La liberté d’information menacée au nom de l’urgence
terroriste
Le ministre de
l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a présenté au Conseil des ministres, le 9
juillet dernier, son projet de loi
« renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme ». Trois articles sont susceptibles de nuire à la liberté
d’information et des médias.
Depuis sa présentation
au Conseil des ministres, le 9 juilllet, le projet de loi sur le terrorisme,
porté par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, suscite diverses
critiques, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, ce texte, en l’état,
pourrait engendrer un recul de la liberté d’information puisqu’il diminue la
protection juridique des journalistes, prévoit le blocage administratif de
sites internet et augmente les mesures de surveillance sans garantie pour la
protection des sources. Sur la forme, la procédure accélérée employée pour ce
projet de loi qui limite à 15 jours le délai entre la proposition et sa
discussion en séance à l’Assemblée nationale au lieu de six semaines, empêche
un réel débat démocratique.
“Trop souvent, lors de la présentation de nouveaux
projets de loi relatifs à la sécurité, il faut rappeler au législateur la
nécessité de garantir les droits fondamentaux. Pénalisation d’un délit
d’opinion, blocage administratif de sites web, élargissement des moyens
d’enquête au mépris de la protection du secret des sources… Face aux
dispositions inquiétantes pour la liberté d’information des articles 4, 9 et
14, il est capital de prendre le temps de la réflexion et du débat
démocratique. L’usage d’une procédure législative accélérée ne va clairement
pas dans ce sens”, a déclaré Prisca Orsonneau, avocate au Barreau de
paris, coordinatrice du Comité juridique de Reporters sans frontières
L’article 4 du projet de loi sort
les délits de “provocation aux actes de terrorisme” et d’”apologie du
terrorisme” du champ de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 pour les
inclure dans le code pénal. La peine encourue est de cinq ans de prison et 75
000 euros. La diffusion de ces propos par Internet devient une circonstance
aggravante, et élève la peine à sept ans de prison.
L’emploi du terme
“apologie” implique une condamnation des opinions et non des actes, ce qui est
problématique. Le régime protecteur de la loi de 1881 vise précisément à éviter
la pénalisation du délit d’opinion. Des journalistes ou net-citoyens pourraient-ils
être poursuivis, sur le fondement du code pénal, pour avoir, par exemple,
partagé une vidéo mise en ligne par une organisation terroriste, ou donné la
parole à des membres de réseaux terroristes ? Dans une interview accordée
au Monde, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de
l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, a manifesté son inquiétude quant à
l’article 4, soulignant que “tout ce qui touche à la liberté d’expression doit
rester dans la loi de 1881.”
L’article 9 prévoit "la
possibilité, pour l’autorité administrative, de demander aux fournisseurs
d’accès à Internet de bloquer l’accès aux sites provoquant aux actes de
terrorisme ou en faisant l’apologie." La procédure de blocage décrite dans
ce projet de loi est opaque : Qui établit la liste des sites à
bloquer ? Selon quels critères ? Le projet de loi prévoit
l’intervention d’un juge mais sans qu’il n’ait les pouvoirs et l’indépendance
nécessaire pour exercer un véritable contrôle. En 2010, RSF s’était déjà
positionnée contre le blocage administratif de sites internet lors du vote de
la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité
intérieure (Loppsi2). A l’époque, le Parti socialiste, alors dans l’opposition,
s’était lui aussi opposé à cette loi qu’il jugeait liberticide.
Le blocage
administratif de sites internet comporte un risque évident de sur-blocage. Dans
l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, on peut lire qu’en 2013, plus
de la moitié des signalements de sites faisant l’apologie du terrorisme
concernaient des réseaux sociaux, Facebook ou Twitter pour la plupart. Or,
aujourd’hui, les fournisseurs d’accès sont dans l’impossibilité technique de
bloquer une page unique sur Facebook ou un message sur Twitter.
Les moyens de
contournement de blocage étant de plus en plus faciles à utiliser et de plus en
plus répandus (VPN, Tor, Proxies), ces mesures sont de moins en moins
efficaces. Le blocage de contenu porte en lui des effets pervers puisqu’il
risque de pousser les réseaux terroristes à utiliser des techniques de
chiffrement plus élaborées ce qui complexifiera le travail des enquêteurs. Il
s’agit donc d’un dispositif fondamentalement inefficace, comme l’a également
souligné le Conseil national numérique.
L’article 14 élargit les
dispositions actuelles permettant de capter les données enregistrées ou tapées
sur ordinateur à la captation d’images. Ces moyens d’enquête, aussi légitimes
soient-ils, devront être utilisés dans le respect des sources des journalistes.
A ce titre, Reporters sans frontières réitère la nécessité d’amender en
profondeur la loi sur le secret des sources du 4 janvier 2010, qui ne présente
pas les garanties suffisantes. Alors que les moyens d’enquête et notamment de
surveillance s’élargissent en France avec l’empilement d’articles de lois
sécuritaires tels que l’article 13 de la Loi de programmation militaire, il est
urgent de mettre en place des garde-fous. Les exceptions au maintien du secret
des sources doivent être précisées et seul le Juge de la liberté et de la
détention (JLD) doit pouvoir autoriser la levée du secret.
Le choix de la
procédure législative accélérée, dans un contexte de débats à l’Assemblée
nationale sur le sujet du numérique et alors qu’il s’agit d’un projet de loi
d’une extrême gravité est particulièrement dangereux. Comme l’avait déjà
souligné la CNCDH dans un avis du 20 décembre 2012 sur la loi relative à la
sécurité et à la lutte contre le terrorisme “la procédure accélérée ne permet
pas un fonctionnement normal du Parlement, et une prise en compte satisfaisante
des droits et libertés.”
Source fr.rsf.org
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