On ne combat pas le terrorisme en abandonnant nos
libertés chéries
Les événements tragiques du « Vendredi 13 » nous
rappellent combien la liberté est importante à préserver et difficile à vivre.
Nous sommes après le
« Vendredi 13 », à l’heure des décombres, du deuil et des
questionnements. À l’heure de la réalité durement admise, à l’heure de la
sincérité plus que jamais nécessaire. À l’heure de ce mouvement, plus ou moins
grave selon les circonstances, qui nous fait rentrer au plus profond de nous
pour y chercher le prédicat le plus reculé sur lequel bâtir un comportement et
parfois toute une vie.
J’ai développé un blog
en réaction aux attentats Charlie
de janvier. Cette violence voulait faire taire toute critique contre l’islam,
et je sentais que ce n’était plus le moment de renoncer à parler. Le matin du
« Vendredi 13 », Contrepoints
a publié un article de ma main sur Poutine. J’y exprimais
toutes mes réticences à l’égard de ce dirigeant autoritaire et criminel, ennemi
des libertés individuelles, non sans quelques exemples précis pour soutenir mon
propos. Dans la discussion âpre et nourrie qui a suivi en commentaires, j’ai pu
mesurer l’extrême attraction, la rassurance quasi hypnotique qu’il exerçait sur
les très nombreux tenants d’un Poutine, homme fort et couillu, qui sauve la
Russie, lui redonne sa fierté et « bute
les terroristes musulmans jusque dans les chiottes ».
J’ai pensé que si
jamais je ne me rappelais plus très bien pourquoi j’avais commencé à rédiger
des billets, je le savais maintenant très clairement : la liberté, si
terriblement difficile à vivre, même parfois pour ceux qui s’en réclament, est
fragile et précieuse. Elle doit être défendue partout et perpétuellement, tant
son contraire, le totalitarisme dans tous ses degrés divers, est séduisant au
point même de sembler reposant et valorisant s’il est présenté dans les bons
conditionnements.
Le soir même, la série
des attentats de Paris, de même obédience islamiste que celle de janvier,
venait confirmer dans le sang de cent trente victimes décédées et
trois cent cinquante blessés la guerre virulente que Daesh, régime de pensée et
d’action totalitaire, s’acharne à infliger autant à son propre corps social
qu’aux sociétés libres.
Faut-il en conclure
alors que le « protocole Poutine » est le bon ? Que nous ne vaincrons
le terrorisme qu’au prix d’une remise complète de nos existences entre les
mains d’un homme fort, éventuellement vertueux, ce qui n’est certes pas le cas du
Président russe, mais indiscutablement notre maître ? Autrement dit, que nous
ne détruirons ceux qui s’en prennent à nos libertés chéries qu’en abandonnant
en route ces libertés ?
La question n’est
absolument pas rhétorique puisque les attentats de janvier ont débouché à très
brève échéance sur la loi Renseignement qui, sous couvert de lutte
anti-terroriste, organise la surveillance des télécommunications de tous les
Français sans décision judiciaire. Le pire étant que tous les spécialistes du
renseignement s’accordent pour dire que cette loi ne sera pas le moins du monde
efficace en ce domaine. Dès lors, pourquoi une telle loi existerait s’il ne
s’agissait pas en fait de donner au pouvoir en place des moyens de contrôle
étendus sur les individus ? Pourquoi appeler Poutine et ses dangereuses
manigances contre la presse, l’opposition et internet de nos vœux puisque dans
le même temps nous détestons les comportements similaires de nos propres
dirigeants, égorgement d’un ours à mains nues en moins ?
Selon moi, c’est un
biais cognitif que d’associer l’image d’un tyran musclé à une politique de
fermeté toujours intelligente et gagnante tandis que nos dirigeants
démocratiques sont associés à une idée de mollesse couarde et indécise. Un État
libéral attaqué a tous les droits de se défendre avec la plus grande vigueur
dans la mesure où il applique sans faiblir toutes ses prérogatives régaliennes
plutôt que de se dépenser dans d’inutiles tentatives de régler au millimètre
près la composition des couches-culottes et des vins AOC. Nous sommes en
guerre, c’est indiscutable, c’est Daesh qui le veut ainsi. Nous sommes en état
de légitime défense, c’est tout aussi indiscutable, et nous avons les moyens de
nous défendre contre ces fumiers, en redonnant des moyens au renseignement
ciblé classique par exemple, ou autre exemple, en engageant des procédures
contre tous les individus qui sur notre sol ont été fichés comme terroristes,
et en laissant tomber les politiques de fichage et d’affichage liberticides
telles que la loi Renseignement.
Une autre leçon à
tirer de ces événements est en rapport avec la culpabilité. Si l’on veut
mesurer avec toute la justesse possible ce que les terroristes de Daesh veulent
nous enlever, il est important de ne pas se tromper de coupables. Les
terroristes expliquent leurs actes en disant qu’ils nous punissent pour la
Syrie, la Libye etc., et se positionnent en justiciers, conséquence d’un fait
générateur qui serait de notre seule et unique initiative. L’Occident est
coupable, toujours coupable. Cela fait partie de leur discours révolutionnaire,
cela vise à nous désarmer, cela vise à nous faire plier et à nous obliger à
nous rendre, mais c’est absolument faux.
J’en veux pour preuve
que « Vendredi 13 » comme en janvier, les attaques terroristes ont
visé deux réalités éternelles : l’esprit des Lumières de l’Occident à travers
la liberté d’expression des dessinateurs de Charlie
Hebdo et la liberté de choix et de mouvement des Français qui sont
sortis au restaurant, au bar ou au concert, et les juifs, boucs émissaires
constants de toutes les frustrations, à travers les prises d’otages de l’Hyper
Cacher et du Bataclan, salle de concert qui fut déjà la cible d’attentat
anti-sémites.
J’affirme donc que ni
Hollande, ni Obama, ni Merkel, ne sont coupables d’avoir, par leurs politiques
maladroites au Moyen-Orient ou en Afrique, déclenché la réaction en chaîne du
terrorisme islamiste qui nous frappe. Le terrorisme islamiste nous déteste no matter what et aurait frappé anyway. On peut cependant dire que les
politiques maladroites et indécises de Obama ou Hollande ou leurs semblables se
sont révélées incapables de régler le problème et sont maintenant très utiles à
Daesh pour servir de prétexte à toutes ses exactions.
Le soir du
« Vendredi 13 », des hommes, dotés de deux bras, deux jambes et une
conscience comme vous et moi sont entrés volontairement dans une salle de
spectacle et dans des restaurants, armés jusqu’aux dents. Volontairement, ils
ont plongé la salle dans le noir, créant la peur et la panique, et se
soustrayant eux-mêmes à l’épreuve terrifiante de regarder leurs futures
victimes dans les yeux. Volontairement, ils ont tiré, parfois par grandes
rafales aveugles, parfois en visant directement la tête. Volontairement, ils
avaient un gilet piégé et se sont fait sauter. Ces hommes sont bel et bien les
coupables car sinon il faudrait en déduire qu’ils n’ont pas de conscience. Or
il en ont une, comme nous.
Stefan Zweig a trouvé
la formulation parfaite pour décrire tout ceci : « Tuer
un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme » (dans Conscience contre violence ou Castellion contre Calvin, 1936). Les
terroristes du « Vendredi 13 » ne défendaient ni doctrine, ni veuve,
ni orphelin, ni eux-mêmes. Dotés d’une conscience qu’ils avaient volontairement
décidé d’abolir au profit d’un pouvoir totalitaire, dans un mouvement de
naufrage nihiliste que les systèmes totalitaires appellent toujours, ils ont
tué des humains.
C’est au nom de la
conscience que nous avons tous que la liberté est à la fois si importante à
préserver et si difficile à vivre. Car à bien y réfléchir, que représente
l’appel à l’homme fort, si ce n’est une aspiration à abolir notre conscience
dans celle de quelqu’un d’autre ? Et que représente la liberté, si ce n’est un
face à face permanent entre nous et notre conscience, qui nous investit à tout
jamais de l’obligation de responsabilité ?
Nous vivons dans une
société ouverte. Imparfaite (lois mémorielles, loi Renseignement) mais ouverte.
Ce matin comme hier, des centaines de Français comme moi se sont penchés sur
leur ordinateur pour mettre par écrit et afficher au grand jour ce qu’ils pensaient
des terribles événements que nous vivons depuis des mois. J’ai confiance que de
ce foisonnement d’expression et d’idées émergera les voies subtiles qui nous
permettront de nous défendre sans faiblir en restant des sociétés ouvertes au
sein desquelles la liberté est la valeur cardinale.
Source contrepoints.org
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