La tache Philip Roth
Traduit de l’américain par Josée Kamoun
(4ème de couverture)
A la veille de la
retraite, un professeur de lettres classiques, accusé d’avoir tenu des propos
racistes envers ses étudiants, préfère
démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l’innocenter.
Tandis que l’affaire
Lewinski défraie les chroniques bien-pensantes, Nathan Zuckerman ouvre le
dossier de son voisin Coleman Silk et découvre derrière la vie très rangée de
l’ancien doyen un passé inouï, celui d’un homme qui s’est littéralement
réinventé, et un présent non moins ravageur : sa liaison avec la sensuelle
Faunia, femme de ménage et vachère de trente-quatre ans, prétendument
illettrée, et talonnée par un ex-mari vétéran du Vietnam obsédé par la
vengeance et le meurtre.
Après Pastorale américaine et J’ai épousé un communiste, La tache, roman brutal et subtil, complète la
trilogie de Philip Roth sur l’identité de l’individu dans les grands
bouleversements de l’Amérique de l’après-guerre, où tout est équivoque et rien
n’est sans mélange, car la tache « est en chacun, inhérente, à demeure,
constitutive, elle qui préexiste à la désobéissance, qui englobe la
désobéissance, défie toute explication, toute compréhension. C’est pourquoi
laver cette souillure n’est qu’une plaisanterie de barbare et le fantasme de
pureté terrifiant ».
Le « Théâtre de Sabbath » à valu à Philip Roth en
1995 le National Book Award, qu’il avait déjà obtenu en 1960 pour son premier
livre « Goodbye, Colombus ». Il a reçu à deux reprises le Nationel Book Critics
Circle Award, en 1987 pour « La contrevie » et en 1992 pour « Patrimoine ». Ses
romans « Opérations Shylock » et « La tache » ont été
récompensés par le PEN Faulkner Award. « Pastorale américaine » a été
couronné par le prix Pulitzer et, en France, a reçu le Prix du meilleur livre
étranger. Tous les livres de Philip Roth sont traduits aux Editions Gallimard.
(1ere phrase :)
A l’été 1998, mon
voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à
l’université d’Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une
vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes,
m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une
femme de ménage de l’université qui n’en
avait que trente-quatre.
(Dernière phrase :)
Il est rare qu’en
cette fin de siècle la vie offre une vision aussi pure et paisible que celle
d’un homme solitaire, assis sur un seau, pêchant à travers quarante-cinq
centimètres de glace, sur un lac qui roule indéfiniment ses eaux, au sommet
d’une montagne arcadienne, en Amérique.
Avec La tache, qui débute en pleine
affaire Lewinsky, Philip Roth dresse une satire féroce des mœurs américaines.
Un roman ébouriffant.
Il n'y a que deux sortes de lecteurs
de Philip Roth: ceux qui l'adorent et ceux qui ne l'ont pas lu. La Tache est un
roman qui ravira les premiers et ouvrira aux seconds les portes de la
littérature. Philip Roth confirme ce que l'on supposait: il est un écrivain
hors norme, plus puissant, plus libre, plus proche de la vie à chacun de ses
livres. Quel romancier est capable d'une telle vitalité? En dévorant La Tache,
satire au vitriol des mœurs américaines, on songe à la légende que Philip Roth
a laissé construire à son propre sujet depuis trente-cinq ans: il serait
cauteleux, misanthrope, un rien dépressif et détesterait par-dessus tout ces
curieux qui viennent lui parler de ce qu'il a mis tant d'années à écrire.
Problématiques millénaires. Il ne
faut rien dévoiler de la stupéfiante machination que Coleman Silk, le héros de
ce roman, met en place pour devenir quelqu'un d'autre, pour changer de vie,
pour changer de peau. Cet universitaire respecté nous ressemble comme un frère.
Excessif et mystérieux, prêt à tout pour démentir le destin, rebelle à l'ordre
social, il butera pourtant sur l'irréductible bêtise de son époque: accusé par
deux de ses étudiants d'avoir tenu des propos racistes, puis accusé de
harcèlement sexuel sur la personne d'une charmante femme de ménage qui se
définit elle-même comme une «petite salope toute gamine déjà», le respectable
Coleman Silk doit démissionner. Brisé, il raconte alors sa vie à un écrivain
maudit, un certain Nathan Zuckerman... Philip Roth acquiesce lorsqu'on lui
demande si Zuckerman est bien son double littéraire: «C'est un artifice, je le
reconnais, il est présent dans beaucoup de mes romans comme un élément
indispensable pour faire accoucher les personnages principaux de leur part de
vérité.» Autre artifice, l'alternance parfaitement maîtrisée du comique le plus
déluré et de la tragédie la plus sombre. Philip Roth n'écrit pas des romans à
thèse, et pourtant il invite à la réflexion en rendant furieusement
contemporaines des problématiques millénaires. Changer de vie, est-ce trahir?
Roth reconnaît bien volontiers que le premier romancier du monde fit de cette
interrogation la trame du premier vrai roman de l'histoire de la littérature:
Homère, dans « L'Iliade », ne raconte pas autre chose que cette
tentative désespérée de déjouer la courbe du destin.
Et ce n'est évidemment pas par
hasard que Coleman Silk enseigne la tragédie grecque à des étudiants américains
gavés de feuilletons policiers et de films porno. Roth sème les allusions
mythologiques tout au long du récit de la chute de cet homme prêt à défier les
dieux pour s'accomplir malgré eux.
Mais ce n'est pas pour parler d'hier
que Philip Roth lance le lecteur dans ce fulgurant labyrinthe. «Je sortais de
Pastorale américaine, qui traite de la guerre du Vietnam, puis de J'ai épousé
un communiste, qui parle du maccarthysme; je me suis demandé si j'étais capable
d'écrire quelque chose de sensé sur une période qui n'était pas encore
historique, sur la période que je vivais. Or nous étions en 1998...» Et 1998,
aux Etats-Unis, n'est pas une année comme les autres. Voici comment Philip Roth
la fait entrer dans l'Histoire: «En Amérique en général, ce fut l'été du
marathon de la tartuferie: le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui
du communisme comme menace majeure sur la sécurité du pays, laissait la place
au spectre de la turlute; un président des Etats-Unis, quinquagénaire plein de
verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de 21 ans folle de lui,
batifolant dans le Bureau ovale comme deux ados dans un parking, avaient
rallumé la plus vieille passion fédératrice de l'Amérique, son plaisir le plus
dangereux, le plus subversif historiquement: le vertige de l'indignation
hypocrite.»
L'Amérique face à ses démons. C'est
donc sur fond d'affaire Lewinsky que débute ce roman ébouriffant. «Monica
Lewinsky a révélé davantage sur l'Amérique que quiconque depuis Dos Passos et
son éblouissante trilogie U.S.A.», explique Roth sans plaisanter. La volonté de
pureté et son terrible cortège d'ombres, voilà le cœur de ce livre drôle et
impitoyable. Roth n'hésite pas à mettre l'Amérique face à ses démons. Ultime
pirouette de la part de ce maître du roman noir, le rôle du procureur est tenu
par... une Française! Delphine Roux est le double inversé de Coleman Silk:
alors que ce dernier a osé la plus dangereuse des métamorphoses pour changer sa
vie, la petite normalienne étriquée a remisé bien sagement son ambition dans le
carcan que lui tendait la société et croit s'être affranchie du déterminisme
parce qu'elle a traversé l'Atlantique. C'est elle qui fera régner sur les
campus l'esprit de pureté, cet esprit assainissant qui prétend purger le monde
de sa crasse. «Mais la crasse est innée, martèle Roth. Nous sommes la crasse.
Nous ne sommes pas que cela, mais nous sommes aussi cela. Ces pulsions de
pureté sont démentes, non?»
La Tache, c'est bien sûr la
souillure humaine, ancrée en chacun de nous et qu'il nous revient de combattre
si nous voulons prétendre à un semblant de liberté. C'est aussi cette trace
blanchâtre laissée par le liquide présidentiel sur la robe d'une stagiaire
voilà quatre ans et qui déclencha chez les Américains une exubérante volonté de
purification. Le parallèle, symbolique, n'est que trop évident. Il fournit son
meilleur roman à un Philip Roth goguenard et fier du bon tour qu'il vient de
jouer à son pays.
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