Le « libre choix » est-il un mythe ?
Tous nos choix sont-ils contraints ?
Le
libéralisme est fondé sur le principe que les échanges économiques sont
réalisés sur la base du volontariat, et que chaque acteur évalue ses options
avant d’en choisir une plutôt qu’une autre. Le consommateur qui arbitre entre
deux légumes au supermarché et le chômeur lors d’un entretien d’embauche sont
tous les deux dans une position similaire.
Il y a
ici un point fondamental à noter : personne ne prendra de décision qui lui sera
défavorable. Si les légumes sont hors de prix, le prochain supermarché aura
certainement des meilleurs prix à offrir. De même, si le patron n’offre qu’un
euro par jour de salaire pour 50 heures de travail hebdomadaire (mettons de
côté les aspects légaux pour les besoins de l’argument), le chômeur n’a aucun
intérêt à se tuer à la tâche pour une telle misère, et arbitrera (légitimement)
en faveur de son statut de chômeur.
Or,
certains remettent en doute le fait que ce soient tous deux des « choix
libres ». On me rabâche sans arrêt qu’un chômeur n’a pas vraiment le
choix, même s’il a l’option de ne pas travailler, et que des contraintes
financières le pousseront dans une direction plutôt qu’une autre.
Premièrement,
cette rhétorique est difficilement recevable, car selon ces critères
pratiquement aucun choix n’est vraiment libre. Absolument tous les choix que
nous prenons au quotidien sont guidés par des contraintes, des biais ou des
informations partielles. Tout comme il n’y a pas de consommateurs réellement
rationnels, un choix « parfaitement libre » n’existe pas. Les
choix entrainent des conséquences, et nous forcent à arbitrer entre ce que l’on
a, ce que l’on peut gagner, et ce que l’on peut perdre. Si le seul choix libre
disponible que nous ayons est « glace à la vanille ou au chocolat
? », c’est malheureusement une vision très restreinte du concept de
libre-arbitre.
Il
serait plus correct de dire que les facteurs qui poussent à prendre une
décision sous la contrainte ou en toute liberté sont graduels. Pardon pour
cette lapalissade, mais il y a des décisions qui sont sans conséquences, et
d’autres non. Le problème est que tracer une ligne pour distinguer les deux ne
saurait se faire que de façon arbitraire.
Deuxièmement,
je pense que c’est aborder le problème sous un mauvais angle. Pour prendre un
exemple caricatural, une personne qui décide de prendre un emploi à temps
partiel mal payé n’a pas d’alternative crédible, c’est vrai. Mais il est aussi
vrai qu’il y avait de bien pires options à sa portée. Ce choix nous signale une
certitude, cependant : s’il y a d’autres alternatives, elles
sont encore pires.
C’est la
base de mon argument pour la légalisation du travail du sexe par exemple : si
on part du principe que les travailleuses du sexe ne le font que par nécessité
économique et manque d’opportunités, alors la dernière chose à faire est
certainement de limiter ce qui est le moins pire dans la liste des choix
disponibles. Quand on interdit le travail du sexe, on ne
transforme pas les travailleuses en ingénieurs ultra-qualifiées capables
de postuler pour des offres avec des hauts salaires. Malheureusement, on les
force à descendre d’un cran dans la liste des « moins mauvaises »
solutions disponibles. On les retrouve donc dans les réseaux de prostitution
clandestins, dans le trafic de drogue, etc.
Je pense
qu’il est aisé d’affirmer que quiconque, en situation de difficulté économique,
saura évaluer ses options et prendre la meilleure, ou la moins pire le cas
échéant. Et c’est précisément là où j’essaie d’en venir sur cette idée de libre
arbitre : oui, on peut décider librement de prendre un travail
précaire. Cela ne signifie pas libre de toute contrainte, mais cela
signifie avoir la possibilité de ne pas prendre une des options pour une
meilleure alternative. Les personnes en situation de précarité ne souffrent pas
d’un trop plein de choix, mais d’un manque de meilleures alternatives. Se
concentrer sur la régulation et l’interdiction des emplois précaires est se
tromper fondamentalement sur la nature du problème : si les travailleurs et les
chômeurs avaient des CDI bien payés et épanouissants à portée de main, ils ne
seraient pas dans leur situation actuelle.
La
nuance qui me semble cruciale ici est la possibilité à tout moment de dire
« Stop », et de ne pas être contraint de prendre une décision.
Il y a une différence entre devoir assumer les conséquences d’un choix, et être
contraint par la menace à prendre une décision. C’est ce que je sous-entends
par un libre choix : le fait que chaque partie a consenti à un accord, même
s’il ne correspond pas à ce que l’un d’eux recherchait.
Photo : Choices credits Dan Moyle (CC BY 2.0)
Source contrepoints.org
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