Hommage à
l’astrophysicien André Brahic
L’astrophysicien André Brahic s’est
éteint à 73 ans des suites d’une longue maladie.
André Brahic ou la passion de la
science
Si un
homme incarnait la passion de la science, c’était bien André Brahic, qui lui a
consacré jusqu’au dernier moment tous ses efforts. Découvreur, mais aussi
conteur, puisqu’il prenait toujours un immense plaisir à se déplacer aux
nombreux colloques auxquels il était invité, jusque dans les lycées de banlieue
défavorisée où son énergie et son talent oratoire captivaient ses auditoires
variés. La recherche et l’enseignement étaient selon lui indissociables. Sinon,
disait-il, « nous risquerions d’avoir des
chercheurs autistes et des enseignants incompétents ».
Depuis
quelques années, il s’inquiétait de l’état de la recherche en France et en
Europe. Ne parvenant pas à convaincre les hommes politiques de l’intérêt de ces
questions fondamentales, il se faisait fort de sensibiliser l’opinion publique
en publiant régulièrement de beaux livres scientifiques (dont son dernier,
« Terres d’ailleurs », regorge de magnifiques photographies et images
d’artistes, en plus d’être à jour des dernières découvertes) ainsi qu’un
manifeste pour la science, à l’occasion duquel nous l’avions interviewé.
Les anneaux de Neptune
Ce n’est
pas tant la découverte qui l’a rendu célèbre, celle des anneaux de Neptune, que
la manière dont elle s’est réalisée, qui vaut d’être racontée. Étudiant en
thèse, avant le lancement de la sonde Voyager, André Brahic s’interroge sur le
comportement des anneaux de Saturne et parvient à résoudre un vieux problème
auquel s’étaient confrontés d’illustres prédécesseurs comme Laplace ou
Poincaré.
Après
plusieurs années d’un intense effort de recherche et de modélisation,
l’astrophysicien tente de décrire par le calcul la forme que devraient prendre
les anneaux de Neptune, s’ils existaient. Il présente ses premiers résultats à
son directeur de thèse, Michel Hénon. Problème, un autre astrophysicien, le
prix Nobel de physique Hannes Alfvèn, avait lui-même publié ses conclusions,
considérant impossible que Neptune soit entouré d’un anneau. « Je ressentis alors un profond découragement. Tant
de travail en vain. Comment pouvais-je avoir raison contre un prix Nobel ?
Pourtant Michel Hénon est resté très calme. Il m’a dit, André, dessine deux
colonnes au tableau ; à droite tu écris tes hypothèses, et à gauche les
siennes. Il m’a encouragé à continuer, puisqu’après tout à l’époque personne
n’avait encore eu l’occasion de photographier Neptune donc toutes les théories
étaient permises. »
L’avenir
lui donna pourtant raison. Parvenu à convaincre l’équipe d’imageries de la
sonde Voyager de modifier légèrement son programme d’exploration, la sonde
effectua une rotation pour photographier les anneaux de Neptune. « Ce fut l’un des plus beaux jours de ma carrière de
scientifique. C’était maintenant indubitable, les anneaux que j’avais tant
cherchés existaient. À ma grande surprise, leur aspect était très différent de
celui que j’avais imaginé. Cela m’a rappelé à quel point l’Homme doit rester
infiniment humble devant la réalité scientifique. »
L’humilité comme principe
Cette
humilité, ce doute cartésien constant qui le faisaient sans cesse s’interroger
(et qui, sans vouloir lancer ici de polémiques, manque parfois à de nombreux
chercheurs…), le conduisaient à prendre des positions très prudentes sur de
nombreux sujets comme le changement climatique, l’énergie nucléaire ou le gaz
de schiste. Préférant avoir la tête dans les étoiles que les pieds sur terre,
Brahic n’hésitait pas à relativiser les désordres quotidiens, comme la crise. « Quelle crise ? C’est vrai, il y a du chômage et je
comprends que cela préoccupe beaucoup de personnes. Mais rappelons que
l’humanité n’a jamais globalement aussi bien vécue, n’a jamais été aussi
nombreuse, bien nourrie et en aussi bonne santé. C’est ce qu’il y a de plus
important. »
Terminons
en rappelant qu’il était d’un optimisme sans faille, convaincu que c’est dans
la science rigoureuse et non la régression obscurantiste que les problèmes de
l’humanité pourraient trouver leur solution. Nous nous permettons de vous
livrer quelques lignes des dernières échanges récents que nous avions eus avec
lui, en décembre 2015 : « Si je suis toujours
là en 2016, je pourrai continuer d’affirmer que les progrès scientifiques nous
permettent tous les espoirs. Si ce n’est pas le cas, j’aurais vécu des années
merveilleuses. »
Source contrepoints.org
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