Dur d’être une femme de pouvoir…
Quelques-unes des figures de proue de l'élite
féminine viennent de subir des revers cuisants. En des circonstances
similaires, réserverait-on un tel sort à des hommes qui occuperaient les mêmes
fonctions ?
En France,
les femmes de pouvoir viennent de vivre une semaine difficile. La première
directrice du journal Le Monde a été
contrainte à la démission. La directrice du musée Picasso a été révoquée. Quant
à Ségolène Royal, 60 ans, ministre de l'Environnement et ancienne candidate à
la présidence, elle a dû rétropédaler après avoir jugé ses collègues du
ministère sexistes et arrogants. Sans oublier la dirigeante la plus brillante
de France, Anne Lauvergeon, 54 ans, surnommée "Atomic Anne", ancienne
PDG d'Areva, éreintée par la Cour des comptes pour sa gestion du géant français
du nucléaire.
- Les femmes dirigeantes sont-elles victimes de sexisme ?
Faut-il y
voir une simple coïncidence ? Ou s'en prend-on à elles parce qu'elles sont des
femmes ? Dans le cas de la directrice du Monde,
Natalie Nougayrède, 47 ans, et de celle du musée Picasso, Anne Baldassari, 59
ans, on a entendu les mêmes sempiternelles critiques : "Chefaillon
autoritaire avec qui il est impossible de travailler, incapable de
déléguer..."
Les femmes
commencent seulement à accéder aux hauts postes dans la société française. Les
pionnières semblent payer le prix habituel de ceux qui sont les premiers à
prendre une citadelle âprement défendue. Florence Montreynaud, militante
féministe et écrivain très en vue, a expliqué à The
Independent : "Ces événements n'ont rien d'une coïncidence.
Ils sont révélateurs de ce qu'est la France. Il est encore très difficile pour
une femme de se faire accepter à un poste de pouvoir dans ce pays”,
reprend-elle. “Ce n'est peut-être pas toujours facile pour les femmes ailleurs
dans le monde, mais c'est très, très difficile en France : ici, si un homme a
une forte personnalité, les gens disent : ‘Il sait ce qu'il veut.' Si une femme
a une forte personnalité, ils disent : ‘Elle est compliquée, on ne peut
pas travailler avec elle'”, poursuit-elle.
- Du sexisme en politique
Une femme
politique socialiste qui tient à garder l'anonymat explique que les
comportements machistes restent la règle dans le monde politique français, même
à gauche. "Si un homme se trompe, il est un mauvais politique ou un
mauvais dirigeant d'entreprise. Si une femme se trompe, c'est elle l'erreur.
Elle n'aurait jamais dû être nommée à ce poste", explique-t-elle.
"Je
pense que pour une part le problème est lié au fait – et cela pourrait
expliquer la mauvaise presse de Royal et sa faible cote dans les sondages – que
ces préjugés poussent parfois les femmes à réagir de façon excessive et les
rendent hypersensibles", note-t-elle. Et d'ajouter : "Elles survivent
tant bien que mal dans un monde d'hommes, si bien qu'elles ne peuvent pas
déployer les qualités plus douces, plus consensuelles, que les femmes
pourraient apporter à l'entreprise et au milieu politique."
- Des hommes comme les autres ?
Une
journaliste du Monde est d'un tout autre
avis. "Natalie Nougayrède a été désignée à la tête du journal par la
société des rédacteurs, parce qu'on avait le sentiment qu'il était temps de
donner sa chance à une femme", commente-t-elle. “Elle a échoué parce
qu'elle n'a pas su rallier les journalistes. (...) Y avait-il des résistances
dues au fait qu'elle était une femme ? Non. Elle n'était juste pas faite
pour ce travail."
Florence
Montreynaud, fondatrice de l'association féministe Les Chiennes de garde,
estime qu'en un sens ces pertes dans l'"état-major" féminin sont un
bon signe. "Si les femmes à de hauts postes sont jugées comme les hommes,
rien à redire”, fait-elle valoir. “Et que quelqu'un comme Anne Lauvergeon doive
rendre des comptes sur sa gestion financière, c'est normal. Cela s'inscrit dans
la logique de ce que nous revendiquons depuis quarante ans – le fait que
les femmes soient ‘des hommes comme les autres’”, souligne-t-elle.
Cela étant
dit, Florence Montreynaud estime que la France, plus que d'autres pays, a du
mal à accepter l'idée de "femmes puissantes". "Vous avez
remarqué qu'en France les femmes d'influence sont appelées par leur
prénom ?" observe-t-elle.
- La France a du mal à accepter les femmes puissantes
"C'est
toujours Ségolène, et non Mme Royal. "Atomic Anne" et non Mme
Lauvergeon. Dans toute une page d'articles du Monde
sur son départ, Mme Nougayrède était systématiquement appelée Natalie. Je
trouve ça détestable. C'est une manière de diminuer les gens, de les
infantiliser. Ce qui est très difficile en France pour une femme, c'est à la
fois d'avoir du pouvoir et de rester féminine.
Elles
doivent s'habiller comme des hommes, porter des tailleurs sévères, avoir les
cheveux courts si elles veulent commencer à se faire accepter”, analyse-t-elle.
"Christine
Lagarde (ancienne ministre des Finances, aujourd'hui à la tête du FMI) en est
un bon exemple. Et n'y voyez pas une critique de ma part de Mme Lagarde. Pas du
tout", conclut-elle. Le président François Hollande a tenu à ce que la
moitié de ses ministres soient des femmes. Ce qui a tendance à pousser plutôt
les hommes politiques machos de la droite française à se lâcher. Quand Cécile
Duflot, l'ancienne ministre du Logement, est apparue à l'Assemblée nationale
vêtue d'une robe d'été [à fleurs] bleu et blanc, tout à fait décente, elle a
été sifflée et huée. Une autre ministre, toujours à l'Assemblée, a été
interrompue par un député qui faisait la poule et gloussait. Cette femme
politique, une socialiste, a déclaré : "C'est difficile pour certains
hommes français. Mais le monde change, que cela leur plaise ou non".
Dessin de Balaban AFP
Source Courrier International
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