Une intelligence
artificielle peut-elle devenir présidente des Etats-Unis ?
Une campagne en
ligne, Watson 2016, vante les mérites d’une intelligence artificielle à la
Maison blanche. Une manière de critiquer le système politique actuel.
Il ressemble à
tous les autres sites des candidats à la présidentielle américaine. Un drapeau
étoilé flotte au vent, le design est soigné, agrémenté de vidéos, le propos est
clair, argumenté, direct. A la différence près que ce candidat-là n’est pas
humain : il s’agit de Watson, le programme d’intelligence artificielle
phare d’IBM, l’un des plus avancés au monde.
« Nous pensons que les capacités uniques de Watson pour
analyser l’information, et prendre des décisions éclairées et transparentes, en
font un candidat idéal pour le poste à responsabilités que représente celui de
président », peut-on lire sur le
site de la campagne Watson 2016. Sur un ton on ne peut plus sérieux, le
site déroule son argumentaire :
« Plus
Watson intègre d’informations, plus ses capacités de prise de décision sont
efficaces. Il est capable d’analyser des informations venant de n’importe
quelle source, il peut donc prendre en compte différentes perspectives et
opinions sur tous les sujets. […] C’est une tâche que doivent effectuer
quotidiennement les politiques, y compris le président, et qui pourrait être
effectuée de façon plus appropriée et efficace par une intelligence
artificielle. »
Selon
ce site, Watson pourrait analyser, en prenant en compte de nombreux paramètres,
les qualités et défauts de chaque décision, en évaluant « son impact sur l’économie, l’environnement,
l’éducation, la santé, la diplomatie et les libertés publiques ».
Lire le décryptage
Intelligence artificielle : une machine est-elle capable de philosopher ?
« Frustration et désillusion »
D’où
vient ce site ? S’agit-il d’une campagne de communication d’IBM ?
L’entreprise a répondu au Monde qu’elle
n’avait rien à voir avec ce projet, et refuse de le commenter. Peut-être
vient-il alors de l’Electronic Frontier Foundation, une importante association
de défense des libertés numériques, à laquelle le site propose de faire des
dons ? Non plus.
Cette
initiative vient en réalité de l’artiste et
designer Aaron Siegel, professeur de design à l’université de Californie du
Sud, qui se présente comme le « directeur
de campagne » de Watson 2016. Comme il l’explique au Monde, ce projet est issu « de la frustration et de la désillusion vis-à-vis du
processus de l’élection présidentielle américaine ». Il fustige la
façon dont les candidats s’en tiennent à la vision de leur parti « au lieu d’aborder les problèmes de façon objective »,
le coût démesuré des campagnes qui, selon lui, oblige les candidats à se
soumettre aux puissances de l’argent, et évoque un « besoin de transparence en politique ».
« Je me suis demandé quelle personne pouvait être
le politicien le plus objectif, efficace et non partisan, et je me suis rendu
compte que cette personne était un ordinateur. » Dans son rôle de
directeur de campagne, il assure que Watson représente une solution
viable :
« Nous
pensons qu’une intelligence artificielle telle que Watson peut apporter les
capacités de prise de décision objectives dont nous avons besoin chez un
dirigeant, ainsi que la transparence nécessaire pour analyser comment ces
décisions ont été prises et pourquoi. Le système n’est lié à aucun parti, ses
décisions sont donc fondées uniquement sur l’information dont il dispose, et
non sur des idéologies. »
« Réponses immédiates à une large
gamme de sujets »
Est-il
vraiment sérieux ? « Au vu des
problèmes listés sur le site de la campagne, je suis assez sérieux »,
assure-t-il, tout en précisant que « le
but de cette campagne est de présenter une alternative à la façon dont le
gouvernement fonctionne, pour faire en sorte que les gens réagissent à cette
idée. »
Voilà
donc l’objectif réel de Watson 2016 : interroger le système politique
actuel, mais aussi la place de l’intelligence artificielle dans notre monde.
« J’espère que cela poussera les gens à
discuter du potentiel de l’intelligence artificielle dans la politique. »
Aujourd’hui,
le programme d’IBM est déjà utilisé à des fins médicales, puisque, en analysant
les données d’un patient, elle est capable d’aider les médecins à établir un
diagnostic. Sur le site d’IBM, l’entreprise vante aussi l’utilité de Watson
dans le secteur public :
« Il
est parfois difficile pour les organismes du secteur public de répondre aux
questions qui leur sont posées, et ce, du fait de la difficulté à s’y retrouver
dans l’immense masse de données qu’ils possèdent. Les capacités analytiques de
Watson peuvent permettre d’apporter une réponse immédiate à des questions
touchant une large gamme de sujets : “Quelles
sont les règles de plan d’occupation des sols pour construire un porche ?”
; “Cette taxe s’applique-t-elle à moi ?” ; “Quelle est la meilleure façon d’obtenir un visa ?” »
« Rendre Watson open
source »
On
est encore loin de la capacité de prise de décision politique fantasmée par
Aaron Siegel, malgré les prouesses dont est déjà capable son candidat. Watson
avait notamment occupé le devant de la scène en 2011 en battant ses
adversaires humains au jeu télévisé américain « Jeopardy! ». Dans ce
classique de la télévision américaine, le présentateur lit une réponse et les
participants doivent deviner la question qui s’y rapporte. Après deux jours de
compétition, Watson avait écrasé ses concurrents — une étape symbolique dans
l’histoire de l’intelligence artificielle. « Si
vous voulez devenir président, il vaut mieux être déjà un peu connu »,
plaisante Aaron Siegel quand on lui demande pourquoi il a choisi ce programme
plutôt qu’un autre.
Quand
bien même Watson serait un jour capable de prendre des décisions politiques,
s’agirait-il réellement de décisions objectives ? La façon dont est codé
un programme serait-elle vraiment exempte de tout biais politique ?
Lire l'entretien
Rendre l’intelligence artificielle accessible à tous, « une façon de se
blanchir » pour les entreprises
« C’est exactement le type de questions que j’espérais
que cela soulève, répond Aaron Siegel. Un
des principaux problèmes que les gens ont soulevés concernant Watson est qu’il
est développé par IBM. Ne pas savoir exactement comment il fonctionne les met
mal à l’aise. Cela pourrait être réglé en rendant Watson open
source », c’est-à-dire en rendant son code source accessible à tous, et
donc transparent.
Source lemonde.fr
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