Poison présidentiel de Ghislaine Ottenheimer
Et si le nœud de tous les blocages de notre
société relevait avant tout du fonctionnement de nos institutions ? Du fait
qu’un seul homme décide de tout sans pourtant parvenir à mener à bien les
réformes nécessaires ? Dans cet essai, paru aux éditions Albin Michel en avril
2015, Ghislaine Ottenheimer, journaliste et rédactrice en chef de Challenges,
livre, à partir de nombreux témoignages, une critique acerbe de la « monarchie
républicaine » en vigueur depuis 1962.
Fastes monarchiques du « nombril de la République »
« Quel homme peut s’occuper des frappes sur
l’État islamique à 10 heures, décider à 11 heures s’il faut poursuivre la
réforme des rythmes scolaires, recevoir à 12 heures un chef d’État étranger
pour préparer la conférence mondiale sur le climat, à 15 heures, arbitrer sur
le niveau de déficit, à 16 heures, nommer le président d’EDF, à 17 heures,
s’occuper des investitures pour les régionales… » (Jean-Louis
Borloo, ancien ministre de l’Écologie). Depuis l’adoption de l’élection du
Président de la république au suffrage universel, décidée par référendum en
1962, le Président est la figure toute puissante du gouvernement. Votée dans le
contexte particulier de 1962, où la nécessité de sortir de la guerre d’Algérie
pouvait justifier la consécration d’un pouvoir fort et clair, l’élection du
suffrage universel a mis en place un système monarchique faisant du Président
le « nombril de la République ».
Érigé au rang de
fierté nationale, notre faste monarchique se manifeste dans les moindres
détails. Dans le protocole républicain ou les conférences de presse où le
Président commence par un monologue et où le « droit de suite » est
interdit ; dans le vocabulaire d’Ancien Régime en usage au
« Château » (l’Élysée) où les « petits marquis » (les
conseillers influents) gravitent autour du « Pharaon » (le surnom
attribué à Chirac par ses conseillers) ; dans les nominations aux postes
clés dont le Président, seul, a la prérogative ; dans les cérémonies de
remise de la Légion d’Honneur… Si ces détails participent à l’image d’Épinal du
rayonnement français, ne faudrait-il pas se méfier de ce jeu de rôle permanent,
dont l’exubérance pervertit le système, et de ce pouvoir vertical où une
poignée de destins individuels a pris le dessus ?
En France, le budget
de la présidence s’élève à 101 millions d’euros. La Couronne britannique, elle,
fonctionne avec 38 millions d’euros. En France, l’élection du Président au
suffrage universel évite la formation de coalitions et l’absence de « shadow
cabinet » renforce le rôle de l’exécutif. En France, le rôle du Président
fait l’objet de quinze articles dans notre Constitution quand celui du Premier
ministre se cantonne à deux. En France, la « surprésidentialisation »
va de pair avec un amoindrissement des compétences du Parlement, qui se trouve
réduit à une « chambre d’enregistrement » : moins de 5% des lois
sont d’initiative parlementaire aujourd’hui. Pourquoi alors maintenir un
système aussi fermé où la discussion et la contradiction sont rendues quasi
impossibles ?
Dans Le Coup d’État permanent, François Mitterrand
s’était érigé contre la réforme de 1962 instaurant le suffrage universel. En
campagne présidentielle peu de temps après, pas un mot ne fait pourtant
référence à une nouvelle réforme des institutions. Cet exemple est
probant : la personnalisation du pouvoir garantit sa propre survie. Obsédé
par le maintien du régime, le pouvoir en place n’a aucun intérêt à remettre en
cause l’élection du Président au suffrage universel, véritable « clé de
voûte » – selon l’expression de Guy Carcassonne – de nos institutions.
Le cœur du problème : le verrou de 1962
Jusqu’au référendum de
1962, le Président de la république était élu par un collège électoral, fidèle
à l’essence parlementaire héritée des IIIe et IVe Républiques. Le 28 octobre
1962, la révision constitutionnelle adoptée par référendum à 62% introduit un
régime semi présidentiel où l’élection du Président passe par le suffrage
universel direct.
Perçue comme un
dévoiement de la Constitution de 1958, cette révision est déclarée
inconstitutionnelle par le Conseil d’État, s’attire l’« hostilité »
du Conseil constitutionnel et provoque une motion de censure du Parlement.
Malgré la fronde, Charles de Gaulle persiste : « ce que nous allons faire est à la limite de la
légalité (…). Si nous gagnons, nous pourrons dire que c’est légal parce que le
peuple le veut ». Si l’attentat du Petit Clamart et les difficultés
liées à la guerre d’Algérie devaient justifier l’émergence d’un
« sauveur » capable de prendre des décisions rapidement et sans
bavardage, la révision constitutionnelle de 1962 a consacré dans le marbre la
supériorité du Président au Parlement.
La France est « la seule Monarchie d’Europe » au sens du
« pouvoir d’un seul ». Récemment, les propositions de nouvelles
Constitutions se sont multipliées afin de donner davantage de pouvoir au
Parlement et moins au Président. Selon une étude, 62% des sondés se prononcent
même en faveur d’une nouvelle république. Les Français ne sont pas dupes et
sont las des éternelles promesses de réformes qui ne voient pas le jour.
L’héritage monarchique et napoléonien du Président tout puissant touchera-t-il
bientôt à sa fin ?
Qu’il s’agisse d’un
projet de VIe République ou d’une Ve République rénovée, une chose est sûre, le
système en place est épuisé et « l’avenir
des institutions sera au cœur de la prochaine campagne présidentielle »
(Claude Bartolone).
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