Les terriens sont trop nombreux
La croissance démographique, même ralentie, est
inéluctable. Faut-il faire silence sur les difficultés qu'elle provoquera ?
Les médias mondiaux ont célébré symboliquement
le 31 octobre 2011 la naissance du 7 milliardième terrien. Aux incertitudes de
la statistique démographique près, qui sont considérables (quelques dizaines
voire quelques centaines de millions d'individus en plus ou en moins) cette
naissance aurait eu lieu dans un des pays où la densité est la plus forte, Inde
ou Indonésie. A cette occasion ont été rappelées deux estimations importantes,
provenant de l'ONU (United Nations Population
Division) La croissance démographique, bien que se ralentissant, le fait
moins vite que prévue. Ceci conduirait à une population mondiale d'au moins 10
milliards vers 2050. Le continent africain ressentirait bien moins que les
autres les effets du ralentissement – que l'on désigne par le terme de
transition démographique - si bien que la population y atteindrait 2,5
milliards à cette date, sinon davantage.
Nous n'allons pas présenter et moins encore discuter ces
chiffres ici. A qui n'est pas un démographe professionnel, les sources
recensées par Wikipedia, référencées ci-dessous, suffisent largement pour ce
faire. Nous voudrions plutôt nous interroger sur les conséquences susceptibles
d'en être tirées en termes de prospective sur l'avenir du monde, celui de la
Terre-écosystème en général, et celui de l'humanité au sein de celle-ci.
Ces questions devraient être au cœur des
préoccupations de ceux qui évoquent, à titre officiel ou bénévolement,
la gouvernance mondiale – plus précisément les mesures susceptibles d'être
adoptées par les gouvernements, soit de leur propre chef, soit à l'instigation
des organisations internationales, ONU, FAO, OMS, notamment pour prévenir les
difficultés à venir. Or on vient de constater que le dernier G20, bien que
n'étant pas officiellement une organisation intergouvernementale, s'est borné à
évoquer les spéculations sur les matières premières agricoles, sans proposer
d'ailleurs aucune mesure susceptible d'empêcher leurs effets aggravants.
Les données actuelles, tant de la démographie que
de l'économie et de la géopolitique, paraissent claires. Certes, un grand
nombre d'arguments sont couramment évoqués pour atténuer le sens susceptible de
leur être donné. Nous y reviendrons. Mais globalement, les chiffres mettant en
relation la population et les ressources montrent qu'aujourd'hui, les 7
milliards d'humains sont déjà trop nombreux pour les ressources disponibles. Un
à deux milliards d'humains vivent en dessous du seuil de pauvreté défini par
l'équivalent d'1$ par jour. Cinq cent millions sont en état de famine chronique
ou aigüe.
Certes les ressources, notamment agricoles,
pourraient être d'une part augmentées, d'autre part mieux réparties. Mais
l'augmentation supposerait des investissements considérables pouvant se
traduire par la destruction des derniers milieux naturels. Quant à une
meilleure répartition, elle supposerait que les habitants des pays riches
acceptent de transférer vers les pays pauvres une grande partie des ressources
qu'ils consomment. En pratique, c'est-à-dire au delà du discours, aucune de ces
deux solutions n'a de chance d'être envisagée.
Sur le demi-siècle à venir, les perspectives ne
devraient que s'aggraver. On ne perçoit pas, compte tenu, des connaissances
actuelles, de progrès scientifique ou technique envisageable, tout au moins à
l'échelle permettant de nourrir 10 à 12 milliards d'hommes. Les solutions
étudiées en laboratoire peuvent être théoriquement séduisantes. Mais leur mise
en œuvre au plan de continents entiers ne serait pas faisable dans des délais
et à des coûts acceptables. Par ailleurs, compte tenu d'une raréfaction
croissante des ressources et des peurs qu'elle suscitera, on peut douter que
les mesures faisant appel au partage se mettent en place plus spontanément à
l'avenir qu'aujourd'hui. Si partage il y a, il se fera par la contrainte,
c'est-à-dire par la guerre et la conquête.
- Diminuer les effectifs?
Une conclusion brutale devrait donc être tirée
des considérations qui précèdent. Sans renoncer évidemment à l'augmentation de
la production vivrière et aux transferts des pays riches vers les pays pauvres,
il faudrait impérativement limiter la croissance de la population voire dès
maintenant en diminuer les effectifs. Mais comment procéder? En théorie, même
dans les pays qui n'assurent plus le renouvellement de leurs générations, comme
l'Allemagne et la Russie, il devrait encore être possible de diminuer les
naissances sans que la société ne s'effondre. Pendant un demi siècle cela se
traduirait par une pyramide des âges déséquilibrée, avec un taux excessif de
personnes âgées, mais à terme un équilibre se rétablirait, le nombre des
productifs, même réduit, deviendrait suffisant, compte tenu notamment des
progrès de productivité, pour entretenir la société.
Mais de telles mesures, comme l'a montré la politique
courageuse de la Chine dite de l'enfant unique, sont très difficiles à
appliquer et finissent par être détournées. De plus, beaucoup de sociétés sont
confrontées à une surnatalité bien supérieure à celle de la Chine et seront
encore moins qu'elle capables d'assurer une stabilisation sinon une réduction
des naissances.
On doit mentionner aussi en ce domaine le poids
des convictions politiques ou religieuses pour qui une forte natalité, une
densité élevée de jeunes facilement mobilisables, reste une source de puissance
au profit des pays qui en jouissent. Par conséquent la plupart des mesures
visant à limiter les naissances sont refusées. C'est au contraire le vieux
principe du "Croissez et multipliez vous" qui continue à s'appliquer,
quelles qu'en soient les conséquences sur les écosystèmes et sur la survie de
l'humanité.
- Faire silence
La tradition nataliste, renforcée par des impératifs
religieux, est si ancrée dans le monde que, même en Europe, il semble
difficile d'évoquer sereinement les données que nous venons de rappeler
ci-dessus. Une série d'arguments différents sont présentés pour affirmer que le
problème que nous venons de résumer, soit ne se pose pas, soit doit être passé
sous silence. Les uns sont scientifiques ou se donnent une apparence de
scientificité. Les autres relèvent du domaine moral, parfois d'une agressivité
mal dissimulée.
Le plus convaincant en apparence des arguments
scientifiques est celui dit du précédent. Selon cet argument, il y a deux
siècles, Malthus prédisait déjà l'insuffisance des ressources face au
développement de la population. Or l'histoire l'a démenti. Il ne faudrait pas
refaire l'erreur du célèbre économiste. Mais ce raisonnement ne tient pas. Il
faut au contraire rappeler que nous ne sommes plus au temps de Malthus.
Autrement dit, aucun événement encore insoupçonné ou insoupçonnable aujourd'hui
ne viendra desserrer l'écart qui se resserre entre la croissance démographique
et celle de la production.
Espérer qu'uns solution salvatrice apparaisse relève
de la croyance au miracle. Au contraire, tous les indices disponibles font
craindre le pire: c'est-à-dire que des facteurs aujourd'hui encore marginaux
s'aggravent subitement. L'éventualité la plus probable serait à cet égard une
accélération en chaîne du réchauffement climatique et de ses diverses
conséquences destructrices.
Les arguments de type moraux conduisant à ne
pas évoquer les conséquences de la croissance démographique sont bien plus
acceptables et populaires. Ils séduisent un nombre considérable de personnes,
quels que soient les niveaux de vie, les appartenances culturelles, les
convictions philosophiques ou religieuses. Le plus convaincant de ces arguments
est qu'il faut préférer un déni de réalité (refuser d'admettre que la
croissance démographique pose de graves problèmes) à un réalisme pouvant
conduire à opposer les humains les uns aux autres. Selon cette position, à
supposer que l'on ne puisse rien faire pour éviter des conflits et catastrophes
futures découlant de la surpopulation, il vaut mieux ne pas en parler. Ceci
éviterait un risque immédiat tout aussi grand, tel que dresser les riches
contre les pauvres ou les Blancs contre les Noirs. Il sera bien temps de
prendre des mesures difficiles, se traduisant inévitablement par des
affrontements, lorsque l'urgence l'imposera. Pourquoi sinon ne pas commencer
par tuer tous les aïeuls?
- L'empathie
Dans une vision optimiste de la politique, on
pourrait attribuer à une empathie à l'égard des plus pauvres ce refus
d'accepter ce qu'un minimum d'esprit scientifique présente comme une évidence.
L'empathie (c'est-à-dire la capacité de souffrir avec) semble quasiment
inscrite dans les gènes, comme d'ailleurs son opposé, la défense forcenée des
territoires et des privilèges. Il faut empêcher, dans un souci d'ailleurs
égoïste de paix civile, que puisse se réveiller cette dernière au détriment de
la première. A tous égards, mieux vaut l'empathie – même si elle reste
gratuite, c'est-à-dire dans le cas abordé ici n'entraînant aucune augmentation
significative des aides au tiers-monde.
Il est
certain qu'une image comme celle ci-dessus peut être porteuse de deux sens au
moins: l'attendrissement devant une petite famille bien innocente et
l'exaspération à constater comment certaines sociétés, incapables d'assurer un
minimum de contrôle des naissances, continuent à entraîner le monde dans la
catastrophe démographique.
Chez ceux qui laisseront parler l'exaspération se
réveilleront le racisme et le refus de l'étranger latent chez chacun d'entre
nous. Il en découlera des conséquences immédiates plus graves que les
conséquences différées d'un trop plein de populations africaines ou asiatiques.
Mieux vaut alors censurer l'image et, en tous cas, faire le silence sur les
problèmes de gouvernance mondiale globale qu'elle suggère. Nous ne la publions
pour notre part ici qu'au terme d'une discussion proposée au lecteur,
discussion qui serait susceptible d'atténuer ses effets négatifs, plutôt qu'en
tête d'article, avant toute considération émolliente.
Que faire alors, dira-t-on, étudier ou ne pas étudier
la croissance démographique et ses conséquences. Si l'on pense que des
déterminismes profonds pilotent l'évolution de ce que nous appelons
l'anthroptechnocène, mieux vaut, plutôt que se taire, étudier et discuter
problèmes et remèdes possibles, tels du moins qu'ils apparaissent ici et
maintenant, hic et nunc. Les capacités du système cognitif réparti que
constituent les humains et leurs machines devraient s'en trouver accrues. Mais
croire que le sort du monde en sera changé serait faire preuve d'un étrange
optimisme.
Source Jean-Paul Baquiast
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