La torche humaine
Paris -- La photo que j’ai
faite de ce policier m’a vraiment touché. Parce que j’avais sous les yeux
un homme pris dans les flammes. A Paris. Sans avoir rien fait pour mériter ça.
Je suis originaire de Syrie, un pays où la police n’est pas là pour te protéger
mais tire à balles réelles sur les manifestants. Alors qu’ici, tout ce qu’elle
faisait était d'envoyer des gaz lacrymogènes vers ceux qui
l'attaquaient.
J’ai
pris cette photo pendant les manifestations de la fête du travail, le 1er mai,
à Paris. J’y habite depuis un peu plus d’un an maintenant. J’ai dû quitter ma
ville natale d’Alep, en Syrie, après y avoir perdu un œil, en couvrant des
combats.
Des CRS en
marche vers la place de la Bastille, le 1er mai 2017. (AFP / Zakaria Abdelkafi)
Je
travaille comme photographe pigiste depuis mon arrivée en France. Je couvre
beaucoup de manifestations. C’est comme ça que je me suis retrouvé lundi, vers
midi, entre les places de la République et de la Bastille.
J’ai
vite repéré les types qui sont toujours en noir, et cachent leurs visages avec
des foulards, les Black Bloc. Je les suis à toutes les manifestations parce que
je sais par expérience qu’ils causent toujours des problèmes.
Ils sont
très violents. Ils m’ont pris à partie plusieurs fois, poussé par terre et même
frappé. Ce lundi, je les prenais en photos pendant qu’ils étaient en train de
détruire des choses, quand l’un d’eux m’a collé une cigarette sur l’objectif.
En ce qui me concerne, ils sont juste gênants. Je suis syrien. Et leurs petites
bagarres ne sont rien par rapport à ce à quoi j’ai assisté dans mon pays.
Un quartier
d'Alep, décembre 2013. (AFP / Zakaria Abdelkafi)
Manifestation à
la veille du premier tour de l'élection présidentielle, le 22 avril 2017, avec
des membres du Black Bloc, près de la Place de la République. (AFP/ Zakaria
Abdelfaki)
Je me
trouvais entre eux et la police, sur un côté. Et en prenant des photos, je me
suis dit que l’histoire était celle de l’agression contre la police. Parce que
les types en noir leur lançaient des pierres, des bouteilles en verre, tout ce
qui leur tombait sous la main. Et la police se contentait de répliquer par des
tirs de lacrymogène. Autant dire rien.
1er mai 2017,
près de la place de la Bastille. (AFP / Zakaria Abdelkafi)
Quand je
photographie, quand j’ai mon œil sur le viseur, j’oublie tout le reste. Je n’ai
pas vu le cocktail Molotov partir. J’ai juste vu le policier enveloppé par les
flammes, et j’ai déclenché en rafale. Le policier était en train d’éloigner une
cartouche de gaz lacrymogène du pied, quand le cocktail Molotov l’a frappé. Je
l’ai entendu crier. Et puis ceux qui l’entouraient se sont aussi mis à crier.
Je l’ai photographié jusqu’à ce qu’il soit emmené par les secours.
La scène
m’a vraiment ému. J’aimerai aller le voir à l’hôpital, pour lui apporter des
fleurs. Pour moi, c’était avant tout un être humain qui brûle, sous mes yeux.
Et les manifestants s’en fichaient complètement. Ils continuaient à balancer
des trucs sur la police. Un peu après ils sont enflammé un chariot de
supermarché avant de le lancer vers la police.
Je me
suis demandé s’il avait été touché au visage, et s’il en serait marqué. Je
pensais à sa famille en continuant à travailler. J’ai beaucoup d’amis qui ont
été défigurés par des brulures dans des bombardements. Je sais à quoi ça
ressemble.
Corps de
victimes d'un bombardement aérien, dans le quartier Maadi d'Alep, le 17
décembre 2013. (AFP / Zakaria Abdelkafi)
J’ai
pourtant vu beaucoup de gens mourir. Beaucoup d’autres blessés. Mais cette
scène m’a vraiment touché. Parce que je sais ce qu’est une mauvaise police,
celle qui tire sur les gens. En France, elle est là pour les protéger. Et puis
il s’agit d’un être humain, qui est brûlé gravement. Et quelqu’un que ça ne
toucherait pas n’est pas vraiment humain.
Je dis
ça en connaissance de cause. Je me suis déjà pris des coups par la police ici.
Je me trouvais au milieu des rangs de manifestants. Et franchement, si
j’étais policier, j’aurais fait la même chose.
Cette
fois, je me suis tenu un peu à l’écart. J’ai contacté l’AFP et leur ai proposé
mes photos. Comme elles les intéressaient, je suis passé à l’agence. Je suis
retourné à la manifestation avec de l’équipement et un casque, avec un
autocollant AFP dessus. L’attitude de la police a complètement changé. J’ai eu
droit à un « s’il vous plait, monsieur ».
(AFP/ Zakaria
Abdelfaki)
Je suis
arrivé à Paris en décembre 2015. J’ai perdu mon œil à Alep. J’essayais de faire
des images de rebelles, qui tentaient de briser le siège de la ville. Je me
trouvais dans l’encadrement d’une porte. J’ai mis un genou à terre, et c’est à
ce moment que la balle d’un sniper m’a frappé. Elle a ricoché sur la porte
contre moi avant de me percer l’œil.
Heureusement,
le sniper se trouvait en hauteur, et la balle allait vers le bas. Sinon, elle
entrait dans la tête. Et heureusement, c’était mon œil droit. Parce que,
voyez-vous, je photographie depuis toujours avec le gauche.
Des rebelles
syriens, dans le quartier Salaheddine d'Alep, en décembre 2013. (AFP / Zakaria
Abdelkafi)
Depuis,
on m’a tellement demandé si je continuerai à être photographe que j’ai une
réponse toute prête : « bien sûr, un photographe n’a besoin que d’un
œil ».
Je ne
suis pas amer. En Syrie, mes amis et moi nous disions toujours que nous
finirions soit mort soit blessé. Et ainsi je suis devenu le photographe qui a
perdu un œil. Je l’accepte et je continue de vivre.
Les lumières de
la Tour Eiffel sont éteintes, le 22 mars 2017, en solidarité avec la ville de
Londres après une attaque terroriste à Westminster. (AFP / Zakaria Abdelkafi)
Les
trois premiers mois à Paris n’ont pas été faciles. J’étais déprimé. Je faisais
des allers-retours à l’hôpital pour mon œil. Maintenant ? J’ai des amis.
J’aime Paris. Ca me rappelle Alep. Et quand je voyage en France, je rêve de
revenir dans la capitale. Après avoir participé à une émission de télévision,
on m’a même reconnu dans le métro : « Oh, c’est vous Zakaria ».
Ça fait du bien. J’ai l’impression d’être chez moi.
J’ai
commencé une nouvelle vie. Mon dossier de réfugié a été accepté. J’ai fait une
demande pour que ma femme, et mes enfants, une fille de six ans et un garçon de
trois, me rejoignent avec ma mère. Ils sont en Turquie pour l’instant. La Syrie
me manque bien sûr. C’est mon pays, mais il n’existe plus. Ma Syrie est morte.
C’est pourquoi je commence une nouvelle vie. La France m’a aidé, et je veux le
lui rendre.
Source making-of.afp.com
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