Nuit blanche à l'Elysée
Ils sont deux, six, puis quatre, ou trois, autour
du président. Des hommes, uniquement. Une drôle de réunion de travail,
foutraque et improvisée, où des ombres passent et repassent, où les portes
s'ouvrent et se ferment, comme dans un décor d'opérette. La nuit est tombée
depuis longtemps sur le palais de l'Elysée. Au premier étage du « château », ce
jeudi 9 janvier, les lumières restent allumées. Et tous affichent des mines
fermées, de ces masques qu'on revêt dans les cérémonies funèbres ou lors des
catastrophes nationales. Comme si ce soir, au-delà de la « crise » qui les
réunit, les conseillers du chef de l'Etat avaient compris que le principal
problème de François Hollande, c'était François Hollande lui-même. Et d'une
certaine manière, eux aussi.
« L'amour secret du président », dira quelques
heures plus tard la « une » de Closer en
présentant Julie Gayet à la France entière. Le lendemain, dans les kiosques,
des clichés ridiculiseront un chef de l'Etat coiffé d'un casque intégral censé
déjouer la vigilance des paparazzis. Même si la rumeur de la publication des
photos volées était déjà arrivée à leurs oreilles la semaine précédente, les
conseillers du président n'ont pas pu anticiper l'affaire. Le magazine du
groupe italien Mondadori avait préparé, pour détourner l'attention, une fausse
couverture sur Vanessa Paradis. Aucun des communicants ne doute de la liaison
avec l'actrice. Mais, à force d'entendre crier au loup, leur attention s'est un
peu relâchée. Le leurre a fonctionné.
Il est
21 heures, et personne, à l'Elysée, parmi cet aréopage d'énarques cravatés et
de conseillers appliqués, n'a encore été capable de récupérer le numéro
funeste. Derrière le bureau du chef de l'Etat trône encore, sur la cheminée, la
photo de la victoire à Tulle, le 6 mai 2012, « François et Valérie » chantant
main dans la main La Vie en rose. Le
secrétaire général de l'Elysée, Pierre-René Lemas, d'ordinaire si souriant,
affiche ce soir une mine contrariée et surtout sidérée. Jamais cet ancien
préfet de Corse, qui sur l'île avait essuyé des menaces du FLNC et vu sa
préfecture mitraillée, n'aurait imaginé que le scoop d'un journal qu'il n'a
jamais feuilleté, même chez le coiffeur, le retienne toute une nuit rue du
Faubourg- Saint-Honoré.
- Peu avant minuit, l’exemplaire de Closer est livré
Près de
lui, Aquilino Morelle, qui se flatte de tutoyer le président et fait mine de ne
jamais lire les mauvais « papiers », bien qu'il supervise la « com », s'agite
pour trouver le magazine. Comme Christian Gravel, l'ancien homme de confiance
de Manuel Valls, chargé lui aussi des relations avec les journalistes. Claude
Sérillon, autre « expert » chargé de l'image du président (auquel on a
toutefois interdit de s'exprimer depuis son arrivée, un an plus tôt, à
l'Elysée, au prétexte que le légendaire et brillant communicant de François
Mitterrand, Jacques Pilhan, « ne parlait jamais
»), se tient debout, en retrait. Stéphane Ruet est aussi de la partie.
Le photographe a signé avec Valérie Trierweiler l'album photo amoureux de la
campagne de 2012 – le cliché qui leur fait face sur la cheminée, c'est le sien.
Même
lui, l'ancien chasseur d'images de Sygma recruté par la présidence,
l'ex-baroudeur qui « planquait » autrefois au pied du fort de Brégançon pour
surprendre Jacques Chirac au réveil et connaît les manières de ses anciens
confrères, a été rassuré par les SMS de la directrice de Closer, Laurence Pieau. Alors que
l'hebdomadaire est déjà sous enveloppe dans les centres postaux partout en
France, que des rédactions et des élus savent ce que les paparazzis ont réussi
à saisir, que, dans l'après-midi, le président s'est fait raconter par quelques
députés amis les grandes lignes – les grandes images, plutôt – du scoop
sacrilège, l'Elysée attend.
Ce n'est
qu'un peu avant minuit qu'un motard déboule dans la cour de l'Elysée. Il porte
à Aquilino Morelle, qui s'impatiente sur le gravier, le numéro blasphématoire.
Le conseiller s'est résolu à appeler son ami Manuel Valls, qui a lui-même
téléphoné au préfet de police de Paris. Le président obligé de quémander le
magazine people qui l'humilie auprès de ce ministre de l'intérieur plus
populaire que lui !
- Aucun reproche au président
Vingt
fois, depuis un an et demi, son cercle de communicants est venu lui faire part
de la « rumeur ». François Hollande a souri et changé de sujet devant les uns,
nié devant d'autres. Le président, apparemment, veut croire que l'époque où
François Mitterrand pouvait garder secrète pendant vingt ans l'existence d'un
enfant n'est pas tout à fait terminée. Pas davantage cette nuit qu'auparavant,
ses conseillers n'oseraient faire reproche de son imprudence au chef de l'Etat.
Y songent-ils seulement ?
Depuis
dix-huit mois, de toute façon, chaque fois qu'un cafouillage, qu'une polémique
inutile, qu'un revirement politique vient écorner un peu plus la popularité du
pouvoir socialiste, la petite cour des communicants pointe le doigt vers
Matignon en levant les yeux au ciel. C'est là, disent-ils, qu'est le désordre,
l'absence de sens politique, la faute. Jean-Marc Ayrault n'ignore pas que le
travail interministériel est décousu, que les cabinets de ses ministres sont
parfois bien novices.
C'est
d'ailleurs pour cela qu'il a commandé en septembre à Alain Christnacht, un
conseiller d'Etat passé par le cabinet de Lionel Jospin, un rapport qui recense
tous les dysfonctionnements du gouvernement. Le document confidentiel a été
transmis « pour information » à Sylvie Hubac, la directrice de cabinet du chef
de l'Etat. « Un brûlot contre Matignon ! »,
ont aussitôt assuré aux journalistes les communicants de l'Elysée, après en
avoir parcouru une copie. Dedans, pourtant, les critiques ne sont pas neuves :
trop de ministres, trop de réunions interministérielles, des cabinets trop
peuplés.
- « Comportement exemplaire »
Ce jeudi
soir, c'est pourtant bien à l'Elysée même que ça « dysfonctionne ». Et que
François Hollande improvise cette étonnante réunion de crise nocturne dans son
bureau. Tout ce qui arrive contrevient à la ligne que le candidat socialiste
s'était fixée durant la campagne. Comment faire, quand il n'a jamais cessé, ces
cinq dernières années, de reprocher à son adversaire, Nicolas Sarkozy, « cette confusion du privé et du public que les
Français ne supportent plus » ? Dans sa célèbre anaphore, le 2 mai 2012,
n'avait-il pas promis pour lui-même : « Moi,
président, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant
exemplaire » ? Il se voulait l'exact opposé de son prédécesseur, « ce président “m'as-tu vu” » qui
transformait, cinglait-il, les Français en «
voyeurs ».
Ils y pensent tous, évidemment. Mais tout haut, on ne
s'indigne que contre Closer. Comment cette patronne people ose-t-elle ? On invoque
toujours un improbable complot dans les situations trop gênantes. Rien de tout cela, pestent-ils, ne serait arrivé sous
Nicolas Sarkozy. Ce soir, la petite cour réunie autour de François Hollande
fait aussi semblant de croire qu'il s'agit d'une « affaire privée qui se règle en privé », comme le dira plus tard le président. C'est pourtant
tout l'Elysée qui veille, à minuit passé, pour gérer le « cas Valérie ». Le
seul homme venu de l'extérieur rejoindre l'équipe est un ami de la famille,
Jean-Pierre Mignard, le parrain des enfants Hollande. L'avocat du président
explique qu'il n'est pas question de porter plainte contre le magazine : si
quelqu'un doit le faire, c'est Julie Gayet.
Pour le
reste, Me Mignard se contente d'observer, à la dérobée, ces hommes empressés
censés conseiller son ami chef de l'Etat. « Il
ne faut pas qu'ils m'enferment », a souvent glissé le président à ses
amis en évoquant ses collaborateurs. Moyennant quoi, il les consulte sans
toujours les suivre, les contourne sans jamais les renvoyer, les déplace dans
un organigramme dont les micromouvements restent indéchiffrables, même parmi
ceux qui, à l'extérieur, parlent le plus couramment le « hollandais ».
N'empêche : ils restent son meilleur public. Et c'est de ça qu'il a besoin ce
soir.
- Depuis l’été, « Valérie » ne tient plus tout
Il y a
toujours des moments délicats dans la vie d'une cour, ces instants fugitifs où
le pouvoir vacille et où il faut choisir le bon camp. Si l'air est lourd, cette
nuit, c'est que, à quelques pas du bureau où se prépare un communiqué pour
l'AFP, dans l'aile dite « de Madame », se trouve Valérie Trierweiler. Ils la
connaissent bien. Certains, comme Stéphane Ruet, lui doivent même leur
promotion. Ils l'ont accompagnée de leurs prévenances durant toute la campagne
présidentielle. Et Dieu sait les efforts qu'ils ont faits pour lui plaire ! Ils
craignent ses colères. A leurs postes d'observation, ils ont noté les premiers,
avec cette fois un sens aigu de l'anticipation, les prémices de la disgrâce.
Depuis
l'été, « Valérie » ne tient plus tout. Aquilino Morelle a croisé, un soir, bien
tard, dans un couloir, l'ami de trente ans du président, Julien Dray : tiens,
tiens, malgré les oukases de la journaliste, voilà cet ostracisé qui revient
discuter avec François Hollande en passant par la grille du Coq de l'Elysée.
Tant mieux, se sont-ils dit, il déteste Jean-Marc Ayrault… Le président a aussi
convoqué par la grande porte l'ancien journaliste Claude Sérillon. Celui-là
même qui recommandait dans une note que « Valérie » ne possède pas de bureau à
l'Elysée. Avec un brin de perversité, François Hollande l'avait montrée à sa
compagne outrée. Ils ont surtout noté, depuis septembre, cette manière que leur
patron a de retirer sa main lorsqu'elle cherche à la saisir en public. Et quand
elle a choisi de convier Ségolène Royal à la projection privée du film Yves Saint Laurent, en décembre, ils ont
compris qu'elle cherchait à renouer avec la présidente de la région
Poitou-Charentes, comme si elle avait enfin compris que sa jalousie était sans
objet.
- Beaucoup connaissent Julie Gayet
Parmi
les socialistes, beaucoup connaissent Julie Gayet. Le vice-président chargé de
la culture à la région Ile-de-France, Julien Dray, a partagé plusieurs
Festivals de Cannes avec elle : l'actrice lui a même assuré qu'elle avait
milité aux Jeunesses communistes révolutionnaires et porté la petite main jaune
de SOS-Racisme, l'association qu'il a fondée. Le maire de Dijon, François
Rebsamen, a dîné en sa compagnie lors des Rencontres cinématographiques de la
cité bourguignonne. La comédienne a même accepté de tourner gracieusement pour
Touria Benzari, une des collaboratrices dijonnaises de l'édile, dans un
court-métrage, Rock'n Bled, suite d'un
premier film nommé… Mariage blues.
Julie
Gayet est aussi la fille de celui qu'au PS on appelle « Brice ». Depuis des
années, les socialistes consultent ce professeur de chirurgie digestive pour
leurs proches. Brice Gayet a d'ailleurs connu Aquilino Morelle au cabinet de
Bernard Kouchner, et Jérôme Cahuzac est un ami de jeunesse : il a suivi ses
études de médecine avec lui.
En
attendant de savoir avec certitude où le vent tournera, le petit groupe des
conseillers est parti dîner au restaurant. François Hollande, lui, cherche
comment éviter le scandale qui couve. Il sait que l'humiliation planétaire
qu'il inflige à sa compagne va lui valoir le pire. Il craint les éclats publics
alors même qu'il a programmé, cinq jours plus tard, la conférence de presse qui
doit lui permettre de reprendre la main. « Valérie » vient de faire un malaise.
A 2 heures du matin, il appelle à la rescousse de vieux amis discrets.
Le
premier coup de fil est pour Brigitte Taittinger, la directrice de la stratégie
et du développement de Sciences Po et l'épouse de son ami Jean-Pierre Jouyet.
Le couple présidentiel a partagé avec eux la soirée de Noël. L'ancienne
présidente des parfums Annick Goutal est une femme, elle saura parler à «
Valérie ». Puis, il téléphone à son conseiller santé, le professeur de
neurologie Olivier Lyon-Caen. Lui aussi était au petit réveillon du 24 décembre
organisé quinze jours plus tôt chez les Jouyet. Ancien conseiller de Lionel
Jospin, le médecin est à la fois un politique et un tenant scrupuleux du secret
médical.
- A 5 heures :hospitalisation de Valérie Trierweiler
Ce sont
eux qui vont se rendre à l'Elysée, où le président poursuit sa nuit blanche,
pour organiser, à 5 heures du matin, l'hospitalisation de Valérie Trierweiler à
la Pitié-Salpêtrière. La compagne, défaite, doit quitter le Palais, comme une
discrète exfiltration qui ne dirait pas son nom. Seuls le directeur de
l'hôpital, Serge Morel, le chef du service de psychiatrie, le professeur Roland
Jouvent, et deux infirmières ont été mis dans la confidence. Le directeur de
l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, est tenu à l'écart.
Paris dort encore lorsque Brigitte Taittinger conduit la compagne du président
à l'hôpital, dans sa voiture. Valérie Trierweiler qui, dans le désordre du
départ, avait oublié son sac et ses téléphones, a insisté pour qu'on remonte
les lui chercher.
Dans
cette nuit qui s'étire, les conseillers repassent dans leur tête ces photos du
président, « shooté » à l'arrière d'un scooter en compagnie de ces deux gardes
du corps qu'ils ont vus tant de fois au PS et dans le sillage du candidat. Ils
savent confusément combien ces clichés lui ressemblent. Depuis toujours,
François a aimé se faufiler entre les voitures, insaisissable. Premier
secrétaire, c'est ainsi qu'il venait à Matignon rencontrer Lionel Jospin, en
1997. Cet homme qui cloisonne a gardé la conviction qu'au fond, avec un
deux-roues, un portable et deux hommes de sécurité, il pouvait régler seul
l'essentiel. En 2012, c'est sur un scooter qu'il dirigeait sa campagne, bien
loin de la Rue de Solférino, où il ne passait jamais, mais aussi de son QG.
- On ne sait jamais vraiment qui compte pour Hollande
Depuis
qu'il est élu, le président continue à mener presque tout en direct et seul. « Je préfère le faire que le faire faire »,
dit-il souvent. Il garde pour lui le secret de nombreux rendez-vous. Malgré les
promesses de ne pas se mêler de la vie de son parti, il a rencontré des
candidats aux municipales et aux européennes. Seul Pierre-René Lemas sait qui
il reçoit dans son bureau, au grand dam du reste des conseillers. Un ancien de
la promotion Voltaire, Jean-Marc Janaillac, a montré au président la lettre
d'un collaborateur assurant que le chef de l'Etat ne pourrait pas lui remettre
en personne sa Légion d'honneur. « Appelle-moi
directement, plutôt que de passer par eux », a glissé François Hollande
avant de charger son secrétariat d'organiser la cérémonie pour son ancien
condisciple.
On ne
sait jamais vraiment qui compte pour Hollande, qui sont ses amis ou pas. Ce
soir, au restaurant, une vague inquiétude les étreint de l'avoir vu si neutre,
auscultant les aspects techniques du scandale comme s'il s'agissait d'un
dossier. « J'ai les nerfs tout à fait froids »,
avait lâché le chef de l'Etat à la télévision, il y a un peu moins d'un an.
Aucun n'a oublié comment, après la victoire, il a abandonné le précieux
François Rebsamen et presque oublié Stéphane Le Foll, l'homme qui l'avait
accompagné durant sa traversée du désert. «
C'est ta différence avec Mitterrand », lui avait lâché Rebsamen après
avoir constaté qu'il n'était pas du gouvernement. Que veut dire « fidèle », «
ami », « proche » pour le président ?
Quatre
jours plus tard, le 14 janvier, a été programmée la conférence de presse de
rentrée si attendue où François Hollande doit annoncer son vaste plan d'aide
aux entreprises. Ce doit être le début de son opération reconquête. Sur le
fond, le plan a été bouclé sur les chapeaux de roue, dans un mélange de
détermination générale et d'improvisation sur les détails, notamment sur les
fameuses contreparties qui devront accompagner les cadeaux aux entreprises et
dont personne, ni à l'Elysée ni à Bercy, n'est encore capable de dire ce
qu'elles pourraient recouvrir. Sur la forme – mais qui s'en aperçoit ? –, le
décor est brinquebalant. Le président s'agacera plus tard d'avoir dû « tenir pendant deux heures » la paroi gauche
de son écritoire, arrangée à la hâte par une équipe de communicants amateurs.
Sur le pupitre figure l'adresse @elysee-fr, qui renvoie en fait à un compte
parodique de l'Elysée sur Twitter.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet
article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr.
Illustration Aurel pour "Le Monde"
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