Face à Poutine, la diplomatie punitive ne
marche pas
Face à une Russie arrogante,
manifestement en manque d’une puissance dont on se plaisait trop bruyamment à
dire qu’elle avait disparu, les punitions et les évitements successifs n’ont
rien apporté au peuple syrien qui souffre.
D’interminables bruissements se sont faits entendre
autour de la venue annoncée de Vladimir Poutine à Paris. Ils se sont
intensifiés dès lors que le projet français de résolution sur la Syrie a été
déposé devant le Conseil de sécurité de l’ONU pour essuyer finalement un veto
russe. Ils ont trouvé leur aboutissement dans une nouvelle occasion manquée de
dire et de faire, lorsque le maître du Kremlin
a lui-même annoncé le report de sa visite.
Bien
étrange agitation au demeurant, vaine tempête qui nous renseigne
douloureusement sur les dérives ordinaires de la diplomatie post-bipolaire.
L’art diplomatique a sa fonction dans un monde de conflits, ses règles et ses
raisons. Il fut inventé au fil du temps, mais institutionnalisé au moment où
l’Europe était régulièrement frappée de guerres intestines et d’une incessante
compétition interétatique que l’ordre westphalien avait conçu sans la moindre
retenue.
La
diplomatie était là, non pour parader ni s’afficher, mais tout simplement pour
réduire les conflits les plus intenses et gérer les tensions les plus graves.
L’usage de la force ne disparaissait point, mais combinait habilement le
travail du soldat et celui du diplomate. Il en fut ainsi jusqu’en 1989 :
même dans les moments les plus durs de la Guerre froide, le jeu se perpétuait.
La punition ou la tasse de thé
Avec la
fin de la bipolarité, on a assisté à une tragique inversion. La diplomatie
éclatait en deux morceaux : celui destiné aux rivaux, voire aux ennemis,
se faisait art de la punition ; celui réservé aux amis devenait cérémonie
de la tasse de thé.
Ainsi
cessait-on de parler à ceux qui transgressaient nos choix et nos valeurs, et
ces dernières étaient-elles mises sous le boisseau quand le malfrat était un
ami, un allié ou simplement un client. Tous ceux qui s’affichaient au travers
de la route occidentale étaient boycottés, sanctionnés, évités, rejetés. Ne pas
parler, ne pas voir, ne pas négocier paraissait être, aux yeux de ceux qui
gouvernaient en Occident, la meilleure voie pour une politique internationale
qui se voulait désormais plus gendarme que partenaire…
Triple erreur en fait. Erreur de se penser suffisamment
fort pour assumer seul ou en petit groupe le rôle de gendarme, dès lors qu’il
n’y avait pas de gendarmerie institutionnalisée. Erreur, ensuite, de croire que
parler, voir, recevoir, entendre même le diable
était une manière de l’approuver. Erreur, enfin, de miser sur l’efficacité
d’une posture, suffisante par sa prétention, mais inefficace dans sa portée.
Jouer de
l’arme de l’humiliation, même appliquée au plus détestable de ses ennemis, crée
assez d’humiliation chez celui qui est visé et sur le peuple qui en souffre
pour qu’un tel art renforce le déviant plus qu’elle ne l’affaiblit. Saddam
Hussein, Mugabe, Kadhafi, hier, et Poutine aujourd’hui ont su en tirer profit.
Le nouveau tsar n’a jamais été aussi populaire dans son pays, lui qui dut un
moment « forcer » les urnes pour être réélu ! La marginalisation
imposée à la Russie post-soviétique était le début de cette nouvelle histoire
qui a fabriqué les excès du poutinisme au lieu d’en affaiblir les prétentions.
Besoin de diplomatie
N’en rajoutons pas : la tragédie d’Alep, imputable
en partie aux erreurs des diplomaties occidentales, ne s’arrêtera pas sous le
coup d’une généreuse distribution de bonnets d’âne. Menacer la Russie de la
traduire devant la Cour pénale internationale participe du dérisoire quand on
sait que l’acte est juridiquement impossible, d’autant que le même jour l’allié
saoudien commet lui aussi un carnage en
bombardant des populations civiles yéménites.
Il faut
apprendre à faire revivre la diplomatie dans un monde qui en a plus que jamais
besoin, tant ses incertitudes sont élevées et ses règles inconnues faute
souvent d’être même pensées. Négocier ne veut pas dire céder, aimer ni
approuver. Négocier signifie dire ce que l’on veut à condition de le savoir
(est-ce bien sûr à propos de la Syrie ?) pour tenter de trouver les
chemins possibles de convergence. Peut-être ceux-ci n’apparaîtront-ils pas,
mais au moins ceux dont le labeur est de construire des convergences auront-ils
fait leur travail et ne resteront pas confinés dans l’exercice annexe des
aménités entre amis.
Face à une Russie arrogante, manifestement en manque
d’une puissance dont on se plaisait trop bruyamment à dire qu’elle avait
disparu, les punitions et les évitements successifs n’ont rien apporté au
peuple syrien qui souffre. Chassé du G8 redevenu
G7, sanctionné dans ses importations et ses exportations, jusqu’à léser notre
agriculture, l’Empire des tsars joue de l’exclusion qu’on lui inflige pour
reconstruire sa puissance.
L’histoire
a montré que seule l’intégration pensée et réfléchie pouvait contrecarrer
efficacement ce genre d’appétit. Nous en sommes loin, et avons donc tout à
craindre de l’avenir. En attendant, faisons vivre la diplomatie.
Source contrepoints.org
Photo By: Jedimentat44 – CC
BY 2.0
Par Bertrand Badie.
The Conversation
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