Les “Offshore Leaks”
Le tour de force d'une supra-rédaction
mondiale.
Un consortium de journalistes du monde entier
publie de nouvelles révélations sur l'évasion fiscale .Mais comment s'est
déroulée cette gigantesque enquête sur les placements occultes dans les paradis
fiscaux ?
- Mise à jour
Quelques
mois après ses premiers « Offshore Leaks », le Consortium international de
journalistes d'investigation (ICIJ) récidive dans Le Monde avec de nouvelles
révélations sur l'évasion fiscale. Cette fois-ci, elle concerne les « princes
rouges », ces apparatchiks extrêmement privilégiés du parti communiste chinois.
A cette occasion, nous republions notre article sur l'ICIJ, ses méthodes et ses
objectifs.
C’est
l’histoire d’une grosse fuite. 2,5 millions de documents, 260 gigaoctets de
données stockées sur un disque dur (160 fois plus que le Cablegate de WikiLeaks
en 2010), et un coup de projecteur sans précédent sur l’évasion fiscale. Le
dispositif mis en place pour révéler le scandale est tout aussi inédit : 86
journalistes de 46 pays ont synchronisé leurs efforts pour lever le voile sur
les placements offshore de 130 000 personnes dans 170 pays. A l'origine de ce
tour de force, l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ),
un appendice du Center for Public Integrity, une organisation basée à
Washington. Impressionnant par son maillage extrêmement étroit (160
journalistes dans une soixantaine de pays), expérimenté (il existe depuis 1997),
l’ICIJ était pourtant inconnu du grand public – et même d'une bonne partie de
la profession – jusqu’à cette maxi-enquête. Tout au plus, les yeux les plus
avisés avaient-ils repéré leurs articles sur le trafic de tissus humains ou la
surpêche dans le supplément géopolitique du Monde.
- Quinze mois d'enquête
Fondée par
Charles Lewis, un ancien journaliste d’investigation de la chaîne de télé CBS,
l’organisation s’était jusqu’à présent limitée à des investigations regroupant
de trois à vingt journalistes, s’attaquant à l’industrie du tabac ou aux
sociétés de mercenaires. Désormais, elle change d'échelle. L’investigation
commence il y a un peu moins de deux ans quand Gerald Ryle, un journaliste
irlandais ayant longuement travaillé sur un scandale énergético-financier en
Australie, est contacté par deux employés de Portcullis TrustNet et
Commonwealth Trust Limited, deux sociétés situées respectivement à Singapour et
dans les Îles Vierges Britanniques. Courriers électroniques, factures, copies
de papiers d’identité, les documents pleuvent sans discontinuer. Membre de
l'ICIJ (qu'il préside maintenant depuis septembre 2011), Ryle avertit
immédiatement l'organisation.
Rompu au
travail transversal, l'ICIJ met en branle sa supra-rédaction. Aussi, après
avoir épluché les documents pendant quinze mois, le consortium contacte
quelques-uns des plus grands titres de la planète. Le Monde, le Guardian, le Washington Post et plusieurs autres se
joignent à l'enquête fin 2012. Le mot d’ordre ? Chaque journal, chaque
journaliste, se concentre sur son propre pays. Au Monde,
Anne Michel, la spécialiste des questions bancaires, a planché depuis janvier
sur un listing de 130 noms français. « Si nous
avons des documents sur la Mongolie, nous préférons qu’ils soient exploités par
un journaliste mongol, qui connaît mieux le terrain », nous explique au
téléphone Mar Cabra, une journaliste d’investigation espagnole. Pendant quinze
mois, elle a joué le rôle de data research
manager sur les « Offshore Leaks »,
en guidant ses confrères à travers un flot de données pour le moins consistant.
- Nous dépendons de l'impact de nos enquêtes
Financé
par les dons de la Knight Foundation américaine ou de l’Adessium Foundation
néerlandaise (pour ne citer que celles-ci), l’ICIJ peut se targuer d’être une
organisation nonprofit, à l’instar du
Bureau of Investigative Journalism britannique. «
L’ICIJ est un peu le père spirituel de ProPublica (le premier pure
player à remporter un prix Pulitzer, en 2010, ndlr) », estime Mar Cabra. Ce qui
signifie également qu’elle a besoin de noms prestigieux auxquels s’adosser. « En tant qu’organisation à but non lucratif, nous
dépendons de l’impact de nos enquêtes », renchérit la journaliste
espagnole. Voilà pourquoi c’est Le Monde
qui a été mis dans la boucle, alors que deux journalistes de Mediapart (Fabrice Arfi et Karl Laske) sont
membres de l’ICIJ.
Confidentielle
jusqu'à jeudi, l'organisation n'est pourtant pas composée de perdreaux de
l'année : parmi les membres fondateurs, on retrouve par exemple Duncan
Campbell, l’Ecossais qui a révélé l’existence d’Echelon, le système mondial
d’interception des télécommunications mis en place par les pays anglo-saxons.
Pour les « Offshore Leaks », c’est lui
qui a joué le rôle de datajournaliste en chef, éliminant les doublons,
restaurant les fichiers inexploitables et charpentant l’ensemble. Après cette
irruption dans le paysage médiatique, l’International Consortium of
Investigative Journalism a-t-il d’ores et déjà prévu de remettre le couvert ?
Entre deux interviews pour des radios espagnoles, Mar Cabra avance un élément
de réponse : « Selon certaines estimations, un
tiers de la richesse mondiale se situe dans les paradis fiscaux, autant dire
que nous avons encore beaucoup de travail devant nous. »
Photomontage
: HP d'après TB et DR
Source telerama.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire