vendredi 14 février 2014

Billets-Les “Offshore Leaks”


Les “Offshore Leaks”

Le tour de force d'une supra-rédaction mondiale.
Un consortium de journalistes du monde entier publie de nouvelles révélations sur l'évasion fiscale .Mais comment s'est déroulée cette gigantesque enquête sur les placements occultes dans les paradis fiscaux ?

  • Mise à jour
Quelques mois après ses premiers « Offshore Leaks », le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ) récidive dans Le Monde avec de nouvelles révélations sur l'évasion fiscale. Cette fois-ci, elle concerne les « princes rouges », ces apparatchiks extrêmement privilégiés du parti communiste chinois. A cette occasion, nous republions notre article sur l'ICIJ, ses méthodes et ses objectifs.
C’est l’histoire d’une grosse fuite. 2,5 millions de documents, 260 gigaoctets de données stockées sur un disque dur (160 fois plus que le Cablegate de WikiLeaks en 2010), et un coup de projecteur sans précédent sur l’évasion fiscale. Le dispositif mis en place pour révéler le scandale est tout aussi inédit : 86 journalistes de 46 pays ont synchronisé leurs efforts pour lever le voile sur les placements offshore de 130 000 personnes dans 170 pays. A l'origine de ce tour de force, l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ), un appendice du Center for Public Integrity, une organisation basée à Washington. Impressionnant par son maillage extrêmement étroit (160 journalistes dans une soixantaine de pays), expérimenté (il existe depuis 1997), l’ICIJ était pourtant inconnu du grand public – et même d'une bonne partie de la profession – jusqu’à cette maxi-enquête. Tout au plus, les yeux les plus avisés avaient-ils repéré leurs articles sur le trafic de tissus humains ou la surpêche dans le supplément géopolitique du Monde.


  • Quinze mois d'enquête
Fondée par Charles Lewis, un ancien journaliste d’investigation de la chaîne de télé CBS, l’organisation s’était jusqu’à présent limitée à des investigations regroupant de trois à vingt journalistes, s’attaquant à l’industrie du tabac ou aux sociétés de mercenaires. Désormais, elle change d'échelle. L’investigation commence il y a un peu moins de deux ans quand Gerald Ryle, un journaliste irlandais ayant longuement travaillé sur un scandale énergético-financier en Australie, est contacté par deux employés de Portcullis TrustNet et Commonwealth Trust Limited, deux sociétés situées respectivement à Singapour et dans les Îles Vierges Britanniques. Courriers électroniques, factures, copies de papiers d’identité, les documents pleuvent sans discontinuer. Membre de l'ICIJ (qu'il préside maintenant depuis septembre 2011), Ryle avertit immédiatement l'organisation.
Rompu au travail transversal, l'ICIJ met en branle sa supra-rédaction. Aussi, après avoir épluché les documents pendant quinze mois, le consortium contacte quelques-uns des plus grands titres de la planète. Le Monde, le Guardian, le Washington Post et plusieurs autres se joignent à l'enquête fin 2012. Le mot d’ordre ? Chaque journal, chaque journaliste, se concentre sur son propre pays. Au Monde, Anne Michel, la spécialiste des questions bancaires, a planché depuis janvier sur un listing de 130 noms français. « Si nous avons des documents sur la Mongolie, nous préférons qu’ils soient exploités par un journaliste mongol, qui connaît mieux le terrain », nous explique au téléphone Mar Cabra, une journaliste d’investigation espagnole. Pendant quinze mois, elle a joué le rôle de data research manager sur les « Offshore Leaks », en guidant ses confrères à travers un flot de données pour le moins consistant.

  • Nous dépendons de l'impact de nos enquêtes
Financé par les dons de la Knight Foundation américaine ou de l’Adessium Foundation néerlandaise (pour ne citer que celles-ci), l’ICIJ peut se targuer d’être une organisation nonprofit, à l’instar du Bureau of Investigative Journalism britannique. « L’ICIJ est un peu le père spirituel de ProPublica (le premier pure player à remporter un prix Pulitzer, en 2010, ndlr) », estime Mar Cabra. Ce qui signifie également qu’elle a besoin de noms prestigieux auxquels s’adosser. « En tant qu’organisation à but non lucratif, nous dépendons de l’impact de nos enquêtes », renchérit la journaliste espagnole. Voilà pourquoi c’est Le Monde qui a été mis dans la boucle, alors que deux journalistes de Mediapart (Fabrice Arfi et Karl Laske) sont membres de l’ICIJ.
Confidentielle jusqu'à jeudi, l'organisation n'est pourtant pas composée de perdreaux de l'année : parmi les membres fondateurs, on retrouve par exemple Duncan Campbell, l’Ecossais qui a révélé l’existence d’Echelon, le système mondial d’interception des télécommunications mis en place par les pays anglo-saxons. Pour les « Offshore Leaks », c’est lui qui a joué le rôle de datajournaliste en chef, éliminant les doublons, restaurant les fichiers inexploitables et charpentant l’ensemble. Après cette irruption dans le paysage médiatique, l’International Consortium of Investigative Journalism a-t-il d’ores et déjà prévu de remettre le couvert ? Entre deux interviews pour des radios espagnoles, Mar Cabra avance un élément de réponse : « Selon certaines estimations, un tiers de la richesse mondiale se situe dans les paradis fiscaux, autant dire que nous avons encore beaucoup de travail devant nous. »


 Photomontage : HP d'après TB et DR
Source telerama.fr

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