Les hauts fonctionnaires
Ces hauts fonctionnaires qui vivent à nos crochets
Comme disait
Clemenceau, « les fonctionnaires sont un peu
comme les livres d’une bibliothèque : ce sont les plus haut placés qui servent
le moins ». Combien sont-ils, ces bouquins inutiles ? Difficile de le
savoir. Selon les dernières statistiques de l’INSEE, la France comptait plus de
5,5 millions de fonctionnaires fin 2012.
Dans ce sérail, qui
représente près de 22 % de la population active, les hauts fonctionnaires
occupent quelques milliers de postes, dont environ 5 000 pour les anciens de
l’ENA. Corps de direction des administrations, corps préfectoral, corps
diplomatique, corps des magistrats, corps techniques de l’État, corps
d’inspection générale, corps supérieurs de l’éducation et de la recherche… Ils
trustent tous les postes clés de l’État et, spécificité française, produisent
des hommes politiques qui, formatés par ce système, renoncent à le réformer
quand ils sont élus.
Selon le journaliste
Yvan Stefanovitch qui a consacré un livre au haut clergé administratif, on
recense environ 15 000 hauts fonctionnaires en France, pour la plupart formés
par l’ENA, Polytechnique ou l’École normale supérieure. Au sein de cette caste,
domine une aristocratie de 400 à 500 personnes que l’on trouve à l’Elysée, à
Matignon, dans les grands ministères et à la tête des principales entreprises
publiques. Outre la fonction publique d’État, ces privilégiés de la République
pullulent dans la fonction publique territoriale dont les effectifs ne cessent
d’enfler (+ 1,6 % en 2012) mais aussi dans la fonction publique hospitalière (+
0,7 % en 2012). Une fois en place, ni l’incurie, la paresse voire l’incapacité,
ne permettent de se débarrasser de ces indéboulonnables recrutés sur concours,
pouvant travailler à leur guise (même si, reconnaissons-le, beaucoup d’entre
eux sont extrêmement compétents et ne rechignent pas à la besogne), et libres
de se lancer dans des aventures politiques avec une position de repli assurée.
Sauf cas rarissimes,
les hauts fonctionnaires resteront à la charge des contribuables durant leurs
42 années de carrière, 21 ans de retraite plus, en moyenne, 10 ans de pension
de réversion.
656 fonctionnaires gagnent plus que le chef de l’État
Si le coût d’un
rond-de-cuir gagnant 2 200 euros nets par mois peut être évalué à près de 50
000 euros par an, charges comprises, l’addition s’envole quand il s’agit des
fonctionnaires de catégorie A. Le « canard est
trop gras ». Voici quelques mois, Sébastien Denaja, député socialiste de
l’Hérault, a proposé de baisser les salaires de ces grands commis de l’État
pour réduire la dépense publique.
Le député PS pointait
notamment du doigt Nicolas Dufourcq, énarque et ancien inspecteur des finances,
aujourd’hui directeur de la Banque publique d’investissement (BPI), dont le
salaire s’élève à 450 000 euros bruts annuels, 37 500 euros bruts par mois ! Le
patron de la BPI n’est pas le seul canard à se gaver au sein de la basse-cour
publique. Si, à leur arrivée au pouvoir, le Président « normal » et son Premier
ministre, Jean-Marc Ayrault, ont baissé leur salaire de 30 %, les hauts
fonctionnaires n’ont pas eu à faire les mêmes efforts. Avec chacun un salaire
de 14 910 euros bruts par mois (12 696 euros nets), les numéros 1 et 2 de
l’exécutif se situent au 657e rang des rémunérations de l’État. Ils sont
supplantés par une tribu de hauts fonctionnaires, plus de 600 personnes,
employés pour une bonne part par le ministère des Affaires étrangères et celui
des Finances. « Dans les capitales les plus
prestigieuses, les rémunérations des ambassadeurs peuvent frôler 38 000 euros
par mois et environ 120 sur 157 gagnent plus de 18 000 euros mensuels »,
souligne Yvan Stefanovitch.
Après les diplomates,
les attachés de défense (des militaires faisant partie d’une mission
diplomatique) sont les plus gâtés par l’État avec une moyenne de 15 000 euros
pour un lieutenant-colonel et de 30 000 euros pour un général. Avec ceux du
Quai d’Orsay, ce sont les hauts fonctionnaires de Bercy qui piochent le plus
dans les fonds publics. Les instances financières regroupent 193 des 219
fonctionnaires les mieux payés de France. Au sommet de cette pyramide, on
trouve d’abord les administrateurs généraux des finances publiques. Ils
exercent notamment en tant que directeurs départementaux des finances publiques
(les anciens trésoriers-payeurs généraux, TPG, dont le nom et le statut ont
été réformés en 2009, lors de la fusion entre les Impôts et le Trésor public).
Leur patron, Bruno
Parent, le directeur général des finances publiques, est à la tête de 115 000
agents. Il percevrait 20 000 euros bruts par mois. On emploie le conditionnel
tant les hauts fonctionnaires de Bercy ont su organiser (au grand dam de leurs ministres
de tutelle qui auraient aimé y mettre leur nez) l’opacité autour de leurs
revenus. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2008 cité par
l’hebdomadaire Challenges, plus d’une
cinquantaine de TPG (Hauts-de-Seine, Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Lille…)
gagnaient entre 15 000 et 20 000 euros nets par mois, grâce notamment à une
part variable fonction du montant des transactions financières gérées.
Un mode de
rémunération qui n’est pas sans rappeler celui des fermiers généraux du XVIIIe
siècle, qui, jusqu’en 1791, gagnaient des fortunes extravagantes sur le dos des
Français. Antoine Laurent de Lavoisier, le plus célèbre d’entre eux, eut
d’ailleurs à subir les affres de la guillotine. Au Sénat, on s’en sort aussi
très bien. Par exemple, les deux secrétaires généraux de la Présidence et de la
Questure gagnent plus de 20 000 euros nets par mois (contre environ 15 000
euros pour leurs homologues de l’Assemblée), et les 14 directeurs de services
encaissent autour de 15 000 euros mensuels. Autre oasis financière : selon le
rapport 2010 des députés Christian Vanneste (UMP) et René Dosière (apparenté
PS), les autorités administratives indépendantes offrent également de belles
opportunités. Bien qu’il ait vu sa rémunération réduite en 2011, le président
de l’Autorité des marchés financiers, par exemple, est rémunéré à hauteur de 19
658 euros bruts par mois. Il est suivi par les présidents de la Haute Autorité
de santé, avec 17 178 euros mensuels, de la Commission de régulation de
l’énergie (16 017 euros), du Conseil Supérieur de l’audiovisuel (15 413 euros,
avantages en nature compris)…
En matière de
privilèges financiers, la culture n’est pas en reste. Ainsi, Stéphane Lissner,
qui vient de prendre la direction de l’Opéra national de Paris, toucherait,
selon Mediapart, 30 000 euros par mois (hors primes). Marylise Lebranchu, la
ministre de la Fonction publique, avait pourtant annoncé en avril dernier que
les fonctionnaires encaissant plus de 9 940 euros bruts par mois
manifesteraient un « geste de solidarité » avec le reste de la
population. Ladite population attend toujours…
Dans les placards dorés de la République
Trop nombreux, trop
chers, trop puissants, trop gâtés, les hauts fonctionnaires jouissent d’un job
à vie, même s’ils ne servent plus à rien. Des centaines d’entre eux seraient
payés à plier des trombones, notamment ceux qui ont pu bénéficier du « tour extérieur
» qui permet au président de la République et au Premier ministre de nommer à
vie leurs chouchous dans différentes institutions (Finances, Affaires sociales,
Education nationale…). Des placards dorés servent aussi à recycler des
fonctionnaires en fin de carrière. Le Conseil général de l’environnement et du
développement durable, le Contrôle général économique et financier et
l’Inspection des finances seraient les aires de repos les plus fréquentées par
ces pistonnés de la République.
Au total, ce sont plus
de 1 600 hauts fonctionnaires qui regarderaient l’herbe pousser aux frais des
contribuables. S’ils gagnent jusqu’à trois fois plus d’argent que le chef de
l’État, les hauts fonctionnaires sont également choyés lorsqu’ils entendent partir
en préretraite. Alors que l’État a tout fait pour restreindre l’accès aux
préretraites dans le privé, la fonction publique sait y recourir lorsqu’il
s’agit de choyer son gratin. Ce fut notamment le cas au Quai d’Orsay entre 2011
et 2013, où, selon Le Monde, certains
cadres sup âgés de 58 à 62 ans ont pu quitter l’administration après avoir
encaissé jusqu’à 100 000 euros de prime. Et tout en conservant une partie de
leur rémunération, « jusqu’à 4 500 ou 5 000
euros par mois pendant trois ans au maximum », selon le ministère des
Affaires étrangères.
On a d’ailleurs vu le
haut fonctionnaire et ci-devant Premier ministre Dominique de Villepin revenir
« travailler » une journée au Quai d’Orsay, du 30 septembre au 1er octobre
2013, après 20 ans d’absence de son ministère de rattachement, pour toucher une
« indemnité exceptionnelle de départ »
de 88 787,72 euros. À quoi s’ajoutaient son traitement mensuel de 6 111,99
euros bruts (donc bien au-delà du plafond officiel) et une « indemnité exceptionnelle » de 4 493,94
euros, rémunérations qu’il aurait touchées jusqu’en mars 2014, selon Marianne.
Même cas de figure
dans la fonction publique hospitalière, où le congé spécial a longtemps permis
aux directeurs d’hôpitaux sans affectation d’être rémunérés jusqu’à l’âge de la
retraite (à concurrence de cinq ans maximum). Depuis 2008, un système plus restrictif
a été mis en place. Limitée à deux ans, la période d’indemnisation permet
toutefois aux cadres dirigeants de la fonction hospitalière de conserver une
partie de leurs primes !
Les membres de la caste se reproduisent entre eux
Après la préretraite,
la retraite : pour maintenir le moral des troupes, l’État a décidé, en 2013, de
prolonger d’un an la possibilité de déduire les cotisations versées au titre du
rachat d’années non cotisées à la Préfon, le régime de retraite complémentaire
par capitalisation des ronds-de-cuir. Concrètement, cette disposition leur
permet de déduire deux années de rachat de cotisations de l’assiette de leur
revenu imposable. Déjà bardés d’avantages statutaires, les hauts fonctionnaires
peuvent ainsi déduire jusqu’à deux fois 6 703,20 euros (classe la plus haute de
cotisations) soit 13 406 euros et même 26 812 euros si le conjoint (affilié
avant 2005) est associé à cette opération.
Alors que les salariés
du privé sont mis au pain sec et à l’eau, le gouvernement a présenté ce cadeau
fiscal comme le moyen « de garantir l’équilibre
et la justice de notre système de retraites ». De qui se moque-ton ?
Sociologiquement, les hauts fonctionnaires constituent une caste endogamique
qui s’auto-reproduit. « Prenez l’exemple de
François Hollande. On a, là, la caricature du politique qui est avec une
journaliste, une énarque puis une comédienne, (…) en raccourci (…), on lit tout
le corps social… », raille le sociologue Michel
Maffesoli. Si elle touche toutes les « élites », cette auto-reproduction
concerne d’abord les hauts fonctionnaires : une étude de 2013 portant sur 600
anciens élèves de l’Institut national des études territoriales (INET) révèle
notamment que 67 des reçus sont passés par un Institut d’études politiques
(IEP), où les rejetons de catégories socioprofessionnelles supérieures (haut
fonctionnaires inclus) sont sur-représentés. Ce qui vaut pour l’INET vaut
également pour Polytechnique et l’ENA dont les membres partagent un langage,
une méthode et une façon d’être qui les rend identifiables pour qui est sorti
du même moule. Seule petite différence entre les lauréats des grandes écoles
qui forment environ 5 % d’une génération : leur mentalité. Dans une note
consacrée à la psychologie des directeurs des grandes administrations,
Marie-Christine Kessler, directrice de recherche au CNRS, note que si
Polytechnique soude réellement ses élèves, l’ENA ne crée pas un sentiment de
fraternité collective.
À voir la pétaudière
qui règne dans certains ministères, on ne peut que se rallier à cette thèse !
Article extrait de «Les enfants gâtés de l’État», Les Enquêtes du contribuable
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