Bitcoin… système de Ponzi ?
Il y a quelques
années, avant que le vocabulaire venu d’outre-Atlantique ne se soit imposé, on
préférait évoquer la chaîne pyramidale pour l’escroquerie qu’on appelle
aujourd’hui système de Ponzi. L’astuce
consiste pour les initiateurs de la chaîne à utiliser les fonds apportés par
les nouveaux adhérents pour fournir une rémunération attractive à ceux qui leur
ont confié leur capital pour les rassurer pendant qu’ils s’approprient le dit
capital. Tout l’art est de disparaître avec la caisse au moment où les
nouvelles adhésions vont cesser de suffire à maintenir le versement des
intérêts et où les souscripteurs vont demander le remboursement de leur capital
évanoui.
Certains affirment que
le bitcoin serait un tel
système de chaîne pyramidale, généralement au prétexte que les premiers
bitcoins n’ont guère coûté aux fondateurs du système qui en possèdent de gros
montants, et que les acheteurs actuels du bitcoin paient très cher pour une
valeur en réalité arbitraire. Pourtant, le bitcoin ne possède pas les attributs
caractéristiques d’une chaîne pyramidale :
- Il n’y a pas
d’utilisation de l’apport des nouveaux entrants pour maintenir les anciens dans
l’illusion de l’intégrité de leur capital. Les vétérans de la cryptomonnaie
semblent pour la plupart garder leurs bitcoins sous leur matelas — fin 2012,
78% des bitcoins étaient dans des comptes dont rien n’était jamais ressorti —
mais s’ils les échangent, c’est dans des transactions loyales dans lesquelles
ils se dessaisissent de leur bien à sa valeur de marché. D’ailleurs, rien ne
distingue le bitcoin « de fondateur » d’un bitcoin miné la minute
précédente.
- Charles Ponzi
utilisait un argument de bon sens, dont le principe était vérifiable par chacun
mais l’application se révélait en pratique irréalisable, pour convaincre les
épargnants de lui confier leur argent : il aurait acheté en Italie des coupons
postaux internationaux de réponse payée, valides partout, au cinquième de leur
prix de remboursement aux USA. Il aurait suffit à l’une de ses victimes
d’essayer de se faire rembourser un coupon aux USA pour constater que les
choses n’étaient pas si simples… Le bitcoin est à l’exact inverse un système
dont seuls quelques spécialistes bac+X parviennent à maîtriser les principes,
mais dont tout un chacun peut expérimenter sans grande dépense la pratique dans
les bars branchés de Californie ou à Union Square le lundi après-midi.
- Bernard Madoff
disposait d’une fausse salle de marchés, qu’il montrait à ses clients pour les
convaincre. Toute escroquerie, et les chaînes pyramidales n’échappent pas à la
règle, est ainsi basée sur la dissimulation au pigeon de la véritable nature du
système. Or par construction, un tel secret est parfaitement impossible dans le
cas du bitcoin où la totalité des spécifications et de l’implémentation est
dans le domaine public. Avant d’acheter ses bitcoins, chacun peut vérifier
qu’il n’y a pas le moindre vice caché à son désavantage, et s’il n’en était pas
convaincu, personne ne l’obligera à utiliser le bitcoin comme moyen de
paiement.
On notera que les monnaies fiat ne passent
pas, elles, le filtre de ces critères avec la même aisance.
Imaginons qu’en 1967,
Berny Wagner, entraineur d’athlétisme à l’Université de l’Orégon, se soit rendu
chez un bookmaker pour parier un gros montant que son poulain, 5e à la hauteur
aux championnats universitaires US avec une technique peu orthodoxe, serait
l’année suivante champion olympique compte-tenu des avantages techniques qu’il
voyait dans la dite technique. La cote aurait été énorme. Mais au fur et à
mesure que Dick Fosbury devenait en 1968 champion indoor des USA, puis se
qualifiait pour les JO, puis pour la finale, sa cote aurait baissé
considérablement. Quand à Mexico, Fosbury remporta le titre olympique, Berny
Wagner aurait touché le jackpot, et ce sont tous les parieurs ultérieurs qui le
lui auraient versé, ceux qui avaient parié contre Fosbury, certes, mais ceux
qui avaient parié pour lui auraient pu se sentir frustrés, ou même entraînés
dans un système à la Ponzi où avec la même mise, Wagner touchait cent ou mille
fois plus qu’eux. Mais quand on parie, on prend ses responsabilités, on connaît
les cotes, les athlètes, et on est libre de ses choix.
Supposons maintenant
que de manière analogue, un entraîneur basque soit allé parier en 1955 sur un
champion de barra vasca de 40 ans, inconnu en athlétisme, pour l’épreuve de
javelot des jeux de Melbourne. Au début de 1956, Félix Erausquin lança, avec la
méthode « barra vasca », le javelot au delà du record du monde de
l’époque. La cote baissait. Puis la Fédération alertée changea le règlement,
prohibant de fait le « lancer à l’espagnole ». Aux jeux de Melbourne,
le pari n’aurait plus rien valu.
Nul ne sait si
l’avenir du bitcoin sera un flop à la manière Fosbury ou un lancement à la
manière Erausquin. En revanche il est certain que parce qu’il laisse les
individus libres de leurs choix tout en leur donnant toutes les informations
pour les faire, sa « blockchain » n’est pas une chaîne à la Ponzi.
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