samedi 12 octobre 2019

Billets-Entretien avec Gérard Depardieu


Entretien avec Gérard Depardieu

“J’aime tellement la vie que je me suis toujours senti riche”
Il s'apprête à endosser le peignoir de DSK chez Ferrara. A 65 ans, le “paysan” du cinéma français dit sa vérité sur l'exil fiscal, Poutine, le métier de comédien, l'alcool, la mort…

L'ogre est là. Dans sa caverne gorgée d'œuvres d'art, de tableaux serrés contre les murs, de sculptures aussi, partout. Même sur l'immense table de marbre dans un coin de cette pièce qui fut salle de théâtre, rue du Cherche-Midi. Longue chemise blanche et teint frais, l'acteur monstre du cinéma français qui défraya fort la chronique ces temps passés – exil fiscal et amitiés poutiniennes – semble enfin tranquille.
Même si la sortie le 17 mai en VOD (vidéo à la demande) sur Internet – et peut-être en projection spéciale au festival de Cannes – de son dernier film, Welcome to New York, d'Abel Ferrara, promet encore des polémiques. Cette libre adaptation de l'affaire Strauss-Kahn (rebaptisé ici Devereaux) au Sofitel new-yorkais enrage en effet les authentiques protagonistes. Mais des Valseuses de Blier (1974) au Soleil de Satan de Pialat (1987), Gérard Depardieu, à Cannes, est habitué aux scandales.
Le génial interprète de Cyrano de Bergerac (1990) s'en fiche. Comme taillée par Rodin, sa puissante silhouette navigue au milieu des objets qu'il affectionne, caresse parfois. Avant de se raconter de sa voix douce aux accents si étrangement féminins.

  • Pourquoi avoir accepté le rôle de DSK alors que vous avez souvent répété que vous ne l'aimiez pas ?
Pas DSK : Devereaux ! Pour dire vrai, je ne me suis pas précipité dans Welcome to New York avec gourmandise. J'étais même un peu dégoûté. Mais ce n'est pas mon genre, non plus, de jouer les redresseurs de torts. D'autant que les hommes politiques sont rarement des modèles de vertu. Ils sont dans l'arrangement, la stratégie. Ils mentent constamment. Au point où en était Dominique Strauss-Kahn, à la veille sans doute d'être élu président, la lutte pour le pouvoir devient quelque chose d'inhumain. Exige de vous des comportements inhumains. Ses concurrents n'étaient peut-être pas plus vertueux que lui, et avaient quand même moins de charisme, non ?
Je fréquente beaucoup d'hommes de pouvoir. S'ils veulent rester des hommes sans se renier, c'est impossible. Ce dilemme est fascinant à observer. C'est surtout ce qu'il y a derrière cette affaire qui m'a en effet intéressé. La tragédie d'un homme au faîte de la puissance et piégé par ses pulsions, parce que ne les remettant jamais en question, trop sûr de lui. La tragédie intime d'un couple – elle sait et il sait qu'elle sait. La tragédie officielle de ce couple à la veille de prendre le pouvoir en France, quand tout s'écroule. Et comment nier que l'héroïne ait furieusement envie de devenir première dame, ce que Devereaux lui reproche, comme la manière dont sa belle-famille est devenue si riche. On entre dans Shakespeare…

  • Vous sentez-vous des points communs avec ce Devereaux plein d'excès et soudain lynché par les médias, comme vous avez pu l'être lors de votre exil fiscal en Belgique, en 2012 ?
Non. Je n'aime pas la violence. Ni le pouvoir à n'importe quel prix. Et je ne me sens pas suffisamment sûr de moi pour me penser au-dessus des lois. D'ailleurs, quand j'ai osé demander personnellement à François Mitterrand qu'après une condamnation à trois ans de prison pour usage et trafic de drogue la peine de mon fils Guillaume, alors âgé de 17 ans, soit allégée, vu ce que je savais de son état psychologique et des risques qu'il courait en prison, on ne m'a même pas répondu…
Quant à mon « lynchage médiatique », il n'a rien à voir avec celui de « Devereaux » ! Les médias lui en ont d'autant plus voulu qu'ils l'avaient placé très haut malgré ce qu'ils savaient sûrement de lui. Face à leur déception, ils ont manifesté un sursaut d'orgueil professionnel. En ce qui me concerne, je n'étais pas là quand la presse et certains petits chiens se sont déchaînés. Leur violence m'a surpris, mais j'ai été flatté du soutien des femmes que j'aime, comme Catherine Deneuve.
Si je n'étais pas plus tourmenté que ça, c'est que tout était faux. Je ne suis pas parti pour fuir mes responsabilités fiscales, mais parce qu'à 63 ans je n'étais plus sûr de pouvoir donner 87 % de mon salaire (et bientôt plus de 100 %) à l'Etat, avec les pensions familiales que j'avais à régler et les déductions dont je ne bénéficiais plus pour mes entreprises. Etre publiquement traité de « minable » par le Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, n'a rien arrangé.

  • Comment avez-vous travaillé le rôle de Devereaux ? En vous inspirant de Dominique Strauss-Kahn ?
Non. Je n'ai revisionné aucune des images qu'on a prises de lui, et je n'ai rien lu. Sauf le descriptif qu'a fait le FBI des événements. Le reste, de ses explications avec Claire Chazal à celles, récentes, d'Anne Sinclair avec Laurent Delahousse, m'a semblé truqué jusqu'à l'obscène. De toute façon, on est souvent meilleur dans les rôles qu'on n'aime pas. On n'y est pas piégé par l'affect.


Gérard Depardieu dans Welcome to New York, le dernier brûlot d'Abel Ferrara. - © Nicole Rivelli/2014 June Project

En plus, j'ai horreur des personnages de fiction qui s'expliquent. Je n'aime pas qu'ils révèlent trop d'intimité. Je voulais surtout montrer le drame d'être traqué, puis inculpé. Qui qu'on soit. Montrer combien la chair peut être triste, aussi. Je n'avais pas besoin d'en savoir trop. J'ai rarement besoin d'en savoir trop. Parce que je n'ai jamais étudié. J'ai quitté l'école à 13 ans. J'en ai été complexé jusqu'à 55.

  • Qu'est-ce qui s'est donc passé à 55 ans ?
Le travail du temps… Soudain j'ai été heureux de n'être jamais allé au lycée, de ne pas y avoir été formaté. J'ai eu le sentiment d'avoir vécu, moi, ce que les autres avaient appris. D'avoir respiré le Moyen Age avec Martin Guerre, le XVIIe siècle avec Cyrano, la Révolution avec Danton, le XIXe avec Balzac ou Rodin, et l'Occupation avec Le Dernier Métro Tout ce que je sais me vient des autres. De les avoir écoutés. En sachant me taire pour me faire accepter, en souriant et en acquiescant même si je ne comprenais rien.
Et puis je lis beaucoup désormais. Même si ça m'est encore difficile, parce que je lis comme un paysan qui n'a pas étudié à l'école. Mais les livres au moins restent en moi. Du coup, je sors moins, vois moins de gens, deviens sauvage. Comment aimer la vie, sans heurts, si on n'est pas sauvage ?

  • On a du mal à vous imaginer complexé…
Déjà, je ne me supporte pas physiquement, je déteste me regarder. Mais ce sont les autres surtout qui vous donnent des complexes. D'autant que j'ai toujours dû pratiquer les stratégies de survie. Petit, il m'a fallu empêcher ma mère de quitter la maison et le couple d'éclater. Nous étions pauvres. A 12 ans, en trafiquant avec les stocks de l'armée américaine basée à Châteauroux, je gagnais déjà plus d'argent que mes parents ; je les aidais.
Notre histoire familiale était compliquée. Et mes deux grand-mères berrichonnes étaient un peu sorcières, l'une rebouteuse, l'autre pansait les plaies. Elles m'ont sûrement passé quelque chose : quand je joue, j'ai l'impression d'entrer dans les répliques, même lorsque je ne les saisis pas. L'impression que le temps s'installe dans mon corps. Et que je n'ai plus peur de rien…
Chez moi, rien ne passe par l'intellect, tout par l'instinct. Lorsque j'ai débarqué à Paris à 17 ans, analphabète, bègue, hyper-émotif, n'ayant à ma disposition que quelques mots avec lesquels j'aboyais pour ne pas montrer ma peur – si on a peur, ça se sent, on est mort –, je ne pouvais d'ailleurs pas m'exprimer. Quand j'ai tourné un court métrage, Alcibiade et Socrate, Jacques Doniol-Valcroze a dû me doubler.
Mais le cours de théâtre Jean-Laurent Cochet m'a sauvé. D'abord en me révélant Musset, Marivaux, Corneille tout en m'enseignant qu'il fallait oser rester silencieux en pleine lumière. Ensuite, parce que Cochet m'a entraîné chez le docteur Alfred Tomatis, qui travaillait sur les liens entre langage et audition, et m'a décelé des troubles de l'oreille. J'entendais trop, et tout. Il m'a rééduqué en me faisant percevoir les sons, en m'aidant à sélectionner les aigus – à travers la musique de Mozart – puis les graves… Ça a canalisé aussi mon hyper-émotivité, développé une mémoire que je n'avais guère.


Photo : Patrick Swirc pour Télérama.

  • Pourquoi les comédiens boivent-ils tant ?
Parce qu'ils sont fragiles. Ça commence par un whisky à 5 heures pour se donner le courage de jouer le soir. C'est presque un médicament. Ça rallume la chaudière. Mais ça amène au mensonge. Peu à peu les alcooliques se cachent, ils ont honte. C'est pour ça que je ne suis pas un alcoolique, je ne me cache jamais. Si je bois – j'ai arrêté depuis cinq mois –, c'est par excès de vie. Je suis une nature, comme on dit, un peu con parfois…
Il m'est arrivé de tenir à peine debout pendant les représentations de La Bête dans la jungle avec Fanny Ardant ; même l'oreillette que je devais porter pour être capable de dire mon texte tombait par terre… Dans Le Tartuffe aussi, monté par Jacques Lassalle, avec François Périer. J'avais observé que François partait aux toilettes cinq minutes avant la représentation, je pensais qu'il picolait en douce. Un soir où j'avais soif, je pars avant lui et je découvre effectivement une bouteille au goût de Fernet-Branca, je l'avale et reviens comme si de rien n'était. Il sort à son tour des WC, excédé : « Qui m'a pris ma lotion pour les cheveux ? » Il la cachait pour faire le beau et je l'avais ingurgitée !
Un soir, j'étais si ivre que lors de la scène de séduction avec Elmire, c'est elle, Elisabeth Depardieu, qui a dû me souffler chaque mot de ma déclaration d'amour. Finalement, ça donnait une certaine perversité à la scène… Mais trop boire tue peu à peu le côté festif de la chose, ça isole, renferme sur soi, sur ses douleurs narcissiques. Et ça marque, ça fatigue. Pourtant Marguerite Duras m'a souvent avoué qu'elle regrettait de ne plus boire.

  • Elle a été importante pour vous ?
Elle fait partie de mes grandes amitiés amoureuses, avec Barbara et Fanny, et j'avoue préférer ces sentiments-là au sexe. J'aime surtout l'idée de tomber amoureux, d'aimer. Marguerite m'a appris le silence et l'art de la ponctuation. Chez elle, les ponctuations sont les paroles du silence. C'est grandiose.
Elle avait confié au metteur en scène de théâtre Claude Régy, avec qui j'avais joué Sauvés, d'Edward Bond, avoir besoin d'une « bête » pour son film Nathalie Granger. Il lui avait donné mon nom. Elle me fixe rendez-vous rue Saint-Benoît. Je sonne, le cheveu hirsute, revêtu d'une fourrure. Elle ouvre dans sa petite robe pied-de-poule, se met au fond de la pièce et me dit : « Avancez sur moi ! » Ce que je fais. De plus en plus près. « Stop ! arrêtez, c'est exactement ce que je voulais : vous me faites peur ! » Notre amitié à commencé comme ça.

  • Qu'attendez-vous d'un directeur d'acteurs ?
Pas grand-chose. Il y en a si peu aujourd'hui ! Ils savent rarement ce qu'ils veulent faire, or, moi, je comprends vite. Et ça doit aller vite. Alors je montre la route. J'ai aidé beaucoup de réalisateurs…

  • Qui ?
Pas Truffaut, qui savait au moins conduire son récit, et par sa gaieté mêlait admirablement sur ses tournages la mise en scène et la vie. Pas Pialat, qui avait l'art de réussir un film en mille plans admirables quand dans le moindre court métrage actuel, on nous en assène trois mille – inutiles –, à vous donner le vertige.
Dans La Règle du jeu, chef-d'œuvre de Renoir, il y en a à peine mille cinq cents ! Et quel artiste, qui, lui, affirmait : « Avec le cinéma en noir et blanc, au moins on ne pouvait pas imiter la nature. Avec la couleur, il va falloir inventer autre chose… »

  • Comment Abel Ferrara vous a-t-il dirigé dans Welcome to New York ?
Il est de la race des Fassbinder, des Ferreri. Il travaille dans l'urgence. Il est plus énergique que moi. Et voudrait toujours choquer davantage. Moi, je ne suis guère adepte du faire à tout prix. Quand l'acteur est fatigué, il ne faut pas aller contre ; sa fatigue apporte aussi à l'interprétation. Et je n'aime pas non plus la personnalisation à outrance d'un rôle ; il faut laisser le mystère, un certain flou. Abel a enchaîné immédiatement avec un film sur Pasolini. Peut-être à cause du parfum de scandale autour de lui.
Mais Pasolini n'était pas qu'un homosexuel sulfureux, c'était un intello de gauche anticlérical, un militant, un guerrier. Sur le tournage de 1900, de Bernardo Bertolucci, en 1975, je me souviens d'un match de foot entre l'équipe du film, dont Robert De Niro, et celle de Salo ou les Cent-Vingt journées de Sodome de Pier Paolo, qui tournait au même moment. J'étais goal, Paso­lini, avant-centre. Une bête, qui prenait un malin plaisir à foncer entre les jambes du goal. C'était drôle. Comme me semblaient drôles tous ces réalisateurs communistes italiens bourrés de pognon. Je disais à Bertolucci : « Tu oses te dire communiste et tu as un appartement fabuleux, une énorme Mercedes ? » « Oui, mais elle est rouge ! » rétorquait-il.

  • Ne dit-on pas que votre ami Poutine, qui envahit la Crimée, menace l'Ukraine, ne respecte pas les droits de l'homme, est aussi très riche ?
Ne me faites pas parler politique. Je suis un naïf. Vivant une partie de l'année en Russie, je vois juste que Poutine est admiré par la majorité de son peuple, reconnaissante qu'il lui ait rendu sa dignité perdue face à l'étranger et sa place dans les relations internationales. Ce n'est pas un alcoolique comme Eltsine, qui s'effondrait en public et face à d'autres chefs d'Etat.
Vous savez, pour moi ne sont vraiment dictateurs que ceux qui affament leur population, donc Poutine n'est pas un dictateur : personne ne crève de faim en Russie. Evidemment, il n'a pas la langue de bois. Je l'ai entendu plusieurs fois parler aux oligarques, et ça fait froid dans le dos. Mais n'oubliez pas qu'il a été élu, et pour moi la Douma, le parlement russe, reste un régulateur qu'il respecte. Il se moquerait sans doute lui-même de m'entendre parler avec ma candeur de midinette.
Quand je râle devant lui sur le monopole qu'ont toujours des cinéastes comme Mikhalkov et son frère Konchalovski, et même Pavel Lounguine, je sais qu'il s'amuse de me voir défendre une jeune génération plus talentueuse. C'est un judoka, il avance sans bruit, impénétrable, sachant utiliser les forces et les faiblesses de l'adversaire… Enfin, c'est surtout l'Histoire, la culture qui m'attachent à la Russie.

  • Pourquoi ?
J'aime sa folie, sa violence, ses paradoxes. Ivan le Terrible tue son fils parce qu'il n'a pas aimé la manière dont s'est habillée sa belle-fille. Pouchkine, l'immense poète romantique, métis comme Dumas, écrit en français, s'invente des biographies, meurt en duel. Tolstoï n'aime pas son chef-d'œuvre Anna Karénine, et ses serfs le supplient de ne pas les libérer tant ils le vénèrent. A Moscou, on dit que je ressemble à Tolstoï, et je vais bien l'interpréter là-bas au cinéma.
Les Russes m'aiment, ils sentent en moi le moujik. Un compositeur contemporain, Rodion Chtchedrine, a même voulu faire un opéra sur ma vie ! Quant à leur pays, cette immensité glacée sans montagnes pour arrêter le vent, il est fascinant. Il faut une sacrée force spirituelle pour résister à ces froids à moins 50 degrés quand vous êtes pauvre sans rien pour vous protéger. Mais les Russes ne sont pas que des héros. Voyez la bassesse du Smerdiakov des Frères Karamazov ! Dostoïevski a si bien analysé les lâchetés et les perversités de l'âme slave qu'il n'est guère apprécié là-bas depuis la perestroïka…

  • Où vivez-vous désormais ?
Sept mois hors de France. A Saransk, en Mordovie, à Moscou, en Belgique, en Italie… Mon foyer est là où les gens m'aiment et là où j'aime les artistes. Je peux vivre n'importe où. Partir n'importe quand. Je ne tourne plus volontiers en France, où il y a bien trop de charges à payer. Je les acquitte déjà pour les quatre-vingt-douze employés que je fais travailler dans la restauration, les vignes, le commerce de bouche…
Quand j'ai joué Love Letters au Théâtre Antoine, avec Anouk Aimée, j'ai même préféré lui laisser mon cachet. Gagner de l'argent en France est trop compliqué. Je paie mes impôts à Saransk comme entrepreneur d'une société de cinéma et de vidéo, ils sont bien plus faibles qu'ici ; et en Belgique, on est exonéré sur les plus-values…

  • Pourquoi l'argent vous intéresse-t-il tant ?
Parce que mes parents n'avaient rien. Et que je me suis promis de ne jamais manquer de rien. En fait, j'aime tellement la vie que je me suis toujours senti riche. Je me suis contenté de ce que j'avais au moment où je l'avais. Même quand je devais piquer leur montre et leur portefeuille aux jeunes bourgeois qui s'endormaient en occupant l'Odéon en mai 1968.
L'argent m'importe peu. Même si j'aime m'acheter moi-même des œuvres d'art. Et les revendre. Parce qu'une fois qu'elles m'ont appartenu, elles sont pour jamais dans ma vie. C'est le luxe, surtout, qui compte. C'est-à-dire la liberté, l'autre, l'amour, la paix, la sérénité, le don de soi.

  • Comment vous sentez-vous dans le cinéma français ?
Je ne me sens pas. Les films que je vois sont des dramatiques télé des années 80 ou de fausses comédies où tout le monde fait la gueule. Pour faire 5 millions d'entrées, il faut désormais faire une comédie raciste sur la frontière belge… Le cinéma français est dirigé par des HEC ou des énarques qui ont oublié le sens du récit. Oseraient-ils produire Kurosawa ou Buñuel aujourd'hui ? Et le scénario de Casablanca ne passerait pas les comités de lecture !
Je suis quand même heureux de tourner le prochain film d'Abdellatif Kechiche, parce que c'est un passionné. Il veut raconter l'histoire de deux garçons arabes, je jouerai peut-être mon propre personnage. Je ne sais pas encore. Sauf que s'il me fait faire vingt-cinq prises comme il en a l'habitude, je risque de me sentir souvent souffrant…

  • Vous avez souvent déclaré que vous ne vous sentiez plus comédien ? Vos affaires comptent-elles davantage ?
Mais non ! Il suffit que je lise un livre pour avoir envie de le dire à haute voix. Dès que j'ai débarqué dans un cours de théâtre, j'ai senti que ma vie se jouerait là. Evidemment, je ne suis pas un mystique de la chose comme Michel Bouquet, qui est devenu la respiration même du texte qu'il incarne. Au théâtre, ce qui me fascine surtout c'est de contrôler le temps. D'être absolument dans le temps. Jusqu'à m'endormir sur le plateau, comme dans Les gens déraisonnables sont en voie de disparition, de Peter Handke.
Mon seul savoir d'acteur est peut-être celui-là : habiter, sans jamais lui résister, le temps présent. Et passer au-dessus du reste : si on cherche à savoir comment on fait, on n'y arrive plus. La magie de l'acteur, c'est ce qui lui échappe. Comme une respiration. D'ailleurs les acteurs américains entre les prises ne cessent de faire des exercices respiratoires, se mettent au bouddhisme… En France, je suis étonné du manque de culture technique de mes jeunes partenaires, qui ne savent pas ce que c'est qu'un objectif, se fatiguent dans une scène quand ils ne sont même pas dans le champ, ne savent pas prendre la lumière. Pour bien s'échapper, il faut tout contrôler…

  • Comment vous est venu le goût de l'art ?
Par la nature, qui me bouleverse, me fait peur aussi parfois, entre chien et loup. Je préfère l'aube. J'ai commencé par Corot, l'école de Barbizon puis Monet. J'ai aimé jouer Rodin, je me suis endetté pour acheter un Rodin, puis un Miró. Mais je ne suis pas un vrai collectionneur, mes goûts sont trop éclectiques, de l'art précolombien au peintre Eugène Leroy, de la sculptrice Germaine Richier à Odilon Redon en passant par l'art chinois ou japonais.
Il y a certaines oeuvres trop fortes, que je préfère voir au musée, mais les miennes m'accompagnent au quotidien, restent dans ma tête. Je ne les accroche pas, pour éviter de les condamner à un espace précis. Les laisser dans le silence du temps. Le silence est un mystère pour moi. Je ne trouve pas de mot pour l'expliquer.

  • Une petite mort ?
La mort ne me fait pas peur depuis que j'ai connu un coma magnifique de sept jours. Et puis mes morts sont présents, je leur parle. Barbara, Pialat, mon fils Guillaume. Ces deux-là gardaient pourtant un visage en colère dans leur cercueil. J'ai tout fait pour faire revenir au plus vite Guillaume de Roumanie, où il était hospitalisé. Vainement. Là-bas, on lui a même volé la prothèse de sa jambe.
Non, la mort n'est plus un mystère. A la lumière de saint Augustin, je m'interroge davantage sur cette manière qu'avait le Christ de répéter « en vérité ». « En vérité, en vérité, je vous le dis. » Y a-t-il une autre vérité dans la vérité ? Et quelle est-elle ? Et qu'est-ce qu'on fait de la vérité ? Quand il n'y a pas de réponse, il faut trouver la force d'attendre.

Gérard Depardieu  en quelques dates
1948 Naissance à Châteauroux.
1972 Nathalie Granger, de Marguerite Duras, l'un de ses premiers rôles.
1974 Les Valseuses, de Bertrand Blier.
1980 Mon oncle d'Amérique, d'Alain Resnais. Loulou, de Maurice Pialat. Le Dernier Métro, de François Truffaut.
1984 Le Tartuffe, son premier film en tant que réalisateur.
1990 Cyrano de Bergerac, de Jean-Paul Rappeneau.
2008 Mort de son fils Guillaume.
2014 Welcome to New York.



Source télérama Propos recueillis par Fabienne Pascaud

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire