S’abandonner à vivre de Sylvain Tesson
Savez-vous ce qu’est
le pofigisme ? Non. Rassurez-vous, moi
non plus je ne savais pas ce que c’était avant de lire Sylvain Tesson. Dans une
de ses toutes dernières nouvelles, il explicite son néologisme, qui donne
implicitement son titre au recueil : « Le
pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient. Les
adeptes du pofigisme, écrasés par l’inéluctabilité des choses, ne comprennent
pas qu’on s’agite dans l’existence. Pour eux, lutter à la manière des
moucherons piégés dans une toile d’argiope est une erreur, pire, le signe de la
vulgarité. Ils accueillent les oscillations du destin sans chercher à en
entraver l’élan. Ils s’abandonnent à vivre. »
C’est justement cette
expression « s’abandonner à vivre » qui m’a donné envie de le lire.
Parce que c’est une attitude stoïcienne… De feuilleter les premières pages a
achevé de me convaincre d’en faire l’acquisition et notamment ce petit passage
sur des amants qui sont tellement contraires que c’est ce qui les attire l’un
vers l’autre et les rend complémentaires : « Le
pôle Sud et le pôle Nord ont un point commun : le pivot du monde les
transperce. Chez Rémi et Caroline, il n’y avait pas d’axe, seulement
l’attraction des antipodes. »
Car, depuis que j’ai
lu Dans les forêts de Sibérie, c’est le ton
de Syvain Tesson, son sens de la formule et la richesse de son vocabulaire qui
me ravissent, comme me ravissent son don de conteur, sa façon de voyager, même
immobile – « d’habitude, voyager c’est
faire voir du pays à sa déception » –, et l’étendue de ses
lectures.
Ses nouvelles mettent
en scène des couples, adultères ou pas, aux prises avec leur destin (quand il
emploie la première personne pour se faire narrateur, la femme s’appelle
Marianne et plusieurs de ses héros se prénomment Jack…) ; des personnages de
notre temps, mais souvent hors du commun, qui se meuvent dans des lieux
exotiques.
Sylvain Tesson nous
emmène au Sahara avec des alpinistes à la conquête d’une aiguille invaincue au
milieu du massif du Hoggar ; au club 100 de Moscou, tout proche de la prison de
la Loubianka, avec de jolies femmes russes ; sur le champ de bataille historique
de Borodino avec des amoureux de la geste napoléonienne lors d’une
reconstitution ; en Afghanistan avec un sniper venu de Seine Saint-Denis
pour faire des cartons sur des soldats occidentaux ; sur la route vers
l’eldorado européen avec des passagers clandestins du Niger ; dans un bar du
Texas avec des chuteurs russes qui se retrouvent après leurs
sauts confrontés à des locaux.
La nouvelle sur
l’insomnie, avec le petit vélo qui vous parcourt la tête indéfiniment et
emprunte des chemins de traverse improbables pendant des heures, ne pourront
qu’interpeler, comme on dit aujourd’hui, les connaisseurs de ces nuits sans
repos…
Ces nouvelles se
terminent toutes par une chute. Je sais, c’est d’un classicisme que bien des
auteurs d’aujourd’hui considèrent avec dédain. Mais ils devraient se méfier.
Car le lecteur aime ça et ne s’en rassasie pas…
C’est pour des petits
bonheurs comme ceux-là qu’il faut s’abandonner à lire Sylvain Tesson…
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