vendredi 31 janvier 2014

Billets-Danger de mort pour la peine capitale


Danger de mort pour la peine capitale

Plusieurs exécutions chaotiques, liées à la pénurie de certains barbituriques aux Etats-Unis, devraient relancer le débat sur la peine de mort.

Des décennies durant, les Américains partisans de la peine de mort ont considéré l'injection létale non seulement comme un palier dans l'évolution des méthodes d'exécution, mais aussi comme une solution commode à un problème à la fois légal et moral.
En diminuant la souffrance du condamné, le procédé est censé assurer que les exécutions ne sont pas "cruelles" et respectent le huitième amendement [qui interdit les peines "cruelles" et "inhabituelles"]. Et en endormissant profondément le prisonnier avant de lui administrer le poison, il est censé éviter tout sentiment de culpabilité que l'action d'ôter la vie de façon intentionnelle pourrait susciter dans l'esprit du bourreau ou de la personne réalisant l'injection.

"Je sens tout mon corps brûler"
Mais ces deux piliers du soutien à l'injection létale ont toujours reposé sur une sorte de tromperie. Ce n'est pas parce que les exécutions sont plus "propres" que le mort est moins mort et que ceux qui autorisent l'administration du poison sont moins coupables d'avoir supprimé une vie. C'est la peine capitale en soi qui porte le poids moral. Ce sujet très grave est à nouveau à l'ordre du jour, autant sur le plan légal que sur le plan politique. Des incidents récents ont soulevé de nouveaux doutes sur l'usage de l'injection létale.
La semaine dernière dans l'Ohio, les autorités ont finalement réussi à exécuter un homme, Dennis McGuire, dans des circonstances qui devraient alarmer tous les juges du pays. "McGuire s'est débattu, a suffoqué bruyamment et a étouffé en s'étranglant pendant au moins dix minutes avant de succomber à une nouvelle méthode d'injection létale contenant deux produits", a écrit Alan Johnson, un journaliste qui a assisté à l'exécution pour The Columbus Dispatch. Une semaine plus tôt, les derniers mots de Michael Wilson, condamné à mort par l'Etat d'Oklahoma, avaient été : "Je sens tout mon corps brûler."

Pénurie de produits
Les exécutions par injection létale sont censées inclure des produits tels que le pentobarbital ou le sodium thiopental, qu'il est devenu difficile de trouver aux Etats-Unis. Pourquoi ? Parce qu'une entreprise appelée Hospira, la seule entreprise américaine à fabriquer le thiopental, a cessé d'en produire début 2011 après que certains laboratoires européens ont imposé un embargo sur son importation aux Etats-Unis parce qu'ils s'opposent à son utilisation dans les exécutions. Les réserves de ces "bonnes" injections létales ayant diminué, les Etats qui continuent à appliquer la peine de mort ont dû faire des pieds et des mains pour trouver d'autres produits et d'autres "mélanges". Le résultat a été chaotique.
De toute évidence, ni le cocktail utilisé dans l'Ohio pour exécuter McGuire ni celui qui a été administré à Wilson dans l'Oklahoma n'avaient été testés : aucun contrôle médical ou réglementaire ne garantissait leur efficacité. L'Ohio a mélangé du midazolam, un sédatif, avec de l'hydromorphone, un narcotique puissant. L'Oklahoma a utilisé du pentobarbital, mais c'est une pharmacie spécialisée dans les préparations médicales qui l'aurait fourni. Certaines de ces pharmacies ont été si négligentes quant à la sûreté des produits que le président Obama a été conduit à signer une loi en novembre 2013 pour mieux les réguler.
Tout cela n'a rien de nouveau pour les juges, qui savent depuis des années que des produits non testés et préparés dans des pharmacies sont utilisés dans les exécutions. Les initiatives de certains Etats dépassent le macabre. La Géorgie, par exemple, a fini en désespoir de cause par adopter une loi autorisant l'Etat à dissimuler – même à ses propres juges – la façon dont les produits pour les exécutions sont obtenus.
Dans le Missouri, les avocats d'Herbert Smulls, dont l'exécution est prévue le 29 janvier, ont porté plainte contre le Board of Pharmacy [l'ordre des pharmaciens] de l'Etat au motif que le Missouri enfreint la loi fédérale et la loi de l'Etat en se procurant du pentobarbital dans une pharmacie spécialisée dans les préparations médicales, située dans l'Oklahoma.

Retour au peloton d'exécution ?
Les histoires comme celle de McGuire vont encourager les opposants à la peine de mort à demander de nouveau haut et fort si ces exécutions ne sont pas "cruelles" et ne violent pas le huitième amendement. Mais elles vont aussi mettre en fureur des partisans de la peine capitale, dont beaucoup estiment que le seul but de la procédure devrait être de faire souffrir le condamné avant de le tuer. La famille de Joy, la jeune femme assassinée par McGuire, veut que le monde entier sache que l'"œil pour œil" doit faire mal.
Le plus fascinant dans la pénurie de produits et les combines douteuses pour y faire face, ce n'est pas seulement que les tribunaux vont devoir réexaminer (très vite, à en juger par la liste des exécutions prévues ce printemps) ce qu'ils pensaient il y a quelques années à peine être une pratique plutôt bien réglée.

C'est que certains Etats parlent aujourd'hui d'aller "en arrière". Certains législateurs dans le Wyoming et le Missouri veulent réinstaurer l'option du peloton d'exécution. Pour eux, s'il faut qu'il y ait de la souffrance dans la mort administrée par l'Etat, autant que ce soit à un homme debout devant des fusils qu'à un homme couché sur une table avec une aiguille dans le bras. L'avenir de la peine capitale aux Etats-Unis pourrait donc aussi être son passé.

 Dessin d'Ares
Source Courrier International

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