La France a-t-elle besoin de plus d’autorité ?
L’autorité est le concept politique
à la mode dans tous les partis. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
Explications pour mieux comprendre.
Dans un
contexte de craintes avivées par le terrorisme et l’accélération des
migrations, la nécessité supposée d’un retour de l’autorité est devenue un
thème central du discours politique en France. Sa progression est plus marquée
chez les Républicains sont en première ligne, tandis que le Parti Socialiste
suit le mouvement. Pour le Front National, l’analyse est différente car le
parti d’extrême-droite a toujours placé cette notion au cœur de son programme
politique. Si le goût pour l’autorité ne peut de ce fait guère progresser au
sein du parti, la progression du FN dans les sondages confirme malgré tout la
progression politique du thème. Seule la gauche non gouvernementale qui reste
favorable au parlementarisme et à une VIème république semble a priori moins
concernée.
Mais un
tel retour de l’autorité est-il désirable ? Que pourrait-il apporter
actuellement à la France ? Quels risques peut-il présenter ? Pour tenter
d’y voir clair précisons les différentes significations du principe d’autorité
et les implications politiques de chacune.
C’est quoi l’autorité ?
L’autorité
a un sens un peu différent de celui du pouvoir qui suppose toujours la
possibilité de contraindre. Lorsqu’elle n’est pas associée à cette faculté,
l’autorité est symbolique ou morale. Cependant le renouveau actuel de
l’attrait pour l’autorité ne peut être dissocié de l’exercice du pouvoir et
c’est dans ce cadre que nous le présenterons pour la suite. L’autorité ainsi
conçue peut alors être exercée au profit de celui qui la détient, au profit de
celui qui la subit ou encore au profit des deux.
La domination du maître sur l’esclave est l’archétype d’une autorité exercée au profit de
celui qui la détient. Non seulement le sort de l’esclave est dépourvu
d’importance par lui-même mais son rôle dans la satisfaction du maître ne
confère aucune dignité particulière à son travail. L’esclave est purement et
simplement un moyen qui ne vaut que pour le résultat auquel il contribue et
auquel tout autre moyen plus approprié pourrait au besoin se substituer. Cette
importance du résultat en vu duquel l’autorité est conférée est telle que le sens
moral de l’autorité semble ici faire défaut.
Une autorité parfois bénéfique
À
l’opposé, lorsque l’autorité est exercée au profit de celui qui y est soumis
elle doit lui permettre de mener la vie la meilleure possible quel que soit le
sens donné à cette expression. L’autorité des parents sur leurs enfants est
l’illustration par excellence d’une telle conception de l’autorité qui est
alors une fonction ou une charge.
Enfin,
le cas où le service d’un homme supérieur est censé donner son sens à
l’existence d’un inférieur constitue une conception de l’autorité située entre
les deux précédentes et où la faculté de commander est censée être aussi
profitable à celui qui y est soumis qu’à celui qui l’exerce.
Dans le
cadre d’une démocratie comme la France, au moins dans les discours, il est
principalement question d’une autorité exercée en faveur de ceux qui sont
soumis à l’autorité politique : les citoyens. Ce type d’autorité peut
lui-même se diviser en deux branches : l’autorité fonctionnelle et
l’autorité naturelle (que la distinction entre les différentes types de
légitimité au sens de Max Weber ne recouvre pas exactement).
Autorité fonctionnelle
L’autorité rationnelle ou fonctionnelle part du besoin
réel ou supposé qu’une communauté d’hommes donnée a d’une autorité en son sein
indépendamment des qualités comparatives de celui qui exerce l’autorité et de
ceux qui devraient lui obéir. Si les aptitudes particulières de son détenteur
ne peuvent bien entendu faire de mal, elles ne sont pas ce qui justifie en
premier lieu le principe de l’autorité fonctionnelle. Cette conception peut
être associée à la formule de Napoléon : « un mauvais général
vaut mieux que deux bons »
Les
sociétés libérales et démocratiques, parce qu’elles ont la liberté pour
principe, sont logiquement plutôt rétives à reconnaître une autorité qui
correspond à la faculté de commander. Elles ont néanmoins accepté l’idée que
protéger cette liberté nécessitait la reconnaissance d’un minimum d’autorité.
Elles ont pensé qu’il existait des cas où l’action de chacun en faveur de son
intérêt personnel ne permettait pas de le préserver au mieux. Dans le cas d’une
invasion étrangère l’intérêt personnel commande par exemple de fuir alors que
l’obligation civique de participer à la défense commune permettra de préserver
au mieux la vie et la propriété de chacun. Dans cette conception l’intérêt
général est distinct de l’intérêt personnel mais continue d’en dériver.
L’autorité n’est pas fondée sur le fait que chacun méconnaîtrait son intérêt
mais sur la difficulté qui consisterait dans certains cas spécifiques à le
faire exister au niveau de la société. Elle doit garantir la liberté de chacun
et c’est ce qui permet d’en tracer les limites : Selon l’article 2 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Le but de
toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la
sûreté, et la résistance à l’oppression.».
La
liberté étant par ailleurs ce qui fonde le besoin, réel ou imaginaire, de cette
autorité, il a été aussi admis qu’elle devait être limitée et partagée. Le
principe de séparation des pouvoirs est conçu pour limiter l’arbitraire et
inciter chaque organe à remplir la tâche qui lui est assignée au service des
citoyens et non à utiliser ses fonctions pour accroitre ses pouvoirs.
L’exercice
de l’autorité est basé sur un processus de désignation formalisé qui permet
d’éviter les conflits. L’acceptation sociale de l’autorité est basée sur
l’acceptation de ces principes et non sur le charisme ou les qualités de celui
qui l’exerce. Au contraire, l’adhésion charismatique risquerait de remettre en
cause l’équilibre des pouvoirs et produire des abus. Le charisme est-il pour
autant toujours un danger dans cette perspective républicaine dans laquelle
l’État est traditionnellement conçu comme protecteur de la liberté ?
L’expérience actuelle d’un président faible semble suggérer le contraire.
Utilisée à bon escient, l’autorité naturelle peut faciliter les réformes
permettant une réduction et un fonctionnement plus efficient de l’État comme
sut le montrer Margaret Thatcher au Royaume-Uni.
Les
défenseurs contemporains de l’autorité ont toutefois souvent d’autres visées en
tête : ils sont plus sensibles à une autorité conçue comme naturelle.
Autorité naturelle
Caractéristiques essentielles de l’autorité naturelle
Le
modèle de l’autorité naturelle est celle des parents sur leurs enfants.
L’autorité
naturelle a pour fonction de renforcer la vertu de ceux qui la subissent. Elle
implique d’orienter leurs choix de vie en dehors même des conséquences que ces
choix pourraient avoir pour des tiers. Les parents se voient confier la garde
de leurs enfants afin de leur enseigner les meilleures habitudes pour mener
leur vie d’adulte. L’autorité fonctionnelle ne partait pas de l’idée que chacun
ferait de mauvais choix de vie pour lui-même mais que, dans certains cas,
lorsque chacun court indépendamment à son but, celui-ci aura moins de chance
d’être atteint qu’en instituant une contrainte collective. L’autorité naturelle
qui implique de mieux connaître l’intérêt d’un tiers que lui-même rend ainsi
nécessaire une forme de supériorité de celui qui exerce l’autorité sur celui
qui y est soumis. Toute inversion de l’autorité serait dès lors inconcevable et
de l’aveu même des défenseurs de l’autorité naturelle un régime d’égalité et
d’autonomie serait préférable à une inversion de l’autorité dans laquelle
l’inférieur dirigerait le supérieur.
Arguments relatifs à l’autorité naturelle
Dans le
cadre d’un État, l’autorité sert alors de guide pour mener les individus vers
la meilleure vie possible. Les partisans de l’autorité ne perçoivent pas
l’opposition entre disparition de la liberté et vertu. Après tout, limiter la
liberté religieuse n’a jamais empêché la ferveur, bien au contraire ! Au
contraire, la liberté est considérée avec suspicion puisque consistant dans le
pouvoir de faire le bien comme de faire le mal, elle serait liée à une
conception relativiste de la morale. Laissant penser que la valeur d’un mode de
vie se trouve exclusivement en nous-mêmes et ne provient pas d’un principe
supérieur, elle ruine l’idée que nous pourrions avoir des devoirs vis-à-vis de
nous-mêmes. Prétendre protéger la sphère de l’individu face à l’immixtion du
pouvoir n’est-ce pas adopter une conception relativiste de la morale et
accepter que chacun fasse ce qui lui plaît ? À l’inverse, l’acceptation de
principes absolus en morale ne devrait-elle pas être liée à un pouvoir lui-même
absolu ?
Pourtant
le pouvoir absolu est traditionnellement celui qui ne reconnait plus de normes,
celui où, au nom de la nécessité, le prince est délié des lois. Par un curieux
retournement, certains adeptes de l’autorité naturelle rejettent toute morale
dans le domaine politique. Si nous retenons comme définition de la morale celle
selon laquelle elle consiste à mener la meilleure vie indépendante possible et
à ne pas nuire à autrui tout en participant au bien commun, nous observons que
les partisans de l’autorité exceptent l’État des principes de justice afin de
conduire strictement la vie de chacun selon les règles de la vertu tandis que
les partisans de la liberté semblent avoir une conception relativiste des
normes de la vie individuelle mais entendent strictement les principes de
justice et n’en exceptent pas le pouvoir. De même, pour les deux groupes, le
bien commun de la société n’a pas les mêmes implications. Alors qu’il consiste
exclusivement pour les partisans de la liberté à faire de l’État le protecteur
des objectifs privés des individus, il détermine aux yeux des défenseurs de
l’autorité des obligations bien plus étendues.
Cela
s’explique si l’autorité du souverain et l’obéissance qui en découle n’est plus
vue comme un moyen au service d’une fin morale mais assimilée à la vertu morale
elle-même. L’autorité naturelle rejoint alors la conception mixte de l’autorité
présentée en introduction. De même, la fusion de l’individu dans le groupe (la
nation, la classe sociale ou une communauté religieuse), liée au rejet violent
de ce qui est extérieur au groupe en question, peut être vue comme le principe
moral par excellence, bien au-delà de l’obligation de participer au bien commun
de la société dans laquelle on vit. Historiquement, ces deux phénomènes (culte
du chef et culte xénophobe du groupe), sont d’ailleurs liés.
Au cours
de cette analyse de l’autorité naturelle, nous avons quitté le terrain de la
logique des arguments pour celui de la psychologie, nous avons vu des
conceptions simplement autoritaires se muer en tendances totalitaires. Il est
juste de reconnaître qu’une telle évolution n’a rien d’inéluctable mais il est
tout aussi juste de mettre en garde contre elle.
Source
contrepoints.org
Photo By:
Ben Mortimer – CC BY 2.0
Par
Hadrien Gournay.
Hadrien
Gournay est analyste pour Contrepoints.
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