Gauche ou droite, qui gère le mieux les finances
publiques ?
Si l’on observe objectivement la réalité depuis
une cinquantaine d’années, la distinction droite-gauche est plus théorique que
réelle dans le domaine financier. Gestion financière sérieuse et politique
politicienne ne font pas bon ménage.
La fuite des
« riches » ou des « cerveaux » vers des cieux fiscalement
plus cléments alimente le débat politique français. Le plus paradoxal est sans
doute la propension des hommes politiques à donner des leçons de morale à ceux
qui profitent simplement d’un droit prévu par les traités européens : la
liberté de circulation et d’installation dans n’importe quel pays de l’Union
européenne. Le droit positif ne prévoit aucune justification : il est
possible de changer de pays pour des raisons professionnelles, économiques,
climatiques et bien évidemment fiscales. L’exil fiscal est un concept
politique, en aucun cas juridique. Bref, on peut avoir l’âme vagabonde sans
avoir à le justifier.
Mais il est un autre
paradoxe beaucoup plus singulier. On conçoit en effet très bien qu’un être
d’une irréprochable hauteur morale (prenons l’abbé Pierre ou mère Theresa)
puisse se laisser aller à donner quelques conseils avisés concernant la bonne
manière de se comporter. Mais on imagine difficilement que celui qui fait
profession de ruser, de trahir, de leurrer, de capter la confiance d’autrui
pour mieux le tromper, puisse ensuite se poser en parangon de vertu. C’est
pourtant ce que font nos politiques de façon constante et même professionnelle.
Entre leur discours et leur pratique, il y a un gouffre vertigineux. Entre
leurs promesses et leurs réalisations, il y a un abîme. Cette distance peut
être observée sous différents angles, mais celui de l’argent public a
l’avantage d’être quantifiable et par conséquent objectivable.
- Finances publiques et discours politicien
D’une manière générale
la gauche a une tendance au dogmatisme, la droite une tendance au pragmatisme.
Le dogmatisme, lato sensu, signifie que l’on a fixé un cadre plus ou moins
détaillé de ce que doit être l’avenir. Ce cadre est un mieux dans l’esprit de
ses partisans (le communisme, le socialisme, le fascisme, le développement
durable). Le pragmatisme cherche à s’adapter aux réalités mouvantes de
l’histoire qui se construit sans prôner d’idéal. Ainsi le capitalisme utilise
le monde tel qu’il est pour produire des richesses.
Le dogmatisme de la
gauche dans le domaine de la gestion publique n’est plus aujourd’hui déterminé
par une idéologie très structurée et rigide comme le marxisme. Le mot socialisme a lui-même été largement vidé de
son sens. Il n’est plus question de nationaliser les secteurs stratégiques de
l’économie comme en 1981-82. Il s’agit simplement d’accentuer la redistribution
par le biais des prélèvements obligatoires. Le dogme est donc réduit à très peu
de choses. Pour la gestion de l’argent public, les partis de gauche prônent une
meilleure répartition de la charge fiscale. Cette amélioration proviendrait
surtout, selon eux, d’une progressivité plus forte de l’impôt en fonction des
revenus et des patrimoines. Le discours de gauche est hostile aux impôts sur la
consommation considérés comme injustes. Ayant appris à l’université que la
propension à consommer diminue lorsque le revenu augmente, les leaders de
gauche en concluent qu’il est injuste de taxer la consommation. Les moins
favorisés consacrant une large part de leurs revenus à consommer, ils paieront
des impôts sur la consommation proportionnellement plus élevés, ce qui est
considéré comme anormal en soi (sans se poser la question de la charge fiscale
globale). La gauche est souvent keynésienne et regarde la consommation avec les
yeux de Chimène pour Rodrigue. Taxer trop la consommation est donc nocif.
L’épargne au contraire est observée avec suspicion : ce sont les riches
qui épargnent. Il est juste de taxer l’épargne et il est injuste de lui
consentir des avantages fiscaux pour l’inciter à s’orienter vers des
investissements souhaitables. Mais, bien entendu, réalisme oblige, on ne peut
pas y échapper.
Côté dépenses, la
gauche est interventionniste et ne s’offusque pas de l’envolée des dépenses
publiques, même lorsqu’elle suscite des déficits répétés d’année en année et
une dangereuse accumulation de dette publique. Pour la gauche, le déficit
public est toujours justifiable. Il peut s’agir d’un déficit keynésien,
volontairement destiné à jouer un rôle contracyclique : en période de
basse conjoncture, les dépenses publiques alimentent l’économie (commandes aux
entreprises, salaires des fonctionnaires par exemple) et favorisent la relance.
Il peut s’agir d’un déficit structurel c’est-à-dire d’une incapacité des
décideurs à ajuster dépenses et recettes quelle que soit la conjoncture. Nous
sommes actuellement plongés dans une telle situation. Pour la philosophie de
gauche, cette situation ne provient pas d’un excès de dépenses mais d’une
insuffisance de prélèvements. L’a priori sous-jacent est que la dépense
publique est en principe utile et qu’elle est toujours plus démocratique que la
dépense privée puisqu’elle est décidée par des assemblées électives. Il faut se
méfier de la dépense privée et de ses modalités car ceux qui en décident n’ont
pas de légitimité démocratique. Ce cadre conceptuel interventionniste conduit
naturellement à augmenter le niveau des prélèvements obligatoires sans jamais
fixer de limite supérieure.
Le pragmatisme de
droite dans le domaine des finances publiques se traduit par une orientation
plus technicienne. Il s’agit de prélever l’argent de façon efficace, sans
complexifier le système. Des taxes à large assiette avec pas ou peu
d’exonérations sont regardées favorablement : TVA, CSG. Pour la droite, la
fiscalité n’a pas vocation à modifier l’échelle des revenus. Celle-ci est
déterminée par le fonctionnement de l’économie et le dialogue social. Les
prélèvements obligatoires n’existent que pour faire fonctionner les structures
publiques (État, collectivités locales, organismes de sécurité sociale). S’il y
a redistribution, elle doit s’opérer au sein des organismes spécifiquement
dédiés : caisses de retraite, d’assurance maladie, de chômage, etc. La
progressivité, tant chérie à gauche, n’est pas appréciée à droite. L’idéal de
droite serait un impôt sur le revenu simple et proportionnel, type CSG.
Cependant, la droite n’est pas en principe favorable à la retenue à la source
qui rend l’impôt moins apparent et plus indolore, même si son pragmatisme la
conduit à favoriser ce qui est simple et efficace. Le pragmatisme, tout comme
le dogmatisme, n’est pas exempt de contradictions.
Le déficit public
n’appartient pas à la philosophie de droite. On peut l’accepter au sens
keynésien, et de façon purement conjoncturelle, pour relancer la machine
économique par quelques dépenses publiques. Mais un déficit structurel n’est
pas acceptable car il est le signe d’un excès non maîtrisé de dépenses
publiques. Il faut donc dans ce cas réduire strictement certaines dépenses. La
rigueur financière n’est pas étrangère à la pensée de droite alors qu’elle est
vite qualifiée d’austérité par celle de gauche.
Voilà pour la théorie
et pour le discours qui est régulièrement servi aux malheureux électeurs. Mais
la réalité de la gestion financière publique corrobore-t-elle ces
divergences ?
- Finances publiques et réalité observée
La croissance des
prélèvements obligatoires et des dépenses publiques est un phénomène ancien qui
a plus de rapport avec le degré de développement d’une société et l’importance
du PIB qu’avec les discours politiciens. Depuis le 19e siècle, on assiste à une
croissance de la sphère publique que rien ne semble pouvoir arrêter. Nous
arrivons pourtant aujourd’hui à une impasse du fait de la simultanéité de deux
facteurs : l’importance des déficits et de la dette publique, l’absence de
croissance économique.
Si l’on s’en tient à
la période récente (1960-2012), il est impossible d’établir une relation entre
tendance politique et interventionnisme public. La droite comme la gauche ont
contribué à la croissance des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques
et de la dette.
Tous les présidents de
la Ve République ont contribué à la hausse des prélèvements obligatoires à
l’exception de Georges Pompidou. La palme revient à un « libéral »,
Valéry Giscard d’Estaing, qui a fait croître les prélèvements de plus de 6 points
en 7 ans. Les Trente Glorieuses, la période de forte croissance d’après-guerre,
se termine en 1974 avec le quadruplement du prix du pétrole (le baril passe de
3 à 12 dollars). Il s’ensuit un ralentissement très net de la croissance
économique et une augmentation du chômage. L’augmentation des prélèvements
obligatoires sous le septennat de Giscard d’Estaing a été la réponse à
l’envolée des dépenses sociales d’indemnisation du chômage. Le traitement
social du chômage a également eu un coût élevé. Mais en 1980, l’équilibre des
comptes publics restait excellent (pratiquement pas de déficit budgétaire et
une dette publique de 21% du PIB).
En un demi-siècle, les
dépenses publiques ont augmenté de 12 points de PIB. Les présidences de droite
ne conduisent pas à une baisse, à l’exception de celle de Jacques Chirac, mais
en partant d’un taux extrêmement élevé dont Mitterrand est le responsable. La
rupture de l’équilibre budgétaire se situe en fait en 1981 avec l’arrivée de la
gauche au pouvoir. Les dépenses publiques augmentent fortement à la suite de
réformes totalement à contre-courant de l’histoire, en particulier la
généralisation de la retraite à 60 ans. Les prélèvements obligatoires
n’augmentent pas suffisamment pour couvrir ces dépenses. Il en résulte une
fuite en avant vers l’endettement. La droite (présidences Chirac puis Sarkozy)
ne parviendra pas à restaurer un meilleur équilibre financier.
Il apparaît ainsi
clairement que si gauche et droite se divisent sur les concepts, l’analyse de
leur gestion ne permet pas de faire apparaître des différences sensibles.
- L’explication du décalage entre discours et réalité
État-gendarme ou État-providence ?
Il est acquis que
lorsqu’une société se développe, les aspirations des citoyens deviennent plus
qualitatives (soins de santé, éducation, etc.) et que le marché ne les
satisfait pas spontanément. L’interventionnisme public et la mise en place d’un
État-providence (welfare state)
proviennent donc d’une incapacité du capitalisme à répondre à certaines
demandes. « Les eaux glacées du calcul
égoïste » (Karl Marx) permettent une efficacité productive sans
précédent dans l’histoire mais ne laissent pas émerger l’altruisme
indispensable lorsque les richesses s’accumulent. L’État-providence n’est donc
pas une bénédiction divine, mais un mal nécessaire.
Il est possible, pour
un libéral, de rêver à un monde idéal sans État comme le font les socialistes
en pensant, eux, à un monde sans marché. Mais ce ne sont là que chimères, idées
creuses d’intellectuels rêvasseurs. Comme aimait à le dire le général de Gaulle,
il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Et la réalité
d’une société riche et complexe est une structure administrative elle-même
complexe et par conséquent coûteuse. Le retour à l’État-gendarme du 19e siècle,
qui se limitait aux fonctions régaliennes (diplomatie, défense, justice,
police) est donc plus qu’improbable. Mais l’hypertrophie de l’État-providence
est aussi une maladie grave qui tétanise l’initiative et risque, à terme, de
menacer les libertés publiques. Le problème pratique est alors le
suivant : l’extrême difficulté en démocratie de réduire les dépenses
publiques.
L’engouement des politiques pour la dépense
Cette difficulté
résulte du facteur politique, c’est-à-dire, dans une démocratie, de l’élection
des gouvernants. La dépense publique est très facile à faire adopter par les
assemblées électives car elle est soutenue par ses bénéficiaires relayés par
des groupes de pression. L’augmentation des prélèvements obligatoires (impôts,
cotisations sociales) est plus difficile à mettre en place car il faut choisir
ceux qui vont la supporter, choix délicat politiquement. Cependant, le lobbying
contre tel nouveau prélèvement est
nettement moins efficace que le lobbying pour
certaines dépenses. Il s’agit en effet de satisfaire par la dépense des
intérêts catégoriels dont le vote est indispensable pour obtenir une
réélection : l’engouement des politiques pour la dépense est donc
proportionnel à son efficacité électorale.
Les modalités de vote des budgets publics
La pratique de
nombreux États, en particulier la France, de voter d’abord les dépenses puis,
seulement dans un second temps, d’essayer de trouver les ressources
nécessaires, accentue considérablement la dérive vers la dépense publique plus
ou moins injustifiée. L’état d’esprit des élus est, d’un point de vue
procédural, de faire adopter impérativement les dépenses qu’ils jugent utiles.
C’est seulement quand les dépenses sont votées que l’on se préoccupe de leur
financement : augmentation des prélèvements obligatoires ou endettement.
La rigidité à la baisse des dépenses publiques
Le poids du passé est
absolument écrasant dans ce domaine. Baisser une dépense c’est nécessairement
priver une catégorie de citoyens de ressources. Baisser le salaire des
fonctionnaires revient à perdre des électeurs dans ce secteur. Baisser les
investissements dans une collectivité locale (construction d’écoles, réfection
de routes) revient à priver de nombreuses entreprises du chiffre d’affaires
correspondant et à condamner certaines d’entre elles à la faillite. La tendance
spontanée des élus est donc de maintenir le niveau des dépenses publiques et,
si possible, de l’augmenter pour distribuer de la satisfaction supplémentaire
et bénéficier ensuite des retombées électorales favorables. Il y a pire :
ce sont les promesses électorales. Il n’est pas possible de toujours mentir et
certaines devront être respectées : elles sont en général hors de prix.
L’envolée des prestations sociales
L’envolée des dépenses
sociales (+13 points de 1960 à 2010) a été une constante dans la deuxième
moitié du 20e siècle. Si la période faste des trente années d’après-guerre
permettait de financer de nouveaux avantages sociaux (retraite par répartition,
assurance-maladie, indemnisation du chômage), la situation économique nouvelle
de l’Occident à partir du milieu des années 70 (qualifiée de
« crise ») aurait dû conduire à la prudence dans ce domaine.
Il n’en a rien été,
bien au contraire. Le substrat économique ne permettant plus de financer les
dépenses sociales, elles l’ont été par l’endettement. Le retour à la raison a
été reporté par manque de courage politique. Les régimes de retraite par répartition
ont commencé à être réformés mais il reste beaucoup à faire. Rien n’a encore
été fait dans le domaine de l’assurance maladie qui ne pourra pas supporter le
vieillissement de la population sous peine d’explosion. Les obstacles sont
purement politiques : accorder un avantage social est facile mais le
retirer ou le restreindre pour des raisons financières provoque des débats sans
fin sur la « justice sociale ».
Pouvoir politique et puissance économique
Un dernier facteur,
beaucoup plus fondamental permet de comprendre le fossé entre discours et
réalité politico-économique. La grande majorité des hommes politiques n’est pas
issue du monde de l’entreprise et ils sont peu nombreux à posséder de bonnes
connaissances de gestion. Mais ils comprennent vite ce que demandent les
électeurs : des avantages matériels distribués par la sphère publique,
qu’il s’agisse d’embauches de fonctionnaires, de nouveaux marchés publics ou de
prestations sociales. Seule la croissance des budgets publics permet de
répondre à ces demandes. Autrement dit, le pouvoir économique des hommes
politiques est directement lié à l’augmentation des dépenses publiques. Point
n’est besoin, comme dans une entreprise privée, d’avoir constamment à l’esprit
l’équilibre charges-produits. Dans le secteur privé, il faut conquérir le
chiffre d’affaires, c’est-à-dire les clients, avant d’augmenter les charges.
Rien de tel dans le secteur public. Il suffit de voter l’augmentation des
dépenses (d’abord) puis l’augmentation des prélèvements obligatoires (ensuite).
La tendance à
l’inflation dépenses-recettes publiques est donc inhérente au processus de
décision démocratique. Réduire le périmètre de la sphère publique revient à
diminuer le pouvoir des gouvernants alors qu’il est si facile de l’augmenter en
prélevant davantage ou en endettant la collectivité que l’on représente. La
timidité de la droite dans le domaine de la réduction des dépenses n’a pas
d’autre explication. Quant à la gauche, elle se drape dans le somptueux manteau
du confort moral : la dépense publique, c’est la justice.
Si l’on observe
objectivement la réalité depuis une cinquantaine d’années, la distinction
droite-gauche est plus théorique que réelle dans le domaine financier. Droite
et gauche ne sont guère que deux clans qui s’affrontent pour la conquête du
pouvoir en accentuant artificiellement leurs divergences pour séduire les plus
crédules. Gestion financière sérieuse et politique politicienne ne font pas bon
ménage. L’ambition personnelle anime les hommes politiques et l’argent public
est un moyen efficace de conquérir un électorat. Si les promesses coûteuses
font rêver et peuvent mener au succès, la « science lugubre » qu’est
l’économie, et a fortiori la finance, doit rester discrète. Pas question de
briser le rêve par de sordides questions d’équilibre budgétaire. Il faut
promettre des lendemains qui chantent et laisser aux spécialistes de Bercy le
soin de combler les déficits. Le décalage entre le discours électoral et la
réalité de la gestion est cependant de mieux en mieux perçu et le discrédit dont
souffrent les gouvernants va croissant.
« On peut mentir une fois à tout le monde, on
peut mentir tout le temps à une personne, mais on ne peut pas mentir tout le
temps à tout le monde. » — Abraham Lincoln
Source contrepoints.org
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