La nouvelle Ferme des
animaux
Le roman de Georges Orwell revisité
et appliqué aux systèmes démocratiques et à leurs perversions. Évocateur.
Très bonne idée de la part d’Olivier Babeau que de rendre
hommage à ce monument qu’est « La Ferme des animaux » de Georges
Orwell, modèle de dénonciation du totalitarisme, en cherchant à en proposer
« une peinture
nouvelle », plus proche de ce qui est à
l’œuvre aujourd’hui ici-même. Avec l’idée lumineuse selon laquelle « le chemin a beau être différent, nous
empruntons toujours la route de la
servitude ».
Le souffle de la liberté
Même
situation globale de commencement, avec le départ forcé du fermier, contre
lequel de sérieux motifs de mécontentement montaient. Et même enthousiasme des
premières heures, avant de se trouver confronté aux réalités de la difficulté
d’administrer une ferme.
S’ensuivent
les premiers débats sur la manière de concevoir cette nouvelle organisation et
le vote des premières grandes lois, celles qui fondent cette toute nouvelle
république.
Les
principes de liberté et d’égalité (des droits) sont mis en avant. Une véritable
économie de marché en miniature est mise en place, de type libéral, assise sur
quelques règles fortes, l’institution progressive d’une monnaie pour faciliter
les échanges et assurer plus facilement une gestion efficace de l’épargne, un
déploiement des échanges, facilités par la mise en oeuvre qui se fait
naturellement d’une certaine division du travail et la stimulation de
l’activité, qui entraîne une hausse importante de la productivité et de la
richesse.
Le temps de la politique et du dévoiement progressif
du système
Mais
rapidement, la politique s’en mêle et va prendre le pas sur le bon
fonctionnement de cette société en miniature.
Les discours pleins de mauvaise foi, la perversion lente
et insidieuse du système, la création de l’impôt pour financer la mise en place
d’une fonction publique, destinée à « coordonner les actions individuelles (…), organiser les
choses, piloter la production, orienter les actions » font leur apparition. En effet, affirme Platon
(le cochon particulièrement opportuniste qui s’est fait élire représentant de
la ferme), inspiré par son conseiller et mentor non moins opportuniste Goupil,
le renard, rusé et habile à mettre au point ce qui pourra assurer la réélection
de son poulain, « si
nous laissons faire chacun à sa fantaisie, la société ne
sera plus que chaos ». Il s’agit donc
là d’un devoir.
Et des
raisonnements fallacieux sont développés par Platon (toujours sous la plume de
Goupil). Du type :
« La
liberté des plus faibles est malheureusement un risque pour eux, un fardeau que
nous devons les aider à porter. Il est malheureusement dans la nature animale
de poursuivre son propre intérêt. Cette tendance égoïste est mauvaise
pour la collectivité, puisque les intérêts sont antagonistes. Ce que l’un gagne est toujours perdu par l’autre, et l’on ne parvient jamais à ses fins
qu’en désavantageant d’une façon ou d’une autre l’un de ses compatriotes. Il
est du devoir de la Ferme de canaliser, contrôler et réduire cette tendance
égoïste afin d’assurer l’intérêt général. »
Le temps des désillusions
Et je vous laisse deviner la suite… (je pense que vous
n’en aurez aucun mal). Ou plus exactement, je vous conseille ardemment cette
lecture stimulante et tout en détente. Tout y est (liens troubles entre
décisions politique et soif de réélection, arbitraire, État de connivence,
bureaucratie, corruption qui se fait de plus en plus grande, inefficacité
grandissante, démotivation, clientélisme, démagogie, propagande, contrôle de l’information, inflation de textes et règlements, petits et grands profiteurs, effet Laffer, anticipations adaptatives, déficits, crise, planche à billets,
débats truqués et impostures, régime
semi-autoritaire, interrogations sur le sens de la démocratie et les
dérives auxquelles elle mène, etc.). Sans oublier
la réelle perspicacité de l’auteur et l’humour dont il fait preuve (passage sur
la fascination des femelles pour le pouvoir et les favorites du moment, quelles
que soient les qualités physiques de celui qui est au pouvoir. « Merci pour ce moment »
glissait-il à la femelle étourdie par la brièveté de l’assaut avant qu’elle ne
sorte »).
Et,
puisque je n’y résiste pas, encore un petit passage pour finir, au sujet de la
réélection (et la crainte de ne pas être réélu, perdant ainsi les avantages
liés à la fonction), avec ici les conseils avisés de Goupil à Platon :
« (…) l’envie est le levier dont nous
devons nous servir pour détourner l’esprit des animaux vers d’autres objets qui
n’altèreront pas votre crédit mais au contraire serviront votre image. Ne
voyez-vous pas que, depuis que chacun est rémunéré à hauteur de son travail,
des inégalités croissent ? Ce sont elles qui doivent être désormais notre
point d’entrée dans le cœur des animaux. »
Goupil disait vrai. Depuis que chacun travaillait
pour lui-même et était rétribué en fonction de ses efforts et de ses talents,
on avait vu croître les différences entre les situations des animaux – cette
différence, il est vrai, partait de zéro puisqu’auparavant nul ne possédait
rien. (…) »
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire