vendredi 18 septembre 2020

Billets-Dur d’être une femme de pouvoir…


Dur d’être une femme de pouvoir…

Quelques-unes des figures de proue de l'élite féminine viennent de subir des revers cuisants. En des circonstances similaires, réserverait-on un tel sort à des hommes qui occuperaient les mêmes fonctions ?

En France, les femmes de pouvoir viennent de vivre une semaine difficile. La première directrice du journal Le Monde a été contrainte à la démission. La directrice du musée Picasso a été révoquée. Quant à Ségolène Royal, 60 ans, ministre de l'Environnement et ancienne candidate à la présidence, elle a dû rétropédaler après avoir jugé ses collègues du ministère sexistes et arrogants. Sans oublier la dirigeante la plus brillante de France, Anne Lauvergeon, 54 ans, surnommée "Atomic Anne", ancienne PDG d'Areva, éreintée par la Cour des comptes pour sa gestion du géant français du nucléaire.

  • Les femmes dirigeantes sont-elles victimes de sexisme ?
Faut-il y voir une simple coïncidence ? Ou s'en prend-on à elles parce qu'elles sont des femmes ? Dans le cas de la directrice du Monde, Natalie Nougayrède, 47 ans, et de celle du musée Picasso, Anne Baldassari, 59 ans, on a entendu les mêmes sempiternelles critiques : "Chefaillon autoritaire avec qui il est impossible de travailler, incapable de déléguer..."

Les femmes commencent seulement à accéder aux hauts postes dans la société française. Les pionnières semblent payer le prix habituel de ceux qui sont les premiers à prendre une citadelle âprement défendue. Florence Montreynaud, militante féministe et écrivain très en vue, a expliqué à The Independent : "Ces événements n'ont rien d'une coïncidence. Ils sont révélateurs de ce qu'est la France. Il est encore très difficile pour une femme de se faire accepter à un poste de pouvoir dans ce pays”, reprend-elle. “Ce n'est peut-être pas toujours facile pour les femmes ailleurs dans le monde, mais c'est très, très difficile en France : ici, si un homme a une forte personnalité, les gens disent : ‘Il sait ce qu'il veut.' Si une femme a une forte personnalité, ils disent : ‘Elle est compliquée, on ne peut pas travailler avec elle'”, poursuit-elle.

  • Du sexisme en politique
Une femme politique socialiste qui tient à garder l'anonymat explique que les comportements machistes restent la règle dans le monde politique français, même à gauche. "Si un homme se trompe, il est un mauvais politique ou un mauvais dirigeant d'entreprise. Si une femme se trompe, c'est elle l'erreur. Elle n'aurait jamais dû être nommée à ce poste", explique-t-elle.

"Je pense que pour une part le problème est lié au fait – et cela pourrait expliquer la mauvaise presse de Royal et sa faible cote dans les sondages – que ces préjugés poussent parfois les femmes à réagir de façon excessive et les rendent hypersensibles", note-t-elle. Et d'ajouter : "Elles survivent tant bien que mal dans un monde d'hommes, si bien qu'elles ne peuvent pas déployer les qualités plus douces, plus consensuelles, que les femmes pourraient apporter à l'entreprise et au milieu politique."

  • Des hommes comme les autres ?
Une journaliste du Monde est d'un tout autre avis. "Natalie Nougayrède a été désignée à la tête du journal par la société des rédacteurs, parce qu'on avait le sentiment qu'il était temps de donner sa chance à une femme", commente-t-elle. “Elle a échoué parce qu'elle n'a pas su rallier les journalistes. (...) Y avait-il des résistances dues au fait qu'elle était une femme ? Non. Elle n'était juste pas faite pour ce travail."

Florence Montreynaud, fondatrice de l'association féministe Les Chiennes de garde, estime qu'en un sens ces pertes dans l'"état-major" féminin sont un bon signe. "Si les femmes à de hauts postes sont jugées comme les hommes, rien à redire”, fait-elle valoir. “Et que quelqu'un comme Anne Lauvergeon doive rendre des comptes sur sa gestion financière, c'est normal. Cela s'inscrit dans la logique de ce que nous revendiquons depuis quarante  ans – le fait que les femmes soient ‘des hommes comme les autres’”, souligne-t-elle.

Cela étant dit, Florence Montreynaud estime que la France, plus que d'autres pays, a du mal à accepter l'idée de "femmes puissantes". "Vous avez remarqué qu'en France les femmes d'influence sont appelées par leur prénom ?" observe-t-elle.

  • La France a du mal à accepter les femmes puissantes
"C'est toujours Ségolène, et non Mme Royal. "Atomic Anne" et non Mme Lauvergeon. Dans toute une page d'articles du Monde sur son départ, Mme Nougayrède était systématiquement appelée Natalie. Je trouve ça détestable. C'est une manière de diminuer les gens, de les infantiliser. Ce qui est très difficile en France pour une femme, c'est à la fois d'avoir du pouvoir et de rester féminine.
Elles doivent s'habiller comme des hommes, porter des tailleurs sévères, avoir les cheveux courts si elles veulent commencer à se faire accepter”, analyse-t-elle.

"Christine Lagarde (ancienne ministre des Finances, aujourd'hui à la tête du FMI) en est un bon exemple. Et n'y voyez pas une critique de ma part de Mme Lagarde. Pas du tout", conclut-elle. Le président François Hollande a tenu à ce que la moitié de ses ministres soient des femmes. Ce qui a tendance à pousser plutôt les hommes politiques machos de la droite française à se lâcher. Quand Cécile Duflot, l'ancienne ministre du Logement, est apparue à l'Assemblée nationale vêtue d'une robe d'été [à fleurs] bleu et blanc, tout à fait décente, elle a été sifflée et huée. Une autre ministre, toujours à l'Assemblée, a été interrompue par un député qui faisait la poule et gloussait. Cette femme politique, une socialiste, a déclaré : "C'est difficile pour certains hommes français. Mais le monde change, que cela leur plaise ou non".


Dessin de Balaban AFP
Source Courrier International

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