Danger de mort pour la peine capitale
Plusieurs exécutions chaotiques, liées à la
pénurie de certains barbituriques aux Etats-Unis, devraient relancer le débat
sur la peine de mort.
Des
décennies durant, les Américains partisans de la peine de mort ont considéré
l'injection létale non seulement comme un palier dans l'évolution des méthodes
d'exécution, mais aussi comme une solution commode à un problème à la fois
légal et moral.
En
diminuant la souffrance du condamné, le procédé est censé assurer que les
exécutions ne sont pas "cruelles" et respectent le huitième
amendement [qui interdit les peines "cruelles" et
"inhabituelles"]. Et en endormissant profondément le prisonnier avant
de lui administrer le poison, il est censé éviter tout sentiment de culpabilité
que l'action d'ôter la vie de façon intentionnelle pourrait susciter dans
l'esprit du bourreau ou de la personne réalisant l'injection.
"Je sens tout mon corps brûler"
Mais ces
deux piliers du soutien à l'injection létale ont toujours reposé sur une sorte
de tromperie. Ce n'est pas parce que les exécutions sont plus
"propres" que le mort est moins mort et que ceux qui autorisent
l'administration du poison sont moins coupables d'avoir supprimé une vie. C'est
la peine capitale en soi qui porte le poids moral. Ce sujet très grave est à
nouveau à l'ordre du jour, autant sur le plan légal que sur le plan politique.
Des incidents récents ont soulevé de nouveaux doutes sur l'usage de l'injection
létale.
La semaine dernière dans l'Ohio, les autorités ont
finalement réussi à exécuter un homme, Dennis McGuire, dans des circonstances
qui devraient alarmer tous les juges du pays. "McGuire s'est débattu, a
suffoqué bruyamment et a étouffé en s'étranglant pendant au moins dix minutes
avant de succomber à une nouvelle méthode d'injection létale contenant deux
produits", a écrit Alan Johnson, un journaliste qui a assisté à
l'exécution pour The Columbus Dispatch. Une semaine plus tôt, les derniers mots de Michael Wilson,
condamné à mort par l'Etat d'Oklahoma, avaient été : "Je
sens tout mon corps brûler."
Pénurie de produits
Les
exécutions par injection létale sont censées inclure des produits tels que le
pentobarbital ou le sodium thiopental, qu'il est devenu difficile de trouver
aux Etats-Unis. Pourquoi ? Parce qu'une entreprise appelée Hospira, la seule
entreprise américaine à fabriquer le thiopental, a cessé d'en produire début
2011 après que certains laboratoires européens ont imposé un embargo sur son
importation aux Etats-Unis parce qu'ils s'opposent à son utilisation dans les
exécutions. Les réserves de ces "bonnes" injections létales ayant
diminué, les Etats qui continuent à appliquer la peine de mort ont dû faire des
pieds et des mains pour trouver d'autres produits et d'autres
"mélanges". Le résultat a été chaotique.
De toute
évidence, ni le cocktail utilisé dans l'Ohio pour exécuter McGuire ni celui qui
a été administré à Wilson dans l'Oklahoma n'avaient été testés : aucun contrôle
médical ou réglementaire ne garantissait leur efficacité. L'Ohio a mélangé du
midazolam, un sédatif, avec de l'hydromorphone, un narcotique puissant.
L'Oklahoma a utilisé du pentobarbital, mais c'est une pharmacie spécialisée
dans les préparations médicales qui l'aurait fourni. Certaines de ces
pharmacies ont été si négligentes quant à la sûreté des produits que le
président Obama a été conduit à signer une loi en novembre 2013 pour mieux les
réguler.
Tout cela
n'a rien de nouveau pour les juges, qui savent depuis des années que des
produits non testés et préparés dans des pharmacies sont utilisés dans les
exécutions. Les initiatives de certains Etats dépassent le macabre. La Géorgie,
par exemple, a fini en désespoir de cause par adopter une loi autorisant l'Etat
à dissimuler – même à ses propres juges – la façon dont les produits pour les
exécutions sont obtenus.
Dans le
Missouri, les avocats d'Herbert Smulls, dont l'exécution est prévue le 29
janvier, ont porté plainte contre le Board of Pharmacy [l'ordre des
pharmaciens] de l'Etat au motif que le Missouri enfreint la loi fédérale et la
loi de l'Etat en se procurant du pentobarbital dans une pharmacie spécialisée
dans les préparations médicales, située dans l'Oklahoma.
Retour au peloton d'exécution ?
Les
histoires comme celle de McGuire vont encourager les opposants à la peine de
mort à demander de nouveau haut et fort si ces exécutions ne sont pas
"cruelles" et ne violent pas le huitième amendement. Mais elles vont
aussi mettre en fureur des partisans de la peine capitale, dont beaucoup
estiment que le seul but de la procédure devrait être de faire souffrir le
condamné avant de le tuer. La famille de Joy, la jeune femme assassinée par
McGuire, veut que le monde entier sache que l'"œil pour œil" doit
faire mal.
Le plus
fascinant dans la pénurie de produits et les combines douteuses pour y faire
face, ce n'est pas seulement que les tribunaux vont devoir réexaminer (très
vite, à en juger par la liste des exécutions prévues ce printemps) ce qu'ils
pensaient il y a quelques années à peine être une pratique plutôt bien réglée.
C'est que
certains Etats parlent aujourd'hui d'aller "en arrière". Certains
législateurs dans le Wyoming et le Missouri veulent réinstaurer l'option du
peloton d'exécution. Pour eux, s'il faut qu'il y ait de la souffrance dans la
mort administrée par l'Etat, autant que ce soit à un homme debout devant des
fusils qu'à un homme couché sur une table avec une aiguille dans le bras.
L'avenir de la peine capitale aux Etats-Unis pourrait donc aussi être son
passé.
Dessin
d'Ares
Source Courrier International
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