L’espoir a-t-il un
avenir ?
Une investigation philosophique de
la notion d’espoir pour désamorcer le sentiment décliniste signée Monique Altan
et Roger-Pol Droit.
L’ouvrage de Monique Atlan et de Roger-Pol Droit est un
Ovni dans l’actualité littéraire, au sens premier du terme. Leur objet d’étude,
l’espoir, est un « papillon difficile à épingler » parce qu’il est un
sentiment si communément partagé qu’il en devient comme trop évident, et par
suite difficilement identifiable, nécessitant une mise au clair. Par ailleurs,
en abordant le problème politique du pessimisme du point de vue de l’espoir,
indépendamment de tout positionnement idéologique, les deux auteurs survolent
les essais politiques. Ces derniers foisonnent à proportion que se développe le
sentiment décliniste, comme pour remédier au vide de projection en proposant
les uns et les autres des projets prétendument galvaniseurs. Il s’agit plus profondément
d’une investigation philosophique de la
notion d’espoir elle-même pour désamorcer au fondement même le sentiment
décliniste, qui surgit d’une crise de notre rapport au temps. De cette manière,
ils rétablissent les conditions pour redessiner une ligne d’horizon commune,
sans jamais la dessiner effectivement.
L’espoir éclipsé
L’espoir
est un phénomène proprement humain, et à ce titre, il est infiniment complexe,
mêlant sentiments et raison. Il n’est pas réductible à l’attente passive et
crédule en des jours meilleurs. Au contraire, l’espoir se nourrit de la
réflexion sur le temps, à la fois sur le passé comme « champ
d’expériences » vécues, et sur l’avenir comme « horizon
d’attentes ». En ce sens, la notion de progrès joue un rôle déterminant
dans la construction de l’espoir comme sentiment. Il est un horizon collectif
qui se cultive. Comme l’a bien formulé Étienne Klein, « l’idée de progrès a une anagramme qui la résume en partie : le degré
d’espoir ».
Notre
période est traversée par une crise de l’espoir, qui provient en partie d’un
manque de recul sur celui-ci, menant à deux excès : l’abandon de l’espoir,
ou au contraire l’enfermement dans une crédulité naïve. Selon la formule de
Bergson, « l’homme ne peut pas exercer sa
faculté de penser sans se représenter un avenir incertain, qui éveille sa
crainte et son espérance ». Or l’espoir est intimement lié au
jugement que nous portons sur l’avenir, comme l’a si bien montré Descartes dans
Les passions de l’âme. L’espoir bascule
vite dans la crainte, voire même dans le désespoir, lorsque nous nous
représentons la probabilité que nos désirs se réalisent comme faible.
Dans cette perspective, l’abandon de l’espoir est un
refuge contre la déception des attentes non abouties. François Hartog, dans son livre Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, montre bien cette éclipse de l’espoir dans des sociétés
traversées par l’incertitude, la valorisation de l’instant présent seul à
notre portée, conduisant in
fine à une apathie politique par manque de
projection, ou par la mort de l’idéalisme : en somme, un cercle vicieux de
dépolitisation des sociétés. En devenant un tabou, l’espoir est abandonné aux
religions, lesquelles offrent un horizon d’attente au-delà du politique.
L’enjeu est donc de refonder l’espoir collectif comme sentiment au cœur de la
politique, dans la vie d’ici-bas. Car « si l’espoir politique est grippé, l’espoir individuel, lui,
résiste en secret ». Telle est l’image de
l’éclipse : « ce qui
est éclipsé n’est pas anéanti mais seulement voilé »
Une archéologie de l’espoir, contre l’optimisme
crédule
L’investigation
philosophique menée par Monique Atlan et Roger-Pol Droit est d’abord une
investigation historique, du fait même que l’espoir est « un drôle de
papillon difficile à épingler ». Il n’est pas possible de le figer
conceptuellement, au moyen d’une réflexion abstraite de l’expérience. La tâche
consiste à dresser un vaste panorama du rapport des sociétés au temps, pour
montrer que toutes n’ont pas cultivé de la même manière l’espoir comme
sentiment : qu’apprend-t-on dans le mythe de Pandore sur l’espoir ?
Que nous enseigne Platon ? Épicure ? Qu’est-ce que la foi chrétienne offre
comme perspective ? Quelle a pu être l’influence des Grandes découvertes
sur notre rapport au temps ? En quoi la Révolution française a-t-elle fait
basculer radicalement l’espoir dans la sphère politique ? Pourquoi en
sommes-nous arrivés à ce degré de nihilisme, à cette méfiance envers
l’avenir ?
Cette
mise à distance doit permettre de saisir que la perte d’espoir n’est pas une
fatalité, mais elle est la conséquence d’un abandon philosophique, et du refuge
dans le « présentisme » ou dans son excès inverse, l’optimisme
crédule et passif. L’ouvrage se situe dans la continuité des travaux d’Ernst
Bloch sur l’Utopie : il s’agit de se rendre d’abord maître de l’espoir
pour en faire le socle d’un projet collectif. La force de l’ouvrage consiste à
ne rien proposer de concret, mais seulement à préconiser plus de recul sur les
ressorts d’un sentiment au fondement même de la politique.
Source contrepoints.org
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