleuse épopée
d’Ignatius Reily, génie mégalomane de 28 ans en guerre avec la société : obèse,
moustachu, fin lettré, il vit chez sa mère à la Nouvelle-Orléans, dont il n’est
sorti qu’une fois pour se rendre à Baton-Rouge mais on n’est pas près de l’y
reprendre, et travaille à son œuvre. Sa philosophie met en avant la théologie
et la géométrie et s’inspire de l’œuvre du romain Boèce, apparemment un stoïque
pour lequel toute volonté de succès est méprisable. Avec son anneau pylorique
capricieux, son considérable surpoids, sa crasse, sa maladresse, sa mauvaise
foi, son égoïsme et son combat anti-social, Ignatius est rejeté de toute part,
mais il n’en a cure. Seule sa mère qui subvient à ses besoins, et Myrna Minkoff
son amoureuse platonique rencontrée à l’université, entretiennent des relations
avec lui.
Jusqu’au jour où à la suite de
complications financières, la mère d’Ignatius le contraint à aller chercher du
travail. S’en suit une avalanche de catastrophes et de fiascos, aux pantalons
Levy dans un premier temps, puis au Paradise Vendors de Mr Clyde (magnat de la
Francfort), parsemés de combats politiques houleux tels que la croisade pour la
fierté des Maures ou l’avènement de la paix universelle par la réservation de
la carrière militaire aux seuls homosexuels. Ignatius profite de ses déboires
pour alimenter son journal d’un jeune travailleur, très susceptible d’être
adapté au cinéma et de clouer le bec à l’arrogante Myrna Minkoff. Toujours
est-il que de déboires en cataclysmes, Ignatius se met dans de si sales draps
que seule l’apparition in extremis de Myrna Minkoff permet de le sauver des
infirmiers envoyés par sa mère pour l’interner : Ah l’amour…
Pour le burlesque et la galerie de
personnages (Mr Jones, Lana Lee, Mr et Mrs Levy, Gonzalez, Mrs Trixie, Darlena,
Mr Clyde, Mr Greene, etc…), on dirait du Pennac en plus profond, avec de la
densité psychologique en dépit de figures parfaitement farfelues. Là-dessus
Ignatius est un génie dont la culture et le vocabulaire sont vastes, et la
peinture de l’Amérique des années 60 est à la fois originale et cruelle
(l’obsession des « communisses », l’agent de police Mancuso désespérément à la
recherche d’un suspect, les noirs et l’esclavage moderne, le « bouligne »…).
Ignatius entretient une relation étonnante avec la télé et le cinéma : il se
délecte du mauvais goût et de la vulgarité des programmes et ne les raterait
pour rien au monde, tant il a plaisir à détester ce spectacle. De même, quand
il est particulièrement satisfait d’un de ses écrits, il le qualifie de «
commercial ». Une des qualités de ce livre et de ses personnages est ainsi de
laisser de la place aux paradoxes et aux contradictions. C’est de là que vient
l’épaisseur.
L’épaisseur peut-être aussi vient de
ce que l’associabilité d’Ignatius est sans doute en partie celle de l’auteur,
qui s’est suicidé à 32 ans quelques années après avoir écrit ce livre, se
croyant apparemment un écrivain raté. Peut-être tout simplement qu’il avait
tout mis dans un seul livre.
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