Le triathlon
Trois disciplines pour un sport ! Le triathlon
symbolisait autrefois la multiplication de la charge de travail et le sport
extrême. Désormais, cette diversité rime plutôt avec complémentarité et santé !
Arguments et explications.
Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Jusque
dans les années 1980, le concept de « spécificité de l’entraînement » a
largement prévalu pour accéder à la performance. Le triathlon et les raids
multisports sont venus bousculer le dogme. Ils ont mis en exergue l’intérêt de
la diversité pour profiter des phénomènes de « transfert des aptitudes » d’une
discipline vers une autre. Dans le domaine de la santé, cette variété devient
complémentarité pour « multiplier les bénéfices et diviser les risques ».
- Une
complémentarité pour les os !
Alterner
avec assiduité les pratiques sportives permet d’éviter le surmenage locomoteur
sans altérer son adaptation. La natation réalisée en apesanteur et à
l’horizontale réduit les contraintes osseuses. L’os ne subit aucun choc. Il ne
risque pas de se fissurer. En contrepartie, en l’absence de microlésions, il
n’est pas stimulé pour se reconstruire plus fort. Ce sport a démontré qu’il
était totalement inefficace pour prévenir l’ostéoporose. Pire, il fragilise le
squelette des jeunes pratiquantes. Il a été prouvé que les nageuses de haut
niveau flottant 3 heures par jour avaient une densité osseuse inférieure à
celle des sédentaires du même âge. Dommage, car nous n’avons que jusqu’à 25 ans
pour capitaliser de l’os. Le vélo en charge partielle et sans impact ne permet
pas non plus d’accroître la densité osseuse. Certaines études montrent que 60 %
des cyclistes professionnels ont une densité osseuse inférieure aux sédentaires
! À l’inverse, la course à pied met les os en contraintes. À chaque réception de
foulée, il se produit des microfêlures dans la trame osseuse. À l’issue d’une
récupération suffisante, elles sont à l’origine d’une reconstruction osseuse
plus dense. En cas d’excès cette sollicitation tourne à l’agression, les
fissures s’étendent, se rejoignent et sont responsables de fractures de
fatigue. Vous comprenez qu’alterner footing et vélo ou natation constitue un
cocktail favorable à la prévention de ces blessures et même à la constitution
d’un os solide !
- Une
complémentarité pour le dos !
À
intensité modérée, la piscine est souvent proposée pour réduire le mal au dos.
C’est vrai, dans l’eau la colonne est rarement douloureuse. Si vous souffrez
des lombaires, la natation vous permet de retrouver le goût du mouvement et de
vous réconcilier avec vos vertèbres. Elle les mobilise un peu et commence à
renforcer les muscles gainant les lombaires. Mais attention, cette activité se
montre nettement insuffisante pour préparer le dos à la pesanteur et à la
verticalité du quotidien. À vélo, la colonne vertébrale est légèrement fléchie,
bien en équilibre grâce aux 5 points d’appui. Si vous n’êtes pas trop penché en
avant et si vos changements de position sont fréquents, vous tolérerez bien
cette attitude et vos muscles vertébraux gagneront en souplesse et en tonicité.
Si vous vous inclinez trop vers le cintre, vous écrasez l’avant de vos disques
intervertébraux et la gélatine contenue glisse vers l’arrière, c’est parfois
douloureux. En course à pied, vous vous redressez, ce produit visqueux repasse
en avant. L’alternance réception, propulsion constitue un véritable massage
discal, c’est démontré ! Les muscles du dos travaillent en position courte pour
maintenir le buste érigé. Ils gagnent en coordination pour stabiliser le bassin
qui oscille d’une jambe sur l’autre. En triathlon, la progressivité et la
diversité des sollicitations permettent un réentraînement lombaire efficace
contre les douleurs de dos.
- Une
complémentarité pour le cartilage !
En
natation, le cartilage, la substance lisse recouvrant les os au niveau des
articulations, n’encaisse aucun impact. La natation, c’est vraiment le sport
antiarthrose ! En brasse, l’amplitude gestuelle des membres inférieurs permet
un bon polissage articulaire, notamment au sein des hanches. Au genou, la
rotule est parfois un peu désaxée lorsque vous tournez fortement les pieds vers
l’extérieur. En crawl, les hanches sont mobilisées sur de plus faibles
amplitudes, voilà qui est moins favorable au rodage du cartilage. En revanche,
la cuisse se renforce et stabilise la rotule sans l’écraser sur le fémur.
Pondérons cet enthousiasme et mentionnons que ce mouvement ressemble peu aux
gestes du quotidien où le pied est en appui. De fait, son efficacité pour soulager
la rotule est désormais débattue. Même si le crawl est votre nage de
compétition, n’hésitez à brasser souvent à l’entraînement. Vos articulations
profiteront de cette complémentarité ! À vélo, le pédalage à bonne cadence, en
moulinant, favorise le rodage articulaire en minimisant les pressions sur le
cartilage. N’abusez pas des « gros braquets ». Ils imposent une contraction
musculaire puissante qui plaque la rotule et la fait « raboter » sur le fémur.
Du coup, la surface cartilagineuse de cet os est abrasée. L’entretien de la
force musculaire contribue à un mouvement articulaire plus harmonieux qui
préserve le cartilage et toutes les articulations de la jambe. Le cyclisme est
aussi un excellent sport pour tous ceux qui souffrent d’arthrose. En revanche,
l’influence de la course sur le cartilage est controversée. Spontanément, on
pense qu’à la réception de chaque foulée, le cartilage est cogné et s’abîme. La
réalité est plus subtile. Le déroulement de l’appui engendre des variations de
pression au sein de ce précieux revêtement articulaire. Ce dernier n’est pas
traversé par des vaisseaux sanguins, il a besoin de ce processus pour se
nourrir en pompant les aliments venus de l’os sous-jacent. En pratique, les
études nous aident à y voir plus clair. Si vous souffrez déjà de vieilles
blessures, si vos jambes sont en X ou encore si vos ligaments sont trop
souples, il est possible que la course accélère la survenue de l’arthrose. Un
autre article de référence dévoile qu’il ne se produit aucun dommage
articulaire tant que vous ne dépassez pas 30 à 50 kilomètres par semaine. Quoi
qu’il en soit, le triathlon grâce au « rodage » et au « pompage » diversifie
ses actions bénéfiques sur le cartilage. Il contribue à modérer le travail de
course tout en préservant l’entraînement cardiovasculaire. Profitez-en !
- Une
complémentarité pour les muscles et les tendons !
La
natation sollicite intensément les membres supérieurs. Le mouvement du crawl
est rapidement à l’origine de souffrance des tendons de l’épaule. Ces derniers
frottent sur les reliefs osseux de l’omoplate, tout particulièrement lors de la
phase de retour. Voilà encore une bonne raison de brasser sans complexe quand
on pratique le triathlon dans sa version « plaisir et santé ». Les muscles des
membres inférieurs n’ont pas à assumer de travail de freinage. Les fibres
musculaires ne sont pas écartelées, elles ne sont pas victimes de
microdéchirures, vous ne souffrez pas de courbatures. Vos muscles bénéficient
de l’effet drainant de l’horizontalité, de la pression et de la fraîcheur de
l’eau. On comprend que cette discipline puisse trouver une place de choix pour
récupérer activement. À vélo également, les muscles et les tendons n’ont pas à
assumer de contraintes d’amortissement ou de freinage. Les jambes acquièrent de
la force sans « écarteler » les tendons. Les tendinites y sont exceptionnelles.
En course, il en va tout autrement. Quand le pied se pose au sol, les
articulations se fléchissent alors que les fibres musculaires tirent en sens
inverse pour ralentir le mouvement. Les membranes enveloppant les muscles et
les tendons sont tractés à leurs deux extrémités. À dose raisonnable, ces
contraintes renforcent ces structures fibreuses. En cas de pratique excessive,
il en résulte parfois des courbatures perturbant la régularité de
l’entraînement, voire des tendinites imposant l’arrêt des footings. Heureusement,
l’alternance des trois disciplines permet d’éviter cet écueil !
- Une
complémentarité efficace et démontrée !
Vous
l’avez perçu, la pratique de ces trois disciplines multiplie et diversifie les
sollicitations de l’appareil locomoteur. La complémentarité des contraintes
proposées optimise l’adaptation des différents tissus de l’organisme. De façon
schématique, la natation et le vélo permettent de récupérer des
microtraumatismes de la course tout en continuant à entraîner son endurance.
C’est idéal et démontré ! Selon Wayne, 83 % des coureurs présentent une
blessure dans l’année contre 66 % des triathlètes pour Galera. De surcroît, ce
dernier met en évidence que les trois quarts des lésions dont sont victimes les
adeptes du triple effort surviennent en course à pied. Il montre aussi que 75 %
des triathlètes blessés parviennent à poursuivre l’entraînement en utilisant au
moins l’une des autres disciplines. Van Mechelen constate que la probabilité de
blessure chez le coureur augmente en fonction du nombre de sorties
hebdomadaires. Ainsi, la diversité des pratiques triathlètiques
contribue-t-elle à réduire le risque de blessures tout en préservant
l’assiduité bénéfique au système cardiovasculaire.
- Le
triathlon : 3 disciplines pour 3 entraînements hebdomadaires
La
quantité d’activité physique favorable à la santé du cœur reste débattue. Les
instituts de prévention vantent les mérites de 30 minutes de marche active
quotidienne, version minimaliste, apparemment plus accessible d’un point de vue
sociologique. Les cardiologues optent plutôt pour 3 entraînements hebdomadaires
de 30 minutes à 1h dont au moins 20 minutes à une intensité moyenne. Cette
dernière porte souvent le nom d’endurance active, elle se caractérise par une
fréquence cardiaque située aux alentours de 75 % du maximum et par un rythme
respiratoire permettant de « parler mais pas chanter ». Toutes ces
recommandations peuvent être rattachées à des études montrant des bénéfices
variables, réduisant le risque d’infarctus de 30 à 60 %. Celle de Paffenbarger,
menée de façon longitudinale, semble donner à ces conseils un minimum de
cohérence. Il constate que les bienfaits sur la longévité apparaissent à partir
d’une dépense énergétique de 500 kilocalories hebdomadaire. Ils sont optimisés
pour 2 000 kilocalories avec une durée de vie accrue statistiquement de 2 ans.
Les risques dépassent les bénéfices à partir de 3 500 kilocalories. Le «
triathlon santé loisir » est une excellente opportunité psychologique et
sociologique pour proposer 3 entraînements hebdomadaires, un dans chaque
discipline. Dans ces conditions, l’activité physique quotidienne associée au
programme sportif avoisine les 2 000 calories hebdomadaires. Cet entraînement
est largement suffisant pour terminer avec aisance les compétitions dites «
Découverte » ou « Promotion » (500 m de natation, 20 km à vélo, 5 km à pied).
Vous accédez sans risque au statut motivant et valorisant de « triathlète ».
Le programme de base pourrait être le suivant :
- Mardi : Course à pied, 30 minutes à 1 heure dont 20
minutes à intensité moyenne.
- Jeudi : Natation, 30 minutes à 1 heure dont 20
minutes à intensité moyenne.
- Dimanche : Vélo ou Enchainement, 1 heure à 1
heure 30 minutes dont 20 minutes à intensité moyenne… et quelques fois
dans l’année : Triathlon « Découverte » à intensité moyenne !
- Une
complémentarité pour le cerveau !
Sur le
plan psychologique, la variété induite par le triathlon est incontestablement
un facteur de motivation et d’assiduité. Du point de vue sociologique, ce type
de pratique se montre bien adapté aux contraintes du quotidien. Le temps à
consacrer à cette activité reste raisonnable, loin de l’image de l’Ironman.
Chacun pourra trouver l’organisation qui lui convient : piscine le midi, le
footing en bas de chez lui, salle de cardiotraining où l’on peut même
travailler les transitions (rameur, vélo, tapis), vélo d’appartement en semaine
ou la belle balade du week-end. La pratique de 3 disciplines différentes, même
d’endurance, est en soi à l’origine d’acquisitions techniques variées et d’un
véritable épanouissement psychomoteur. Par essence, le triathlon lutte contre
les méfaits de l’hyperspécialisation. De surcroît, sa pratique est la porte
ouverte aux pratiques multisports. Pour décliner son plaisir et bénéficier de
phénomènes de transferts physiologiques, le triathlète est volontiers adepte du
V.T.T., de la course nature, du ski de fond ou du roller. Toutes ces activités
améliorent son équilibre. Cette qualité bien inscrite dans le système nerveux
central, se révélera probablement bien utile pour limiter le risque de chute
quand viendra l’âge de l’ostéoporose. Trois entraînements par semaine de 30
minutes à 1 heure dans le but de terminer quelques « triathlons Découverte » a
peu de chance d’être à l’origine d’une dépendance nuisible à la santé ou
désocialisante. Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’addiction, tout juste
d’une « bonne habitude » !
- Le
triathlon est-il le sport idéal pour la santé ?
Le
triathlon pratiqué sous forme de loisir compétitif paraît répondre aux
recommandations des instituts de prévention ou à celles des cardiologues. La
diversité des adaptations inhérentes à cette activité multisport semble
préserver et même participer à l’entretien de l’appareil locomoteur. Cependant,
la « pyramide d’exercice » proposée par Marti fait référence en Suisse. Elle
ajoute deux séances hebdomadaires de renforcement et d’assouplissements. Alors,
pour ne pas briser son sommet, proposons à nos triathlètes une séance
hebdomadaire de « gainage » et une autre d’étirements. Cette fois, c’est
parfait !
- Le
triathlon à l’origine d’une évolution
La
croissance de l’individu semble reproduire l’évolution de l’espèce. Pour
briller dans les dîners en ville, sachez que les médecins disent que «
l’ontogenèse récapitule la phylogenèse ». Il est étonnant de constater que le
triathlon reproduit une progression voisine. Le triathlète débute son périple
dans l’eau, siège de la naissance de la vie et de l’individu. Il s’y déplace à
l’horizontale et en apesanteur, son appareil locomoteur y subit peu de
contraintes. Sur son vélo, il doit se redresser quelque peu. Comme l’enfant
découvrant le monde à quatre pattes, comme les grands singes déambulant dans la
forêt, il accède à la quadrupédie. Ses membres inférieurs sont en charge
partielle et sa colonne vertébrale se stabilise aisément. À l’issue de la
dernière transition, à l’image de l’enfant s’initiant à la marche et pareil à
Lucy toisant la savane, il se verticalise. Comme Homo Ergaster traversant
l’Afrique et partant à la conquête du monde, il se met à courir ! Ses membres
inférieurs encaissent la totalité du poids de son corps. Sa colonne vertébrale
assume un équilibre devenu moins précaire. Il peut même lever les bras en
franchissant la ligne d’arrivée !
Source SantéSportMag