Trois scénarios pour une dette publique insoutenable
L’État français doit beaucoup
d’argent et en a peu pour rembourser. Le jour où la BCE durcira sa politique
monétaire, la France risque d’être très vite en difficulté. Sauf si la Banque
Centrale renonce pour toujours à relever ses taux.
La montagne est
toujours là. À vrai dire, elle est encore plus haute qu’avant. Et comme elle
est friable, composée non de roches et de terre mais de confiance, elle risque
de provoquer des éboulis mortels. Surtout que le grillage posé il y a cinq ans
pour la retenir risque d’être bientôt retiré.
Cette montagne, c’est
notre bonne vieille dette publique, qui approche inexorablement des 100 %
du PIB (96,2 % prévus à la fin de l’année par la loi de finances,
97 % selon les dernières prévisions de la Commission européenne). À vrai
dire, on l’avait un peu oubliée ces dernières années. Notre cher président, qui
s’est plaint d’avoir « manqué de bol » sur la courbe du chômage, ne
saurait en dire autant sur les finances publiques. François Hollande a
bénéficié d’une chance inespérée, venue du malheur des autres. A peine était-il
arrivé à l’Elysée en mai 2012 que les taux d’intérêt se sont en effet envolés…
Non pas sur la dette française, mais sur la dette italienne et espagnole (taux
proche de 7 % en Italie, au-delà en Espagne). À tel point que la zone euro
menaçait d’éclater. Fin juillet, le président de la Banque centrale européenne,
Mario Draghi, a calmé le jeu en déclarant que la BCE fera « ce qu’il
faudra » pour préserver la monnaie unique. Alléluia ! En déversant
des centaines de milliards sur les marchés pour acheter des obligations d’Etat,
la BCE a fait baisser les taux d’intérêt qui sont même parfois devenus
négatifs, anesthésiant les tensions sur la dette publique pour des années. Ce
qui fait dire en toute candeur au candidat socialiste à l’élection
présidentielle, Benoît Hamon, que « nous pouvons parfaitement vivre avec
une dette à hauteur de 100 % du PIB. »
Sauf que ce temps béni
pourrait bientôt s’achever. Aussi sûr que 2 et 2 font 4 ? Dans la zone
euro, la croissance annuelle approche enfin les 2 %. Et en février,
l’inflation a cogné la barre des 2 %, alors que l’objectif premier de la
BCE est de maintenir la hausse annuelle des prix « en dessous de, mais
proche de 2 % ». Il y a, bien sûr, plein d’arguments pour relativiser
ces chiffres - l’activité manque de ressorts puissants, l’accélération des prix
vient d’abord du renchérissement du pétrole, qui va bientôt « sortir de
l’indice », etc. Mais la pression va s’accroître sur les banquiers
centraux pour qu’ils précisent l’horizon du resserrement monétaire (quand
vont-ils diminuer leurs achats de titres, quand vont-ils relever leurs taux
d’intérêt ?). Pour au moins trois raisons : d’abord, banquiers et les
assureurs gagnent moins d’argent quand les taux sont très bas ; ensuite,
les épargnants veulent que leurs économies rapportent davantage ; enfin,
les Allemands dont l’économie est au plein-emploi, aspirent à une politique
monétaire moins accommodante pour limiter les risques d’emballement des prix ou
de la spéculation.
Et si la Banque
centrale européenne diminue ses achats de titres, retirant ainsi ce maillage
qui empêche la montagne de laisser tomber des cailloux, si les taux d’intérêt
remontent vraiment… alors la question de la dette va redevenir très vite
centrale (comme elle n’a jamais cessé de l’être en Grèce). Signes de ce vent
qui tourne : le FMI vient de publier un texte de doctrine sur la dette
souveraine. Et les investisseurs demandent aux équipes de recherche des
banques… des études sur la soutenabilité de la dette publique dans les
différents pays de la zone euro. Or la France a ici un vrai souci. La
Commission européenne l’a rappelé fin février au détour d’une phrase dans son
très technique « paquet d’hiver du semestre européen » : « Les
risques en termes de soutenabilité à moyen terme sont élevés. » L’agence
de notation Moody’s estimait début mars que « La France a un poids de la
dette très élevé », rappelant qu’elle affiche « depuis plusieurs
dizaines d’années de mauvais antécédents en termes de réduction de la
dette. » A l’exception du coup d’accordéon sur la trésorerie de l’Etat en
2006, sa dette publique n’a cessé de grimper depuis un demi-siècle - lentement,
en temps ordinaire, et par sauts de cabri en temps de récession (+20 points de
PIB entre 1992 et 1997, +30 points entre 2008 et 2014).
Face au risque d’une
dette devenant insoutenable, on peut esquisser trois scénarios. Le premier
serait une France qui change. En ces temps de campagne électorale, il n’est pas
interdit de rêver à un nouveau président qui réussirait le tour de force de maîtriser
les finances publiques tout en débridant la croissance, ce qui engendrerait des
ressources nouvelles destinées en partie au service de la dette. Le deuxième
serait une France qui bloque, par refus ou incapacité d’honorer sa dette.
Benoît Hamon semble avoir songé à un gel (« Dire que l’on va s’en sortir
sans moratoire (…), cela ne tient pas la route ») avant de l’écarter. La
candidate du Front national, Marine Le Pen, assume ce choix en voulant
rembourser des euros en francs imprimés par la Banque de France. Il est
difficile alors de ne pas envisager un bain de sang financier.
Le troisième scénario,
le plus probable, serait une France qui continuerait comme avant, mais en moins
bien. Elle devrait verser des taux d’intérêt plus élevés à ses prêteurs, qui ne
savent pas vraiment où placer leur argent. Cette charge croissante de la dette,
payée aux deux tiers à des créanciers étrangers, aurait l’effet d’une saignée
continue sur l’économie nationale : elle l’affaiblirait. À moins que… la
BCE découvre tout bonnement qu’elle ne peut pas arrêter ses achats
d’obligations sans déclencher une crise financière majeure. Elle continuerait
alors indéfiniment d’acheter des titres publics, comme le fait désormais la
Banque du Japon. Naguère, l’impression de billets pour financer les déficits
publics menait immanquablement à la banqueroute et à la fuite devant la
monnaie. Le vrai défi aujourd’hui est d’imaginer la version XXIe siècle de la
crise des assignats, qui avait plombé la Révolution française.
Source institutmolinari.org
Par Jean-Marc Vittori
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