mercredi 12 février 2014

Billets-Le racisme anti-blancs


Le racisme anti-blancs

Le “racisme anti-Blancs” serait-il une notion piège ?
Pour certains, le racisme anti-Blancs existe bien en France. Pour d'autres, l'expression est floue et dangereuse. Itinéraire d'un débat qui menace de déraper.
  
2009, marché d'Evry : déjà médiatique, le maire, Manuel Valls, virevoltant sous l'œil des caméras, demande à voix basse à son conseiller d'ajouter sur la photo « quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos »… Question d'image.
2011, dans les rangs du parti socialiste en marche vers l'élection présidentielle, un rapport du think tank de gauche Terra Nova fait débat : faut-il privilégier les classes populaires ou les minorités visibles, bref, les Blancs ou les immigrés ? Question politique.
2013, tribunal correctionnel de Paris : un prévenu, coupable d'avoir balafré au visage sa victime sur un quai de métro, est aussi accusé de l'avoir insultée en criant « Sale Blanc, sale Français ! ». Question de justice.
2007-2013, colonnes des journaux : des voix s'élèvent pour dénoncer la souffrance, le malaise des « petits Blancs » relégués dans les quartiers pauvres, à la périphérie de la République. Question sociale.

Une problématique sulfureuse
Sulfureuse, une problématique blanche a bel et bien surgi dans le débat public. « La question raciale, qui travaille en profondeur la société française, ne touche pas seulement les minorités visibles, constate le sociologue Eric Fassin. Elle affecte tout le monde : la majorité invisible blanche, qui a longtemps eu le privilège de nommer les autres "de couleur", est à son tour visible, nommée, désignée. » Mais par qui ?
Et qu'est-ce qu'être « blanc », au fond ? « Je ne considère pas cette question comme absurde, mais elle n'a rien de scientifique, répond sans ambages l'historien Gérard Noiriel. Elle a sa raison d'être dans le champ civique, comme une question que se posent peut-être certains citoyens. En tant que chercheur, je préfère me demander qui se la pose. Pourquoi ? Pour quels publics ? Comment ? Quelles en sont les conséquences ? », développe-t-il dans un livre collectif affublé d'un drôle de titre : De quelle couleur sont les Blancs ? Des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs ».
Question saugrenue !, semblent admettre, dès l'introduction, Sylvie Laurent et Thierry Leclère, qui ont dirigé l'ouvrage : « "Les Blancs sont blancs", dira le béotien, "ils sont clairs de peau, ils ne sont pas noirs". "Cette question n'a aucune pertinence en France", objectera le républicain, "laissons aux communautaristes d'Amérique cette triste qualification raciale pour nous en tenir à l'idéal universaliste : nous sommes tous bleu-blanc-rouge". »


La question de la “blanchité”
Modèle républicain universaliste dans l'Hexagone, versus modèle différentialiste inhérent au melting-pot nord-américain ? Nouvelle en France, la question de la « blanchité » (Whiteness) est, depuis la fin des années 80, un objet de recherche à part entière aux Etats-Unis. Représentées par des auteurs comme Peggy McIntosh, Richard Dyer ou Toni Morrison, les whiteness studies interrogent, sur un mode critique, la construction sociale et politique de la « blanchité ».
Dans Playing in the dark, Toni Morrison analyse ainsi la formation littéraire d'une « identité blanche imaginaire », note Maxime Cervulle dans son essai Dans le blanc des yeux. Soulignant la tendance de la critique littéraire à identifier le lectorat comme blanc, Morrison montre comment « une position singulière » en vient à revêtir « l'aura de la neutralité et de l'universalité ». 
Retour en France. Pour le politologue Pierre-André Taguieff, maître d'œuvre du Dictionnaire historique et critique du racisme, il est urgent de faire entrer la « blanchité » dans les champs de la recherche scientifique : « Elle reste l'impensé des travaux sur le racisme menés en Europe, en particulier en France, en raison notamment de cet ethnocentrisme de la couleur qui fait que, dans une population à dominante "blanche" (c'est-à-dire qui se reconnaît comme telle), la "blanchité" va de soi pour le groupe majoritaire et joue en conséquence le rôle d'une référence structurante implicite. Elle échappe alors au regard critique, elle se soustrait à la problématisation. »
Comme toute norme, la norme blanche va donc de soi : quand on est blanc, en France, on n'a pas à se poser la question de sa couleur. Ce qui n'est pas le cas des minorités visibles, obligées de se définir par rapport à cette normalité invisible. D'autant que la couleur blanche sait se parer des attributs de la candeur, de la pureté… « Avoir carte blanche », « montrer patte blanche » ou « manger son pain blanc » – autant d'expressions connotées positivement.
Autant de symboles pointés par Marguerite Duras lorsqu'elle évoque, dans Un barrage contre le Pacifique, « l'uniforme colonial », ce « costume blanc, couleur d'immunité et d'innocence ». Blanc, couleur de l'empire : « L'homme blanc est indubitablement, esthétiquement et iconographiquement né aux colonies – la question de la "blanchité" ne se posait pas en Europe », tranchent Pascal Blanchard et Gilles Boëtsch dans De quelle couleur sont les Blancs ?


La “ligne de couleur”
Et voilà que la « ligne de couleur » (color line) refait surface. Nous serions en effet passés des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs ». Mais qui sont les Blancs ici visés ? Des Français, des Français « de souche » (sic), des Européens, des chrétiens, des Occidentaux ? Totalement floue, l'appellation autorise tous les amalgames. Dotée ou non de guillemets qui la mettent à distance, elle oscille entre flashs d'info et foudres de l'intox.
Faut-il même lancer le débat, en l'absence de chiffres et de certitudes ? Fustigé par Jean-Marie Le Pen dès 1985, cheval de bataille des Jeunesses identitaires dans les années 2000, le racisme anti-Blancs a été brandi en 2012 par Jean-François Copé dans son Manifeste pour une droite décomplexée, où l'actuel président de l'UMP affirmait vouloir briser ce « tabou ». Un tabou que certains intellectuels s'étaient déjà employés à lever, après la fronde anti-CPE [contrat première embauche] de 2005.
Jacques Julliard, Bernard Kouchner, Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff s'associaient pour lancer un provocateur « appel contre les ratonnades anti-Blancs » : « Des lycéens, souvent seuls, sont jetés au sol, battus, volés, et leurs agresseurs affirment, le sourire aux lèvres : "parce qu'ils sont Français". » « Pour nous, poursuivaient les signataires, David, Kader et Sébastien ont le même droit à la dignité. Ecrire ce genre de textes est difficile, parce que les victimes sont kidnappées par l'extrême droite. […] On a parlé de David, on a parlé de Kader, mais qui parle de Sébastien ? »
« Depuis 2005, nos inquiétudes se sont accrues en même temps que le phénomène a pris de l'ampleur et a été mieux observé », avance Taguieff. Si ce racisme dérange tant, c'est qu'il brise les évidences reçues et notamment ce « dogme idéologique » de la gauche antiraciste selon lequel seuls les Blancs pourraient être racistes. « N'importe quel groupe humain est susceptible d'être racialisé (perçu comme une "race", c'est-à-dire doté de traits spécifiques, fixes et transmissibles) et racisé (soumis à des stigmatisations, à des traitements discriminatoires) », croit Taguieff.
Le racisme anti-Blancs existerait donc, au même titre que le racisme anti-Arabes, anti-Noirs ou anti-Juifs ? C'est en tout cas ce que pense la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), qui a mis le feu aux poudres en se portant partie civile dans la seule affaire de racisme anti-Blancs portée devant les tribunaux, en avril 2013. Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap) lui avait ouvert la voie en incluant aussi ce racisme dans les « propositions d'orientation » de son congrès de 2012.


Le racisme des dominants vers les dominés
« Ces associations font fausse route, déplore Eric Fassin. En renvoyant dos à dos tous les racismes, elles font perdre son sens au phénomène raciste, qui sera toujours un rapport social de domination. » Pour lui, comme pour la gauche visée par Taguieff, le racisme ne peut en effet fonctionner que dans un sens : des dominants vers les dominés. Victimes des discriminations quotidiennes (à l'emploi, au logement, etc.), les minorités visibles ne sauraient être racistes. S'il peut exister, à la marge, des violences, des insultes dirigées contre les Blancs, celles-ci restent individuelles, contextuelles, réactives – jamais structurelles.
Non seulement le « racisme anti-Blancs » est une notion douteuse, glissante, mais comparer le racisme du dominant et le « racisme édenté » (Albert Memmi) du dominé, sans force, sans pouvoir, est une venimeuse opération politique, destinée à opprimer davantage les victimes…
Le débat, lui, n'a en tout cas rien d'édenté mais risque, faute d'études sérieuses, de s'enliser dans des malentendus et des instrumentalisations idéologiques et de ne devenir finalement qu'un prétexte, un os à ronger. Ecoutons plutôt Frantz Fanon : « Le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc. »





















 Illustration Marion Fayolle pour Télérama
Source telerama.fr

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