Le rôle salutaire de Cahuzac pour la démocratie
Jérôme Cahuzac a l’avantage de
brutalement mettre un nom, un visage, un parcours, sur la face immergée de
l’iceberg politique : l’étroite imbrication entre les élus qui gouvernent et
les entreprises qu’ils réglementent et qui les financent.
Finalement,
le procès de Jérôme Cahuzac a une vertu majeure : celle de mettre des mots et
des aveux sur ce que tout le monde savait ou croyait savoir concernant le
financement des partis politiques. On aurait bien tort d’en déduire un
générique « Tous pourris », qui donne l’impression qu’une simple
purge du personnel des partis suffirait à résoudre le problème. Bien au-delà de
cette vision simpliste, c’est le destin même de nos démocraties qui s’éclaire,
et c’est un coup de projecteur sur les mécanismes déterminant le gouvernement
profond qui est donné.
Les phrases choc de Jérôme
Cahuzac sur le financement des partis
Durant son procès, Cahuzac s’est donc livré à quelques
aveux dont la presse a surtout retenu qu’ils
impliquaient Michel Rocard. En particulier, il a replacé l’ouverture de ses
comptes en Suisse dans le contexte général du financement des partis politiques par des entreprises. Celles-ci étaient
(et sont probablement encore) plus ou moins priées de « payer l’impôt
révolutionnaire » en échange d’une
contrepartie publique (comme l’ouverture d’un supermarché sur le territoire
d’une commune, par exemple).
Et en
quoi consistait (et consiste encore) « l’impôt
révolutionnaire » ? En un versement direct d’argent sur les
comptes d’un parti politique, souvent par l’intermédiaire d’un tiers de
confiance.
Épiphénomène ou système ?
Il
serait dommageable de ne pas donner à ce témoignage la dimension systémique
qu’il mérite. Dans le monde de bisounours qui nous est souvent présenté par les
médias subventionnés, le citoyen lambda peut avoir le sentiment que les
décisions sont prises selon des principes de rationalité politique ou
économique, ou selon des affiliations idéologiques.
Cahuzac a l’avantage de brutalement mettre un nom, un
visage, un parcours, sur la face immergée de l’iceberg politique : l’étroite
imbrication entre les élus qui gouvernent et les entreprises qu’ils réglementent et qui les financent. Le sujet unique du procès Cahuzac
est là : dans l’industrialisation d’un système qui finit par dessiner la
mécanique du gouvernement profond. Industrialisation du financement des partis,
d’un côté, où une sorte d’économie parallèle se dégage, fondée sur une
corruption et un trafic d’influence à la source de toutes les grandes décisions
publiques. Industrialisation de cette corruption, avec des entreprises qui
organisent l’influence qu’elles peuvent avoir sur les élus et les lois en
« investissant » de façon prévisible afin d’obtenir la bonne
prise de décision.
Moralisation ou industrialisation
de la corruption ?
Ce système, Cahuzac l’a dit, existe de longue date. La loi
de 1988 sur le financement des partis va faire mine
d’y mettre un terme. En réalité, elle va accélérer son industrialisation.
Brutalement, en effet, le financement du parti politique ne se décide plus au
restaurant du coin, autour d’une bonne tête de veau arrosée d’un Gamay
approximatif. Ce n’est plus l’affaire de l’élu local qui monte une combine dans
son coin. Tout cela devient trop dangereux, et cette pratique est d’ailleurs
lâchée en pâture à l’opinion.
La
réglementation (comme toujours est-il tentant de dire) ne supprime pas les
mauvaises pratiques : elle les élitise,
élimine les petits et favorise les
acteurs industriels. C’est ici qu’un Cahuzac devient essentiel. Il faut
désormais échapper aux contrôles trop stricts et aux opérations trop visibles.
Le compte en Suisse, ou dans tout pays garantissant le secret bancaire, devient
inévitable. Il faut un homme-lige pour réaliser l’opération, puis aller retirer
l’argent versé pour le réinjecter, en liquide, dans le système. Tout ceci
suppose une organisation en bonne et due forme, avec des possibilités de
versement à l’étranger et une maîtrise des flux financiers suffisante pour ne
pas se faire démasquer. Et des hommes de confiance que le « système »
tient et qui tiennent au « système ». Des Cahuzac donc.
Pourquoi Cahuzac plutôt qu’un
autre ?
Pour
faire le sale boulot, un Cahuzac est une pièce maîtresse, une sorte de gendre
idéal. Il est médecin, et pour les laboratoires pharmaceutiques, il est donc un
ami et un confident. Il maîtrise accessoirement à merveille le sens des
décisions réglementaires que souhaitent les laboratoires pharmaceutiques. Il
est ambitieux mais n’est pas énarque. ll a donc tout intérêt à pactiser avec le
diable, car le diable peut accélérer sa carrière et lui ouvrir des portes
inattendues. Il est, au fond, totalement dépendant de ses financeurs, de ses
mécènes, et c’est la meilleure garantie que ces entreprises pharmaceutiques
puissent avoir pour leur retour sur investissement.
On
comprend mieux ici l’importance, pour le gouvernement profond, de toute cette
cour, de toute cette technostructure qui usine les décisions publiques. Ces
gens-là sont au confluent des deux mondes, ils en constituent en quelque sorte
la couche poreuse. D’un côté, ils ont la technicité complexe indispensable au
fonctionnement de la machine étatique et réglementaire. De l’autre, ils sont à
l’écoute des intérêts qui s’expriment, et profitent à plein de leur
industrialisation. Plus le groupe d’influence à la manœuvre est puissant, plus
le technicien aux ordres est enthousiaste : les bénéfices qu’il peut attendre
de son trafic d’influence n’en seront que plus élevés.
Gouvernement profond
et syndication de la connivence
Parce
qu’il repose sur l’intervention d’une technostructure poreuse, le gouvernement
profond qui oriente les décisions publiques à son profit (par exemple, par
l’intervention d’un Cahuzac, la décision de mettre sur le marché un médicament
dangereux, mais remboursé par la fameuse et bienfaisante Sécurité sociale)
pratique la syndication industrielle de la connivence. Pour gouverner
discrètement mais efficacement, le gouvernement profond a besoin d’une caste
qui fait écran et qui agit loyalement dans la défense de ses intérêts.
Pour
s’assurer de cette loyauté, le gouvernement profond a besoin de l’organiser, de
l’animer et de la nourrir. Cette animation s’appelle les cabinets ministériels
pléthoriques, les clubs et les cercles d’influence, comme le Siècle, les thinks tanks, et toutes ces sortes
de lieux où le grenouillage est recommandé pour faire une carrière.
Jusqu’à l’engloutissement total du navire.
Source contrepoints.org
Photo By: thierry ehrmann – CC BY 2.0
Par Éric Verhaeghe.
Éric Verhaeghe
Éric Verhaeghe est président de Triapalio. Ancien
élève de l'ENA, il est diplômé en philosophie et en histoire. Écrivain, il est
l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Il anime
le site "Jusqu'ici tout va bien" http://www.eric-verhaeghe.fr/
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