Omerta dans les labos pharmaceutiques
Un ancien cadre de l'industrie pharmaceutique
dénonce dans un livre "l'omerta" qui protège les pratiques douteuses
du secteur.
Co-auteur avec Anne-Laure Barret d’ "Omerta
dans les labos pharmaceutiques", le docteur Bernard
Dalbergue, un ancien cadre passé par trois grands labos, raconte pour la
première fois les coulisses d’un secteur déjà bien éreinté depuis l’affaire du
Mediator. Interview.
Experts corrompus, pression sur le pouvoir politique, marketing
débridé : la description que vous faites de l’industrie pharmaceutique est
glaçante...
- Tous les labos ont
les mêmes méthodes de lobbying. Comme n'importe quel produit, le médicament
n’échappe pas à la promotion. La grande majorité des entreprises la pratiquent
dans le strict respect de la loi. Une minorité, toutefois, fraudent et commercialisent
des médicaments dangereux, aux effets secondaires graves. Les conséquences sont
désastreuses : chaque année, 200.000 personnes meurent d’accidents
médicamenteux dans l’Union européenne.
Pourquoi avez-vous quitté le monde des labos ?
- J’ai été poussé
dehors il y a trois ans, alors que j’alertais l’opinion contre les
dysfonctionnements d’un stylo qui ne délivrait pas la bonne dose d’un remède
contre l’hépatite C. L’outil a, depuis, été remplacé, mais j’ai eu le plus
grand mal à faire passer le message au sein du laboratoire pour lequel je
travaillais. Par ailleurs, mon labo voulait verser de l'argent à un médecin
chargé d’évaluer un autre traitement contre l’hépatite C que nous allions
commercialiser, ce que j'ai refusé de cautionner.
Les pratiques n’ont pas toujours été si viles, dites-vous.
- Dans les années
1990, j’étais déjà choqué par les sommes folles dépensées lors de séminaires
fastueux. Mais nos méthodes de travail étaient encore éthiques. A cette époque,
il n’était pas nécessaire de franchir la ligne rouge. Les prix des médicaments étaient
faciles à négocier avec les instances sanitaires. Et puis au début de la
décennie 2000, il y a eu un basculement avec l'apparition des génériques. Les
labos ont vu leurs molécules tomber dans le domaine public. Il est devenu de
plus en plus difficile d’en trouver de nouvelles puisque désormais, on sait
soigner les grandes pathologies : hypertension, infections… Plus personne ne
voulait payer cher un nouveau médicament contre le cholestérol car il en
existait déjà cinq sur le marché. Comprendre et traiter le cancer, le VIH, la
maladie d’Alzheimer est en revanche bien plus compliqué... Peu à peu, le
chiffre d’affaires s’est mis à refluer. Les plans sociaux se sont succédé,
soumettant les salariés à de fortes pressions pour vendre toujours plus.
Comment se nouent les liaisons dangereuses entre médecins et
labos ?
- Les labos versent de
très grosses sommes d’argent aux leaders d’opinion, des médecins hospitaliers
qui en ont besoin pour poursuivre leurs recherches. Ils doivent à tout prix en
publier les résultats : "publish or perish" (publier ou périr), telle
est leur devise. Plus ils publient, plus ils gagnent de points pour pouvoir
devenir chef de service.
A vous lire, les autorités sanitaires américaines sont
bien plus strictes en matière de conflit d’intérêts que la France.
- Aux Etats-Unis, le
"Foreign Corrupt Practices Act" est très clair sur les peines
encourues, qui vont jusqu’à la prison en cas de corruption. C’est loin d’être
le cas en France, pays de Cocagne de l’industrie pharmaceutique.
De quel pouvoir dispose notre Agence nationale de sécurité du
médicament (ANSM) ?
- Elle peut être un
lanceur d’alerte, mais n'a pas le pouvoir de retirer un médicament du marché.
Seule l’Agence européenne du médicament a cette capacité. Seulement, cette
dernière est noyautée par les lobbys pharmaceutiques.
Comment, dans ces conditions, peut-on avoir confiance en les
médicaments qui nous sont administrés ?
- Il faut consulter le
site de la Haute
autorité de santé, honnête et indépendante, qui traque sans relâche les
conflits d’intérêts. Si elle note bien le médicament, il n’y a pas de crainte à
avoir.
Peut-on espérer assainir un jour le fonctionnement des labos ?
- Certains ont
commencé un travail en ce sens. Ainsi, le Britannique GSK a promis de ne plus
payer les médecins pour qu'ils assurent la promotion de ses produits et a
supprimé les primes d’objectifs pour ses commerciaux. Les politiques au niveau
européen doivent absolument s’emparer du sujet, sous peine de voir d’autres
scandales éclater.
Source nouvelobs.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire