Macron, l’indifférence
élyséenne
Entre l’indifférence élyséenne que
le président cultive et le corps à corps qu’il affectionne, il y a un juste
milieu démocratique.
Le
président de la République a exprimé sa « honte » par un tweet dans
la soirée du 24 novembre.
Merci à
nos forces de l’ordre pour leur courage et leur professionnalisme. Honte à ceux
qui les ont agressées. Honte à ceux qui ont violenté d’autres citoyens et des
journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d’intimider des élus. Pas de place
pour ces violences dans la République.
Honte certes, pourquoi pas, à la suite des violences, des
affrontements et de cette atmosphère d’émeute durant quelques heures, surtout sur les
Champs-Élysées.
Difficile
de le contredire en effet quand il remercie « les
forces de l’ordre pour leur courage et leur détermination » et
dit sa « honte à ceux qui les ont
agressées… à ceux qui ont violenté d’autres citoyens et des journalistes, à
ceux qui ont tenté d’intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans
la République ».
Comme
cette dernière phrase serait belle si elle était juste et que la République ne
cesse pas d’être meurtrie par des violences de toutes sortes contre lesquelles,
quotidiennes ou exceptionnelles, l’État ne montre que son impuissance !
« Honte »
assurément à l’égard de ceux qu’il a visés par sa dénonciation mais, au-delà de
l’opprobre ainsi jeté, qui peut être fier de son comportement, de son verbe et
de ses actions depuis que les Gilets jaunes ont fait irruption dans notre espace
démocratique, contre toutes les structures partisanes et syndicales, à cause
initialement d’une hausse des carburants aggravant le gouffre entre Paris et la
province, entre ceux qui pourront toujours circuler à leur aise et la majorité
ayant besoin d’une voiture pour aller travailler, entre les privilégiés et les
modestes ?
« Honte »,
c’est sûr, mais qui dans ce désastre aurait l’impudence de s’épargner ?
« Honte »
peut-être, mais le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, pour ce qui
les concerne, peuvent-ils se féliciter de l’image qu’ils ont donnée et de la
posture qu’ils ont adoptée ?
Ce
dernier, par ses attitudes de Matamore qui révélaient plus d’incompréhension et
de maladresse que d’autorité, par la précipitation avec laquelle il s’est
engouffré dans la mise en cause de l’ultra-droite à Paris, a jeté de l’huile
sur le feu, du sel sur une plaie à vif et surtout, avec une globalité
dangereuse, n’a pas distingué une minorité de « casseurs » quasiment
inévitable d’une multitude parfaitement honorable et tranquille de Gilets
jaunes.
Cette
dernière aurait eu besoin d’une considération qu’elle n’a jamais eue ou trop
tard. À Paris, le refus de s’en prendre aux pompiers et de dégrader des
commerces a été, pour beaucoup de manifestants, la marque même de leur
singularité et de leur honnêteté.
Alors
que dans la province les Gilets jaunes ont défilé et protesté dans le calme
avec une force amplifiée par cette résolution irréprochable, quoi que ce soit,
depuis le début de ce conflit, avait-il été proposé à cette masse angoissée par
son pouvoir d’achat et son avenir devenant de plus en plus incertain, voire
sombre ?
Il a
fallu attendre longtemps pour que, sortant apparemment d’une constance absurde,
le pouvoir accepte de lâcher si peu de lest en ajoutant, par cette lenteur, à
l’exaspération de citoyens désorientés et en quelque sorte laissés à l’abandon.
Le déplorable de Paris est en grande partie la conséquence d’une gestion
épouvantablement médiocre d’une colère qui pour être née hors des chemins
traditionnels aurait mérité encore plus d’être écoutée, prise en charge et
respectée.
« Honte »
sans doute mais le président de la République lui-même oserait-il s’avouer
irréprochable face à cette crise dont on ne voit pas encore la fin puisqu’une
nouvelle manifestation est prévue le 1er décembre et qu’elle va multiplier,
avec probablement un nombre moindre mobilisé, les appels absurdes à la
démission d’Emmanuel Macron ?
Celui-ci,
alors que le quinquennat, s’il n’oblige pas le président à se mêler de tout et
n’importe quoi, du futile, de l’insignifiant comme du grave, devrait avoir au
moins pour conséquence de le mettre en première ligne, sans qu’il se réfugie
derrière la forteresse élyséenne, et de le placer au chevet du pays quand
celui-ci, fiévreux, profondément malade, a besoin de la sollicitude énergique
de son chef, s’est campé dans une attitude de retrait et de distance.
Quand on
refuse l’entremise des corps intermédiaires et qu’à l’évidence le Gouvernement
est dépassé par une effervescence tendue à laquelle il s’obstine à donner
d’impossibles remèdes techniques alors qu’il s’agit d’une crise de foi
républicaine, le président aurait dû, vite, par un dialogue constructif et par
lui-même apaisant, venir au cœur de la mêlée pour en dégager d’authentiques
solutions.
Face à
cette majesté confortable – si loin du feu ! – je n’ai pas pu m’empêcher de
songer à certaines péripéties officielles qui avaient montré un Emmanuel Macron
à la disposition d’une Rihanna pour s’entretenir du climat avec elle. L’allure
présidentielle et la légitimité démocratique auraient-elles été offensées s’il
avait reçu une délégation des Gilets Jaunes avec la difficulté, j’en conviens,
d’un mouvement se vantant de son absence de structuration.
Le président va intervenir le 27 novembre en annonçant
notamment la création d’un Haut Conseil du Climat avec ce qu’il faut d’experts pour rendre cet
organisme plausible. Croit-il vraiment qu’avec cette initiative, il va répondre
à l’angoisse, dissiper les doutes, calmer la colère face aux hausses qu’on
s’acharne à maintenir du 1er janvier ?
Qu’il
sorte de son Aventin pour parler vraiment avec la France qui souffre quand
l’autre ne va pas trop mal. Entre l’indifférence élyséenne qu’il cultive et le
corps à corps qu’il affectionne, il y a un juste milieu démocratique.
Ou
devra-t-on, face à l’impuissance chronique et à la fracture économique, sociale
et nationale, se résoudre à accepter la dangereuse idée que la politique
gagnerait à tout coup à être confiée à l’inventivité et à la spontanéité des
citoyens ?
Macron
démission : un cauchemar ou la rançon délétère d’une désillusion de plus en
plus dévastatrice ?
Source contrepoints.org
Par Philippe Bilger.
Président de l'Institut de la parole, aujourd'hui
magistrat honoraire, Philippe Bilger a exercé pendant plus de vingt ans la
fonction d'avocat général à la cour d'assises de Paris. Il anime le site
Justice au singulier.
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