L’horreur étatique
Écrit par un auteur déçu de la gauche (mais
critique aussi à l’égard de la droite), qui s’est aperçu progressivement et
sans a priori de départ, après une lente maturation, que la crise avait
peut-être une même et unique cause : l’État, cet ouvrage est celui d’une
prise de conscience… peut-être celle qui s’assimile à ce que ressentent de plus
en plus de Français.
Alain Le Bihan est un
diplômé du supérieur en Sciences économiques ayant occupé diverses fonctions en
entreprise et ailleurs, tout en ayant eu une activité militante jusqu’à la fin
des années 1980.
Intrigué par cet usage
perpétuel du mot crise depuis une quarantaine d’années, il a tenté d’en établir
un diagnostic. Petit à petit a germé en lui l’idée que l’État était non pas le
rempart contre cette crise, mais à l’inverse probablement bien plutôt l’une de
ses causes essentielles.
Un État devenu pléthorique et hors de tout contrôle
Au-delà des chiffres
nombreux et impressionnants sur l’importance de la place de l’État en France et
le nombre de personnes qui travaillent directement ou indirectement pour lui ou
en vivent, Alain Le Bihan s’intéresse à la véritable nébuleuse qui l’enveloppe.
Un État pléthorique
que plus personne ne contrôle, d’autant que les politiques considèrent comme
trop risquée la mise en œuvre de solutions véritables aux excès et démesures
constatés, « le poids électoral que représentent les personnes dépendant
de la puissance publique (étant) tel que tout faux pas serait fatal ». Or,
la concurrence entre puissances économiques est telle, au niveau international,
et les crises récentes si fortes, que les réformes fondamentales s’imposent
d’évidence. Et la question de la définition de l’État, de ses rôles, ses
missions, son organisation, sa place dans une perspective démocratique, se
posent avec acuité. C’est ce que l’auteur choisit d’étudier, après avoir dans
un premier temps analysé l’ensemble des problèmes qui se posent à lui
actuellement.
Dans une première
partie, l’auteur pose la question « Qu’est-ce que l’État ? » et tente
d’y répondre en passant en revue différentes conceptions de l’État existant, au
travers des réflexions historiques et philosophiques, même si de manière un peu
rapide (mais il y revient en fin d’ouvrage, à travers de longues annexes
retraçant la genèse de l’État).
Puis, il cherche à
établir un diagnostic sur la crise de l’État et ses multiples causes, dans une
perspective plus souverainiste que libérale, à partir de constats souvent
intéressants mais qui auraient sans doute gagné à être un peu plus structurés,
au départ, l’approche étant par moments un peu trop impulsive et foisonnante.
Un point de vue qu’il défend toutefois avec vigueur, avant de justement
présenter, cette fois de manière plus précise et chiffrée, les manifestations
essentielles de la crise, rappelant au passage que, même s’il ne se dit pas
défavorable apriori à la dépense publique, qu’il juge dans une certaine mesure
« bénéfique », le niveau de dépenses publiques est aujourd’hui tel en
France (au-delà de 50% du PIB) que nous sommes, par nature et sans que chacun
en ait bien conscience, dans un système socialiste, l’un des derniers de la
planète.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Dans une deuxième
partie, les facteurs essentiels de la crise sont recherchés. « Comment en
sommes-nous arrivés là ? » se demande l’auteur.
Plusieurs explications
sont avancées : les prélèvements croissants sur la richesse, les effectifs
croissants de la fonction publique, les déficits en hausse, de même que la
dette, le tout sans que l’efficacité soit au rendez-vous, le chômage atteignant
durablement des niveaux élevés, les entreprises en difficulté étant toujours
plus nombreuses, l’Éducation Nationale se délitant, de même que la Justice, la
sécurité ou la protection sociale.
Alain Le Bihan montre
ainsi que « les fonctionnaires, occupant
la majorité des postes dans l’exécutif et les assemblées élues, sont également
désignés par le corps électoral pour assurer le contrôle de la structure
permanente de l’État, dont ils sont eux-mêmes issus. Ils sont donc juge et
parti (…) au point de constituer de fait un lobby puissant pouvant empêcher
toute réforme de l’État n’allant pas dans le sens de leurs intérêts ».
Sans oublier les syndicats, qui ont moins d’adhérents que jamais, mais « n’en ont plus besoin » au vu des
financements publics dont ils bénéficient.
Les fondements de la
crise de l’État, selon Alain Le Bihan, viennent donc de ce que « la pratique politique française s’appuie sur
la certitude que tous les problèmes du pays, à commencer par les problèmes
économiques, seront résolus pas l’action de l’État et que les fonctionnaires
sont les mieux placés pour mener le combat ». Jusqu’à ce que le
système tombe en faillite. « L’intervention
permanente de l’État dans l’économie a faussé le jeu économique, tout est
perturbé, les prix des biens et services, les salaires, les taux d’intérêt, la
dimension des entreprises ».
Que faire ?
Dans une troisième
partie, qui occupe plus de la moitié de l’ouvrage, l’auteur s’attache ensuite à
établir des propositions en vue de réformer l’État, sauf à en arriver à une
révolution… S’appuyant sur le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité »
qui est au fondement de notre République, il étudie chacun d’eux pour montrer
en quoi il y a eu dérive et ce qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre afin
de tenter de corriger ces orientations. « En
réalité, en étendant à l’infini son champ d’intervention, l’État a vidé de son
contenu les conditions dans lesquelles les membres de la société vivent
ensemble. Ce fil qui nous relie les uns aux autres (…) n’est qu’une suite de
contraintes, de taxes, de normes, d’obligations de toute nature, inventées au
fur et à mesure des nécessités technocratiques, de prélèvements de toute sorte
et accessoirement de temps en temps d’aides diverses pour justifier
l’ensemble », écrit-il.
Il commence ainsi par
aborder le problème de la confusion entre égalité et égalitarisme. La première
vise à s’opposer aux privilèges, comme le voulait la révolution française. Mais
finalement, les privilèges accordés, par le biais de la mainmise de l’État sur
la société, aboutit à la négation de ce principe. De nombreux salariés du
privé se sont appauvris ou se trouvent en situation de précarité, insiste
l’auteur, quand dans le même temps des salariés du public, exerçant des
activités comparables, à qualification égale, bénéficient de multiples
avantages (salaires, retraites, couverture sociale, conditions de travail, taux
d’imposition…). Sans aller jusqu’à proposer des mesures telles que la flat tax,
par exemple, l’auteur n’en réclame pas moins une remise en cause de la
progressivité, ainsi que la suppression de tous les textes favorisant les
groupes de toutes sorte, entre autres, s’accompagnant d’une importante
diminution du train de vie de l’État et des « dépense publiques
indues ».
Quant à la fraternité,
elle doit se limiter aux « services mis en
œuvre pour atténuer les réelles difficultés de nos concitoyens (difficultés
passagères, handicap, vieillesse) », et non à toutes les formes
d’aides multiples (aides au logement, etc.) ou de discrimination positive qui
ressemblent à de « vraies usines à
gaz » plus très bien contrôlées, devenues une véritable « attraction des populations mondiales
déshéritées » et n’ayant, en outre, pour effet que de fausser les
prix du marché.
Pour ce qui concerne
la liberté, il juge qu’elle « a reculé et
recule dans des proportions inquiétantes », sous l’effet de la « dictature administrative »
présentée auparavant et de la dictature de la majorité, qui s’impose à la
minorité.
Il propose donc
« une rupture dans l’État », qui passe par une refondation du pouvoir
judiciaire, avec en particulier davantage de tribunaux et une élection de leurs
représentants, un État resserré et recentré sur les fonctions régaliennes,
qu’il précise (et sont un peu plus larges que celles auxquelles on pense
habituellement), avec un gouvernement considérablement plus resserré, les
autres fonctions assurées aujourd’hui étant sous-traitées, l’interdiction des
déficits, une redéfinition du rôle des CCI, etc.
Le service public ne
disparaitrait pas complètement, l’auteur faisant des propositions de réformes
certes pas purement libérales mais très ambitieuses. Il serait cependant géré
de manière radicalement différente, selon des principes généraux que l’auteur
expose dans le détail (Éducation Nationale, Universités, Recherche, etc.).
Quant à la
décentralisation, elle serait réorganisée à partir des communes, véritables
artisans de la refondation de l’État, plutôt que des régions ou départements,
qui disparaitraient, tandis que le contrôle de l’exécutif au niveau national
serait mieux assuré, grâce à une redéfinition du rôle du Parlement et
l’abolition de tas d’organismes, commissions, comités, autorités ou
observatoires de toutes sortes (à commencer par le Conseil économique, social
et environnemental), dont l’utilité réelle est douteuse (et le coût bien réel).
En définitive,
l’auteur en appelle à une redéfinition complète du rôle de l’État, pour mettre
fin à une véritable crise de régime, où l’État prétend tout faire, jusqu’à
vouloir régenter, qui sait, notre bonheur, au risque de se transformer en
dictature (administrative). Au lieu de cela, Alain Le Bihan en appelle à faire
confiance à l’individu, généralement mieux à même de savoir ce qui est bon pour
lui et résoudre les problèmes qu’il rencontre.
Un ouvrage de réflexion pertinent et pleinement d’actualité
En conclusion, un
ouvrage pas inintéressant, qui part d’un diagnostic pour tenter de proposer des
solutions. Une approche toutefois parfois un peu dispersée (avec une quantité
de fautes d’orthographe et de fautes grammaticales qui m’a surpris et un peu gêné
tant elles étaient nombreuses), mais sincère, qui a le mérite d’alerter sur
l’ampleur du problème lié à la forte prééminence de l’État en France et
apporter des pistes de réflexion pour tenter de réagir, même si pas toujours
d’essence purement libérales mais se voulant plus pragmatiques et dont on peut
dire qu’elles sont ambitieuses.
En échos, sans doute
sous forme de clin d’œil, à un livre à sensation dont le titre était
« l’horreur économique » (Viviane Forrester), qui entendait prendre « l’exact contre-pied de l’idéologie libérale
qui prétend subordonner toute décision politique aux seuls impératifs de
l’économie », un ouvrage qui établit une bonne synthèse de tous les
problèmes qui apparaissent aujourd’hui au grand jour après tant d’années de
léthargie. Un reflet de notre temps.
Écrit alors que
François Hollande venait fraîchement de prendre ses fonctions, il n’en trouve,
au bout de près de deux années de pouvoir de celui-ci, que d’autant plus de
pertinence et de raison d’être, face à une situation qui ne s’est pas vraiment
améliorée, c’est le moins qu’on puisse dire…
Alain Le Bihan, L’horreur étatique, éditions Tatamis,
septembre 2012, 256 pages.
Source contrepoings.org
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