Les Yézidis
Qui sont les Yézidis, aujourd'hui chassés par
les islamistes de l'Etat islamique ? Ce peuple, dont les représentants ont la
réputation d'être des "adorateurs du Diable" en raison d'une religion
différente de l'Islam classique, a beaucoup souffert dans l'Histoire.
Une image
du 19e siècle représentant la porte d'entrée du temple Yazidi du Cheikh Adi -
DR
Le monde
entier s'émeut, à juste titre, de la catastrophe qui s'abat sur les Yézidis de
la région de Sinjar au nord-ouest de Mossoul, menacés d'être exterminés par les
jihadistes de l'État islamique (EI) s'ils ne se convertissent pas à l'islam.
Des dizaines de milliers de villageois ont quitté précipitamment leurs maisons
pour trouver refuge dans les montagnes – qui culminent à 1 356 mètres –
sans abris, sans eau ni nourriture.
Cette
population paisible d'origine kurde traverse sans doute l'une des pires
épreuves de son histoire, qui n'en a pas manqué. L'accusation est depuis
longtemps (XVIIe siècle) la même : les Yézidis seraient des
"adorateurs du diable", réputation complètement infondée qui provient
sans doute d'une croyance de la secte en un ange déchu, qu'elle appelle
"Malak Tawous", l'Ange-Paon, dont l'histoire ressemble étrangement à
celle d'"Iblis", le diable, l'ange déchu du Coran.
Dans la
tradition zoroastrienne, dont la religion syncrétique des yézidis a préservé
quelques éléments, l'Ange-Paon, à cause de son orgueil, perd certes la faveur
de Dieu, mais, pris de remords, se réconcilie avec lui. L'Ange-Paon n'est donc
pas devenu, comme dans l'islam, la personnification du diable, Iblis, mais un
ange qui est resté une émanation bienveillante de la divinité. Pour les
Yézidis, le mal comme le bien résident plutôt dans l'être humain, qui lui
choisit sa voie.
- Une religion sans statut
Le
problème du peuple Yézidi est que sa religion a longtemps été basée sur des
traditions orales. Il n'a eu que tardivement – fin XIXe siècle – des livres
sacrés où ses croyances furent consignées. Il a de ce fait été exclu de la
catégorie requise par les législations islamiques successives, celle des gens
du Livre, qui a été accordée aux juifs et aux chrétiens auxquels elle a conféré
un statut légal.
Bien que
croyant en un Dieu unique, mais n'étant ni musulmans ni gens du Livre, les
Yézidis se sont heurtés aux demandes de clarification des gouvernements de
l'Empire ottoman dans le cadre de l'administration de leurs provinces, et ce
n'est qu'en 1849 que leur communauté a été reconnue par l'Empire. Cela n'a pas
empêché qu'ils soient menacés une fois de plus de conversion forcée en 1894, à
l'époque du Sultan Abdel-Hamid II (1876-1909).
Pour
échapper aux persécutions, il arrivait qu'un groupe de Yézidis demande aux
patriarches syriaques-orthodoxes résidant au monastère de Deir al-Zaafaran à
Mardine – au nord du Sinjar – de les déclarer chrétiens, ce que les patriarches
faisaient volontiers. Ils savaient néanmoins que ces "adorateurs du
soleil", car les Yézidis prient le matin en direction du soleil, ne
feraient que nominalement partie de leur communauté.
- Liberté de culte
L'un des
principaux centres de pèlerinage des Yézidis est la tombe de cheikh Aadi ibn
Musafir, mort en 1162, à Lalish dans le Jabal Sinjar. Cheikh Aadi, originaire
de la Békaa libanaise, a fondé au XIIe siècle la confrérie soufie sunnite des
Aadawiyyah. Il a été en même temps considéré par les Yézidis, qui croient en la
métempsycose, comme une réincarnation de Malak Tawus, l'Ange-Paon. Le
pèlerinage à Lalish durant le mois d'avril donne lieu à un festival où les
fidèles chantent des hymnes transmis oralement depuis des générations, et
dansent.
Le sort
des Yézidis du Sinjar a longtemps été lié à celui des chrétiens du nord de
l'Irak, ou de la région de mardine au sud-est de la Turquie. Durant la Première
Guerre mondiale ils ont accueilli au péril de leur vie dans leurs montagnes des
dizaines de milliers de refugiés chrétiens arméniens et syriaques qui fuyaient
les massacres et déportations ordonnés par le gouvernement turc.
Plus tard,
dans le cadre du nouvel État irakien, ils ont souffert comme les autres tribus
kurdes de la politique d'arabisation forcée menée par le régime de Saddam
Hussein. Après la chute du régime baassiste en 2003, tant le gouvernement
autonome du Kurdistan que la nouvelle Constitution irakienne leur ont accordé
la liberté de culte. Mais celle-ci est remise en question une fois de plus, en
même temps que celle des chrétiens de la région de Mossoul, eux aussi menacés
par l'EI.
Historienne et
chercheure à l'Universite Saint-Joseph, Ray Jabre Mouawad est membre fondatrice
de l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales
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