La fille à la fleur-Analyse d’une photo
Photo : Marc Riboud (1967)
Photo : Marc Riboud (1967)
Voici une photographie de presse vue et revue. Une image-symbole, une icône des sixties, une évocation emblématique de la génération hippie. Une jeune fille fait face à une rangée de soldat en armes avec, comme seule défense, une fleur à la main. Bien sûr l’événement a son importance et, selon toute vraisemblance, la jeune fille a parfaitement conscience de la portée symbolique de son geste. Mais cela ne suffit pas à justifier la notoriété de l’image. Des actions spectaculaires jouées devant les objectifs des journalistes il s’en joue beaucoup et souvent, mais très peu atteignent une telle perfection. L’intérêt spécifique de ce document n’est donc pas tant à chercher du côté du geste que dans l’image. Reste à définir comment cette photographie crée du sens. Autrement dit, comment le photographe – et non la manifestante – crée le symbole.
La légende nous dit qu’il s’agit d’une photographie prise en octobre 1967 à Washington D.C. à l’occasion d’une manifestation contre la guerre du Viêt-Nam. Première question qui se pose à nous : où sont les manifestants ? Ce qui nous est donné à voir ici c’est uniquement une jeune fille. Une jeune fille isolée par le choix du cadrage et celui de la focale qui règle la netteté sur le premier plan et plonge l’arrière-plan dans le flou. C’est bien sûr un choix assumé : de la sorte cette jeune fille va symboliser, par un effet de synecdoque (une partie pour le tout), l’ensemble des manifestants. Elle est donc censée être à l’image des autres pacifistes et les personnifier à elle seule. Remarquons que sa chemise bariolée à fleurs évoque la mode hippie, comme sa coiffure coupée court – donc anticonformiste – et son geste de recueillement qui connote la piété, le calme, la paix. En face d’elle une rangée de soldats casqués, habillés à l’identique – au point de se confondre et de ne faire qu’un – fusils pointés en avant. On reconnaît bien sûr ici les forces de l’ordre dont la mission est de contenir la manifestation et prévenir tout débordement. Relevons d’ores et déjà que si la jeune fille offre le visage du calme et de la sérénité, eux semblent définitivement sur la défensive. Leur gestuelle est sans ambigüité : baïonnettes en avant, prêts à charger, attitude agressive et belliqueuse en parfaite adéquation avec leur fonction de soldat. Aussi avons-nous ici en présence deux entités qui se font face et qui, ont l’a compris, incarnent deux positions antagonistes : pour et contre la guerre. Le point de vue du photographe semble a priori neutre puisque celui-ci se trouve sur la ligne de front et non dans l’un ou l’autre camp. Pourtant, nous allons le voir, ce qui fait la force de cette image c’est précisément son discours et son point de vue orienté résultant d’une composition parfaitement maîtrisée.
Il est aisé de constater que cette photo est construite sur une opposition entre les signes situés à gauche et ceux situés à droite d’une verticale tracée au milieu de l’image. Opposition parfaite comme en témoignent les couples d’antithèses suivants : gauche/droite (passé/avenir), hommes/femme, pluriel/singulier, sombre/clair, horizontales/verticale, flou/net. Au-delà, et par extrapolation, on constate qu’à l’association homme-arme-guerre répond l’antithèse femme-fleur-paix. Qu’à la violence des uns répond la non-violence de l’autre. Qu’au symbole phallique des baïonnettes répond la virginité de la fleur. D’un côté l’homme actif, de l’autre la femme passive. Impérialisme et résistance. Mort et vie. On le voit, rien ici n’est laissé au hasard. Ajoutons que si la jeune fille a un visage, les soldats, nombreux, identiques et anonymes, n’en n’ont pour ainsi dire pas. D’ailleurs la plupart sont flous et celui qui se trouve en face de la manifestante, et qui aurait dû avoir son visage net et en gros plan, demeure hors cadre.
Tout cela bien sûr participe de la symbolique. L’humain face à la machine de guerre.
L’individu face à l’armée. L’amour face à la guerre. Le courage face à la force. David face à Goliath. Et dans ces cas de figure, la sympathie de l’observateur va toujours au plus faible, ce que Marc Riboud n’ignorait certainement pas. Comment alors rêver meilleure célébration du flower power. Ce visage de jeune fille, c’est le visage de la jeunesse contestataire des années 60. Un visage qui vaut mille manifestants. Une image surtout qui vaut mille discours. Woodstock, Martin Luther King et Imagine tout à la fois. Une image-symbole en somme, mais une image engagée aussi. D’où son succès à n’en pas douter.
Marc Riboud
copier coller sur http://lesensdesimages.blogvie.com/2008/10/29/faites-lamour-pas-la-guerre/
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