Les religions dans le monde
L’ouvrage Géopolitique des religions
de Didier Giorgini ambitionne de mettre à jour le rôle des religions dans les
grandes dynamiques mondiales en lien, entre autres, avec l’espace, le temps, le
politique, et en évitant toute approche systématique. L’auteur dégage, ainsi,
de nouveaux lieux d’affrontements.
Pour étudier la géopolitique des
religions il faut changer d’échelle par rapport à la géopolitique classique,
car les religions remontent à la nuit des temps et s’étendent à des espaces
vastes.
Les religions évoluent dans un espace-temps qui
dépasse le cadre de la géopolitique classique.
Toutes
les religions font références à des mythes et à des légendes dont certaines
remontent de plusieurs siècles à plusieurs millénaires. Ainsi, la religion
hindoue existe depuis 4000 ans. Les adeptes de la religion shinto quant à
eux, croient que le Japon a été fondé il y a plusieurs milliers d’années quand
le fils de la déesse Amaterasu est monté sur le trône. De même, la tombe des
patriarches à Hébron daterait de 1800 ans avant Jésus Christ.
Chaque
religion se caractérise par une topologie propre. Pour les Chrétiens le Saint
Sépulcre à Jérusalem est le lieu supposé de la mort et de la résurrection du
Christ. La Mecque est la ville sainte des musulmans. Les Hindous et les
bouddhistes ont plusieurs villes saintes. Les religions chinoise et japonaise
ont des sanctuaires et des mausolées de sages. Par ailleurs, le passage au
monothéisme ne conduit pas forcément à la diminution des lieux saints à
l’instar du catholicisme et ses sanctuaires mariaux. Ce sont plutôt les
lectures littéralistes de ces religions monothéistes qui tendent à les réduire.
Les protestants se désintéressent des pèlerinages, et le clergé wahhabite a
détruit les tombes des compagnons du prophète au nom de la lutte contre l’idolâtrie.
Cadre et
en même temps dépassant les pouvoirs temporels, les religions alternent entre
contestation et collaboration avec le pouvoir (ou du moins sont-elles
récupérées, tout dépend de quel point de vue on se place) auxquelles elles ne
se sentent pas liées.
Entre contestation et récupération : le lien
ambigu de la religion et du pouvoir
L’Occident
est marqué par le « désétablissement religieux ». Depuis les traités
de Westphalie en 1648 fixant le principe « cujus
regio, cujus religio », les États Européens n’ont cessé de se
démarquer du religieux avec des nuances entre les tenants d’une laïcité stricte
comme en France et les tenants d’une laïcité « ouverte » comme aux
États-Unis. Le libre choix et la logique « hypothético-déductive »
l’emporte sur la norme religieuse imposée. Le religieux se situe dans la sphère
privée et la liberté individuelle dans la sphère publique.
Pour
l’Orient, et le Sud, c’est l’inverse. La religion traditionnelle s’impose par
une législation propre et des normes sociales visant à éviter la confrontation
à l’altérité. En ce sens, la criminalisation de l’apostasie est un
« marqueur géopolitique » essentiel pour l’auteur. Dans leur
majorité, ces sociétés n’ont pas connu le processus « économique » de
sécularisation dépossédant les structures religieuses au profit d’un groupe
social. Ainsi, l’Église orthodoxe grecque est exemptée d’impôts fonciers. En
Arabie-Saoudite, le clergé wahhabite dispose de l’argent du pétrole.
Mais cette opposition Nord/Sud, Occident/Orient doit être
nuancée. Les pays bouddhistes qui ont souffert de régimes oppresseurs peuvent
voir leurs religieux investir le champ de la lutte pour les droits individuels.
Ainsi, les moines bouddhistes birmans manifestèrent contre la junte
militaire en 2008. La « théologie de la
libération » a fondé la lutte pour les libertés individuelles dans le Sud
catholique.
Mais la
nature « glocale » c’est-à-dire universelle et particulière des
religions explique en partie qu’elles soient porteuses de conflits dont les
lieux d’affrontement sont, entre autres, l’économie, les migrations et surtout
l’individu.
« Surdéterminants » puissants, les religions
provoquent des affrontements là où elles se déplacent.
Dans le domaine économique, selon Max Weber, le
protestantisme aurait gagné la guerre étant à l’origine de L’esprit du capitalisme (1910). Calvin a légitimité le crédit et l’Église
évangélique aux États-Unis, rompue aux techniques d’une économie libérale,
dispose de fonds considérables. Cependant, Gilles Kepel dans L’extension du domaine du halal (1991) attire l’attention sur les progrès de
l’Islam dans ce domaine et ces entrepreneurs souvent musulmans qui exploitent
le «surdéterminant » religieux pour s’annexer une clientèle captive dans
une logique « d’impérialisme » économique qui a pour cadre la Oumma.
Moins triomphaliste, les catholiques s’appuient sur la Doctrine Sociale de
l’Église qui vise à proposer un usage juste de la richesse. Les
Chrétiens-Démocrates Italiens ont élaboré en ce sens « l’ordo-libéralisme ».
Les lieux d’affrontements varient aussi en fonction des
migrations. La Chine a fait du « bouddhisme chinois » un véritable
article d’exportation propre à maintenir le lien avec sa diaspora et à diffuser
sa culture. L’Iran veut créer un « croissant chiite » pour étendre son influence régionale et finance une
politique culturelle exigeante.
En ce qui concerne la migration musulmane en Europe occidentale, elle nourrit aussi des
crispations. Dans l’hexagone, le sentiment de déracinement a pu décider les
Musulmans les plus fragiles à se tourner vers le salafisme qui prône une religion sans déterminant national et
territorial.
Pourtant, le lieu d’affrontement le plus certain, dans un
avenir proche est l’individu surtout quand, privé de toute tradition, il a
l’illusion de pouvoir choisir son appartenance religieuse1. À sa
hauteur, les religions qui attirent le plus sont celles qui savent articuler
individualisme et vie en communauté. Dans cette logique les lieux de
confrontations se déplacent au niveau infra-étatiques, sécessionniste ou
insurrectionnel, et se développent dans ces « zones grises »
des banlieues ou ce no-man’s land que constitue l’empire dématérialisé de la
toile.
Didier
Giorgini surmonte avec élégance la difficulté d’analyser la géopolitique à
travers les religions. Comme outils d’analyse du « glocal » qui lient
l’universel au particulier, elles restent difficiles à manier. Plus que jamais,
l’individu semble peu de choses face à ces institutions taillées pour des
Géants. Mais, contrairement aux Titans qui ont été réduits, les religions,
ponts entre le passé profond et la fin des temps, ont encore de longs jours
devant elles.
Source contrepoints.org
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