Attractivité de la France : le coup de semonce
Les
responsables politiques français ont une tendance marquée à préférer, au moins
en public, des contes rassurants à une réalité qui dérange. Confondre le
devoir-être et l'être, en feignant de prendre le premier pour le second,
présente en effet l'avantage d'éviter la remise en cause de ses schémas de
pensée. Mais les chiffres ont fort peu d'égard pour les politiques conduites
dans le mépris de la réalité économique. La réalité du chômage de masse,
absolument insensible depuis des décennies à tous les coups de menton
médiatiques affichant la « détermination » de la lutte et la
« priorité » qu'elle constitue a récemment été mise en lumière par
l'imprudent pari (perdu) du président. Avec l'annonce par les Nations unies de
la chute de 77 % des investissements directs en France par rapport à
l'année dernière, notre pays subit un nouveau rappel brutal. Nulle explication
ne pourra cacher l'ampleur du décrochage : dans le même temps, l'Espagne
voit ses propres investissements progresser de 37 %, l'Allemagne de
392 % (sic).
L'explication
ne fait guère de doute. Les investisseurs sont hyper sensibles aux signaux
pouvant créer la défiance. Si les taux de prélèvement ou le coût du travail
sont des indications objectives de différentiels de rentabilité, ils sont au
fond moins importants que l'instabilité fiscale ou plus généralement
l'atmosphère de mépris qui entoure les entreprises.
De la
même manière que l'on apprend dès le lycée que le modèle de la relance
keynésienne ne marche pas dans une économie ouverte, la France doit réaliser
qu'une détermination autiste de sa politique est suicidaire car elle est en
concurrence avec les autres zones économiques à tous les niveaux : qu'il
s'agisse d'attirer les touristes, les travailleurs les plus qualifiés ou les
capitaux, nous sommes entièrement soumis à une impitoyable analyse de nos
avantages respectifs. Face à cette réalité, la France privilégie trop souvent
deux réactions absurdes. La première est de compter sur l'attrait traditionnel
de la « douce France », censé compenser tous nos désavantages
compétitifs. C'est le « syndrome de Louis XIV » qui habite encore
certains de nos hauts fonctionnaires ne comprenant pas comment le monde
pourrait avoir les yeux tournés ailleurs que vers Versailles. La
seconde erreur est pire : éviter l'autocritique en vouant aux gémonies les
agents dont les actions traduisent notre manque d'attractivité. On condamnera
ainsi avec force rappels moraux les entreprises qui osent chercher à éviter de
payer leurs impôts en France en utilisant pourtant les moyens les plus légaux
pour le faire. Qu'il s'agisse de Google, qui a choisi l'accueillante Irlande,
ou des sociétés du CAC 40, qui ne paieraient que 10 % d'impôts sur les
sociétés (alors qu'elles réalisent souvent moins de ce pourcentage d'activité
sur notre territoire), on détourne l'attention en s'étonnant de l'absence de
masochisme fiscal des agents économiques. Mais accuser les passagers qui fuient
le navire n'a malheureusement jamais empêché le bateau de couler, ni même
excusé l'impéritie du capitaine.
Qu'on le
veuille ou non, les territoires sont désormais en concurrence. Et l'autarcie
n'est pas une solution, sauf, comme l'écrivait Bernard de Mandeville, à « reprendre le gland qui servait de nourriture à
nos premiers pères ». La concurrence entre pays présente les mêmes
caractéristiques que la concurrence entre entreprises : mécanisme
d'allocation des ressources permettant l'émergence des acteurs les plus
efficaces, elle se traduit par une impitoyable destruction créatrice. Les
chiffres de la chute des IDE sont un coût de semonce. Pour survivre, la France
doit décider de faire sa révolution concurrentielle en se réorganisant
entièrement autour de l'impératif d'attractivité.
Source lesechos.fr (par Olivier Babeau professeur à l'université
Paris-VIII
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