lundi 24 mars 2014

Billets-La rechute fasciste


La rechute fasciste

La percée du FN rappelle que le fascisme est né en France, d'une tendance politique qui finit par gagner ses voisins, à la fin du XIXe siècle. C'est pourquoi toute l'Europe devrait se sentir menacée par des partis qui se moquent de la démocratie.

Quand on pense au fascisme, les pays qui viennent généralement à l'esprit sont l'Italie, dans un certain sens l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne. Dans les années 1930 et 1940, des régimes apparentés à l'idéologie fasciste dominaient le continent européen, et en particulier sa partie orientale, avec la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie. En 1936, le Front populaire bloqua l'arrivée du fascisme en France – peut-être est-ce la raison pour laquelle nous n'associons pas tellement la France à l'idée de fascisme.

Pourtant, c'est bien dans l'Hexagone, au cours des cinquante années précédentes, qu'avaient germé peu à peu les idées qui devaient plus tard prendre ce nom. L'antisémitisme moderne, né de l'affaire Dreyfus à la fin du XIXe siècle et nourri par la presse la plus rageusement antijuive de l'Europe du début du XXe. L'antiparlementarisme à la [Georges] Sorel, qui, après être passé de la gauche à la droite, est devenu un pionnier du national-socialisme. L'esprit de revanche des royalistes et des défenseurs de la nation "organique". Le pétainisme et le culte du sauveur de la patrie. Et surtout, en particulier, le nationalisme intégral [idéologie politique fascisante développée par l’Action française] de Charles Maurras, considéré comme l'une des principales influences de Salazar [et de l'intégralisme lusitanien]. Tout cela est bien né en France, pour y rester souvent à l'état embryonnaire.

  • Néant idéologique
Mais changeons de siècle. Depuis 2001, nous voyons avec tristesse tous les partis traditionnels de la Ve République, issus de tout le spectre politique, préparer le terrain au Front national. Ce fut d'abord, évidemment, quand toute la gauche, par ses divisions, a laissé passer Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle [en 2002]. Puis quand Nicolas Sarkozy a fait siens tous les grands thèmes de l'extrême droite. Et aujourd'hui, il y a ce grand néant idéologique (sur la France, sur l'Europe, sur la démocratie) qu'on appelle l'"hollandisme".

Le résultat est tombé [le 23 mars, au premier tour des municipales]. Le Front national a de nouveau conquis une ville, dans ce Nord qui fut un bastion communiste et socialiste. A Avignon et à Fréjus, il est en tête pour le second tour. Et à Marseille, deuxième commune la plus peuplée du pays, il devance la gauche et dispute la mairie à la droite.

Certes, il s'agit d'un premier tour : quand les Français retourneront aux urnes, l'histoire sera légèrement différente. Mais quelle importance ? La tendance est claire. Aujourd'hui, Marine Le Pen, la fille de son père, est omniprésente dans les médias français. Ses idées sont devenues admissibles, pseudo-respectables : la preuve, entre un quart et un tiers des Français les partagent.

Le vote populaire a abandonné la gauche au profit du Front national. Dans les faits, trois pôles politiques cohabitent désormais : la gauche, la droite et le Front national. On commence à redouter que cet essor n'ait d'autre limite que l'Elysée. Et avec cette conquête, c'est la Ve République française qui prendrait fin, mais pas seulement : ce serait aussi la fin d'une certaine idée de l'Europe de l'après-guerre.

La France n'est pas un cas isolé. Des individus défendant les mêmes idées sont au pouvoir en Autriche et en Lettonie, et soutiennent les gouvernements néerlandais et suédois. En Italie, l'"antipolitique" de Beppe Grillo grimpe dans les sondages.

Qu'ils se disent ou non fascistes, ces gens-là ont en commun une hypocrisie et une déloyauté fondamentales à l'égard de la démocratie. La démocratie ne les intéresse que comme instrument de manipulation pour parvenir au pouvoir. Aujourd'hui, une démocratie sans idées leur ouvre la voie. Une démocratie qui ne croit pas en l'avenir, c'est une démocratie qui risque fort de ne pas en avoir.

 Dessin d'Hachfeld
Source Courrier International


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