Déclin français Le repli sur les acquis
Au cœur des interactions
déterminant le devenir d’une civilisation se trouve le politique. Il interagit
nécessairement avec l’économique, le social, le juridique et l’institutionnel.
Quant à l’aspect éthique, il est indissociablement lié au politique qui porte
les valeurs déterminant la vision de l’avenir et les modalités de l’action.
Cinq concepts politico-éthiques constituent la base intellectuelle du déclin de
la France au début du 21e siècle : l’idéologie, le
dogmatisme, le repli sur les acquis,
l’hédonisme et la démagogie.
- Innovation et acquis
Dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), Joseph Schumpeter a
montré que l’un des mécanismes économiques fondamentaux est la destruction
créatrice. L’innovation est au cœur des évolutions et elle est génératrice
de crises car elle remet en cause les positions acquises et incite à
l’adaptation, produisant ainsi des grappes d’innovations induites. Le chemin de
fer et l’automobile détruisent tout ce qui tourne autour du transport à cheval.
L’électricité rend caduque la lampe à huile. Aujourd’hui, l’informatique et
internet créent tout un commerce en ligne qui remplace certaines boutiques ou
grandes surfaces. L’évolution économique passe donc par la destruction
d’anciennes activités et, concrètement, il en résulte des fermetures
d’entreprises, des faillites, des licenciements. La puissance économique
relative d’un État ou même d’une civilisation peut donc, sur le long terme,
varier considérablement en fonction de sa capacité d’adaptation aux
technologies émergentes. La maîtrise croissante de l’Inde ou de la Chine dans
le domaine de l’électronique et de l’informatique en est un exemple actuel.
- La dynamique de l’innovation
Face à ce changement
perpétuel dans le domaine scientifique, technique et, par suite, économique,
qu’est-ce qu’un acquis, et en particulier ce que certains partis politiques ou
syndicats appellent un acquis social ? D’un point de vue théorique, la réponse
est tout à fait évidente : il n’existe aucun acquis puisque tout dépend de la
réussite relative de l’entité politique à laquelle on appartient : un déclin
économique, une crise profonde peuvent tout remettre en cause.
Mais l’expression
acquis social est, en pratique, employée dans un sens plus précis : il s’agit
des avantages obtenus par le groupe social ou le secteur d’activité auquel on
appartient : les fonctionnaires, les électriciens, les enseignants, les
salariés du secteur bancaire, etc. Chaque catégorie défend les avantages
spécifiques qui sont les siens et considère comme un acquis les avantages
historiquement obtenus. Même de ce point de vue, rien n’est acquis : si la
banque en ligne se développe fortement, de nombreuses banques de guichet vont
disparaître et leurs salariés également. Les salariés maintenus devront
s’adapter à de nouvelles conditions de travail. Y a-t-il alors des standards
sociaux minimum auquel peut prétendre toute personne quelle que soit sa
situation ? Par exemple des minimas sociaux ou des indemnités de chômage ? Sans
doute pas puisque leur financement dépendra de la situation financière de
l’organisme payeur et en dernier lieu de l’État si celui-ci intervient. Or
cette situation est très relative et peut se dégrader si la compétitivité
internationale diminue. Ce raisonnement ne se limite pas aux avantages
monétaires ou matériels. Il concerne aussi le statut du salariat. En effet tout
avantage a un coût : par exemple la représentation des salariés diminue le
temps travail des représentants et occasionne des réunions augmentant les
charges de structure. Tout alourdissement de la structure génère des coûts.
- La politique contre l’économie
La notion de droits
acquis est donc un doux rêve entretenu à dessein par certains cercles
politiques. Une société qui respecterait les droits acquis sur le long terme se
déconnecterait totalement du réel par une sorte de pétrification progressive.
Tout est évolutif, y compris le social et si on peut qualifier sur le court
terme de progrès social certaines évolutions (hausses de salaires,
représentation des salariés dans les entreprises, négociation collective, etc.)
rien n’est assuré sur le long terme.
Pourtant, le droit
social est difficile à remettre en cause car, bien évidemment, les salariés
sont très sensibles à des changements qui peuvent être perçus comme une
régression. Ainsi, l’introduction de davantage de flexibilité dans les
conditions d’emploi (temps de travail, types de contrats) a été perçue comme un
recul social par la plupart des salariés, relayés par leurs syndicats. Or, il
s’agissait d’une nécessité pour les entreprises confrontées à une conjoncture
de plus en plus mouvante. Trop de rigidité les condamnerait à disparaître.
En démocratie, les
salariés ont des droits politiques ou syndicaux, comme tout citoyen, et ils
peuvent donc se faire représenter dans les instances de décision politique. Par
ailleurs, dans une société développée, le salariat représente numériquement une
grande partie de la population ; son poids politique est considérable. Il en
résulte une tension politique et sociale permanente entre innovation et droits
acquis. L’adaptation des sociétés démocratiques développées au changement est
donc extrêmement difficile et résulte d’un processus permanent de négociation.
Il faut trouver un équilibre précaire qui permette l’adaptation aux évolutions
du monde sans provoquer d’explosion sociale. À partir de la fin du 20e
siècle, la réactivité aux changements a été faible et a provoqué un déclin
relatif de l’Occident.
Contrairement aux
acquis sociaux, les acquis patrimoniaux par le biais de l’héritage ont peu
d’impact de ce point de vue. L’héritage est universellement accepté en pratique
et sa remise en cause est idéologique. Les États prélèvent en général des
droits de succession, mais ceux-ci sont principalement une opportunité de
recettes fiscales et ne remettent pas en cause la transmission des patrimoines.
Seuls les États communistes ont aboli l’héritage des moyens de production et
des biens immobiliers, mais leur échec historique ne plaide pas en leur faveur.
Il n’existe donc que peu de concurrence entre les États en ce qui concerne la
transmission des acquis patrimoniaux : seul le niveau des droits de succession
intervient. Les paradis fiscaux peuvent évidemment être attractifs mais leur
rôle économique et politique est extrêmement faible.
Les héritiers ne sont
d’ailleurs pas ceux qui influent le plus sur l’innovation. La fin du 20e siècle
a vu naître et prospérer des entreprises créées financièrement ex nihilo :
Microsoft, Apple, Google. Ce sont les idées novatrices de jeunes gens visionnaires,
c’est-à-dire l’intelligence et non pas l’argent, qui sont à la base de leur
réussite. Ainsi Steve Jobs, fondateur d’Apple, imagine dès les années 70
l’ordinateur personnel dans un monde dominé par les grosses machines d’IBM. De
même, dans les années 70, Bill Gates et Paul Allen, fondateurs de Microsoft,
vont formaliser le premier interpréteur du langage BASIC pour micro-ordinateur.
Dès le début des années 80, ils conçoivent le système d’exploitation MS-DOS qui
détrônera tous les précédents. Google a été créée en 1998 par Larry Page et
Sergey Brin qui ont mis au point un algorithme très novateur pour améliorer les
performances des moteurs de recherche. Dix ans plus tard, Google est l’une des
entreprises les plus puissantes du secteur et même du monde.
L’acquis patrimonial
n’est donc pas un déterminant de la capacité d’innovation. Par contre, les
États qui ont cherché à abolir l’héritage l’ont remplacé par des institutions
rigides qui ont bloqué l’innovation. Le pragmatisme inhérent au capitalisme n’a
pas été surpassé à ce jour pour instaurer une capacité d’innover.
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire