lundi 11 mars 2019

Billets-Attractivité de la France : le coup de semonce


Attractivité de la France : le coup de semonce

Les responsables politiques français ont une tendance marquée à préférer, au moins en public, des contes rassurants à une réalité qui dérange. Confondre le devoir-être et l'être, en feignant de prendre le premier pour le second, présente en effet l'avantage d'éviter la remise en cause de ses schémas de pensée. Mais les chiffres ont fort peu d'égard pour les politiques conduites dans le mépris de la réalité économique. La réalité du chômage de masse, absolument insensible depuis des décennies à tous les coups de menton médiatiques affichant la « détermination » de la lutte et la « priorité » qu'elle constitue a récemment été mise en lumière par l'imprudent pari (perdu) du président. Avec l'annonce par les Nations unies de la chute de 77 % des investissements directs en France par rapport à l'année dernière, notre pays subit un nouveau rappel brutal. Nulle explication ne pourra cacher l'ampleur du décrochage : dans le même temps, l'Espagne voit ses propres investissements progresser de 37 %, l'Allemagne de 392 % (sic).

L'explication ne fait guère de doute. Les investisseurs sont hyper sensibles aux signaux pouvant créer la défiance. Si les taux de prélèvement ou le coût du travail sont des indications objectives de différentiels de rentabilité, ils sont au fond moins importants que l'instabilité fiscale ou plus généralement l'atmosphère de mépris qui entoure les entreprises.

De la même manière que l'on apprend dès le lycée que le modèle de la relance keynésienne ne marche pas dans une économie ouverte, la France doit réaliser qu'une détermination autiste de sa politique est suicidaire car elle est en concurrence avec les autres zones économiques à tous les niveaux : qu'il s'agisse d'attirer les touristes, les travailleurs les plus qualifiés ou les capitaux, nous sommes entièrement soumis à une impitoyable analyse de nos avantages respectifs. Face à cette réalité, la France privilégie trop souvent deux réactions absurdes. La première est de compter sur l'attrait traditionnel de la « douce France », censé compenser tous nos désavantages compétitifs. C'est le « syndrome de Louis XIV » qui habite encore certains de nos hauts fonctionnaires ne comprenant pas comment le monde pourrait avoir les yeux tournés ailleurs que vers Versailles. La seconde erreur est pire : éviter l'autocritique en vouant aux gémonies les agents dont les actions traduisent notre manque d'attractivité. On condamnera ainsi avec force rappels moraux les entreprises qui osent chercher à éviter de payer leurs impôts en France en utilisant pourtant les moyens les plus légaux pour le faire. Qu'il s'agisse de Google, qui a choisi l'accueillante Irlande, ou des sociétés du CAC 40, qui ne paieraient que 10 % d'impôts sur les sociétés (alors qu'elles réalisent souvent moins de ce pourcentage d'activité sur notre territoire), on détourne l'attention en s'étonnant de l'absence de masochisme fiscal des agents économiques. Mais accuser les passagers qui fuient le navire n'a malheureusement jamais empêché le bateau de couler, ni même excusé l'impéritie du capitaine.

Qu'on le veuille ou non, les territoires sont désormais en concurrence. Et l'autarcie n'est pas une solution, sauf, comme l'écrivait Bernard de Mandeville, à « reprendre le gland qui servait de nourriture à nos premiers pères ». La concurrence entre pays présente les mêmes caractéristiques que la concurrence entre entreprises : mécanisme d'allocation des ressources permettant l'émergence des acteurs les plus efficaces, elle se traduit par une impitoyable destruction créatrice. Les chiffres de la chute des IDE sont un coût de semonce. Pour survivre, la France doit décider de faire sa révolution concurrentielle en se réorganisant entièrement autour de l'impératif d'attractivité.


Source lesechos.fr (par Olivier Babeau professeur à l'université Paris-VIII 

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