jeudi 21 novembre 2019

Lectures-Philip Roth Un Homme



Philip Roth

Un Homme


Traduit de l’américain par Josée Kamoun

(4ème de couverture)
Un homme. Un homme parmi d’autres. Le destin du personnage de Philip Roth est retracé depuis sa première et terrible confrontation avec la mort sur les plages idylliques de son enfance jusque dans son vieil âge, quand le déchire la vision de la déchéance de ses contemporains et que ses propres maux physiques l’accablent. Entre-temps, publicitaire à succès dans une agence à New York, il aura connu épreuves familiales et satisfactions professionnelles.

D’un premier mariage, il a eu deux fils qui le méprisent et, d’un second, une fille qui l’adore. Il est le frère bien-aimé d’un homme sympathique dont la santé vigoureuse lui inspire amertume et envie, et l’ex mari de trois femmes très différentes, qu’il a entraînées dans des mariages chaotiques. En fin de compte, c’est un homme qui est devenu ce qu’il ne voulait pas être.

Ce roman puissant – le vingt-septième de Roth – prend pour territoire le corps humain. Il a pour sujet l’expérience qui nous est commune et nous terrifie tous.

Le « Théâtre de Sabbath » à valu à Philip Roth en 1995 le National Book Award, qu’il avait déjà obtenu en 1960 pour son premier livre « Goodbye, Colombus ». Il a reçu à deux reprises le Nationel Book Critics Circle Award, en 1987 pour « La contrevie » et en 1992 pour « Patrimoine ». Le prix Pulitzer et, en France, le prix du Meilleur Livre étranger ont couronné « Pastorale américaine ». Le PEN Faulkner Award a récompensé les romans « Opération Shylock », « Un homme » et « La tache », qui a été également distingué par le prix Médicis étranger 2002. Entre autres récompenses, « Le complot contre l’Amérique » a été consacré meilleur livre de l’année par la New York Times Book Review. Tous les livres de Philip Toth sont traduits aux Editions Gallimard.

(1ere phrase :)
Autour de la tombe, dans le cimetière délabré, il y avait d’anciens collègues de l’agence de publicité new-yorkaise, qui rappelèrent son énergie et son originalité et dirent à sa fille, Nancy, tout le plaisir qu’ils avaient eu à travailler avec lui.

(Dernière phrase :)
Arrêt cardiaque. Il n’était plus. Affranchi de l’être, entré dans le nulle part, sans même en avoir conscience. Comme il le craignait depuis le début.
152 pages – Editions Gallimard 2006 (2007 pour la traduction française)

(Aide mémoire perso :)
Une tombe, fraîchement ouverte, avec autour la famille éparpillée, les amis et quelques connaissances du défunt, dans un cimetière de Newark, au bout d'un aéroport, bercé par la rumeur incessante d'une autoroute urbaine.

La longue scène d'ouverture du roman de Philip Roth nous précipite d'entrée vers le gouffre de nos fins dernières, lorsque les processionnaires, tête baissée, en sont réduits, égarés dans leur chagrin et leurs noires pensées, à prononcer quelques mots en tentant de juguler leur émotion.

Le livre s'achèvera sur un lit d'hôpital où la mort prendra le relais d'une anesthésie générale, réclamée par le « patient » à l'approche d'une nouvelle opération qui semblait, au regard des précédentes, plutôt banale.

Entre ces deux instants que l'écrivain, par un procédé d'habile conteur, a éloignés, aura défilé une vie, ramassée en 150 pages. La réussite sociale d'un New-Yorkais aisé qui, l'âge venu, affronte, incrédule et résigné, la déchéance physique et mène, en solitaire désenchanté, les batailles de la vieillesse.

Philip Roth s'attarde dans ce cimetière et restitue la lugubre et insoutenable emprise d'un enterrement. Surtout lorsqu'il obéit au rite de la religion juive qui prescrit que les proches du mort doivent combler la fosse.

« Puis Howie s'approcha cérémonieusement de la tombe, demeura un instant pensif, et, inclinant légèrement l'outil vers le bas, il laissa glisser la terre, lentement. Le bruit qu'elle fit en heurtant le couvercle de bois du cercueil est un bruit qui s'enfonce en vous comme aucun autre. »

L'homme qui repose dans ce coin d'Amérique, issu d'une famille de juifs d'Europe centrale, aura bien et mal vécu : petit-fils et fils de joaillier, devenu publicitaire à succès, marié trois fois, avec deux fils qui en veulent à ce père indigne, et une fille, plus jeune, aimante et protectrice.

Les trois veuves, que ce deuil réunit, rassemblent l'existence désordonnée de ce contemporain, faillible. Avant que la mort qui s'est annoncée par divers signes ne vienne lui présenter l'amère addition.

Peu à peu, le héros de Philip Roth découvre, parfois lancinants, parfois soudains comme une attaque, les affaissements de son corps, les trahisons intimes de l'organisme, la litanie des maladies à colmater. Et la liste des amis qui tombent comme des feuilles mortes. Il jalouse même son frère aîné, non pour le prestige de sa position sociale, mais pour sa santé de fer qui déjoue les atteintes du temps.
Des maîtresses, des rejetons, des relations, un grand frère tutélaire, une carrière intéressante, une réussite matérielle et un désastre familial : le bilan de ce retraité qui a fui New York, après le 11 septembre pour se réfugier sur la côte Est, face aux plages de son enfance, se résume désormais, dans sa solitude affective, à l'histoire de son déclin physique, à la sidération de sentir son corps, lui aussi, l'abandonner. Ses forces morales autant que physiques le lâchent, alors qu'il avait traversé l'existence armé de cette devise : « Tenir bon et prendre la vie comme elle vient. »
Ce bref roman est un précis de décomposition. Depuis plusieurs années, l'univers romanesque de Philip Roth est hanté par le spectre de la déliquescence qu'il traite parfois avec ironie. Cette fois, la gravité l'emporte. Il décrit admirablement combien, passé un certain âge qui coïncide avec la fin de l'activité, l'oppression de la douleur physique peut tourner à l'obsession.

Combien cette soumission à l'état incertain du corps devient une aliénation. Combien la mémoire sape le moral. Perclus de souvenirs, bons ou mauvais, la vie s'achève, dans l'impuissance, entre regrets et remords, avec un pathétique besoin de réconfort que rien ne parvient vraiment à rassasier.

Le héros de Philip Roth ressemble fort à l'individu occidental de ce début de XXIe siècle. D'ailleurs, il ne porte pas de nom. Il est « un homme ». Tous les hommes.

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